Thomas Schlesser, élu auteur de l’année 2025
Il était encore inconnu du grand public il y a de cela dix-huit mois. Et puis, le 1er février 2024, Thomas Schlesser a provoqué un véritable séisme dans le monde de l’édition avec son roman, Les Yeux de Mona, traduit en 37 langues et vendu à plus de 600.000 exemplaires dans le monde. L’histoire de Henry, un grand-père qui décide d’accompagner Mona, sa petite-fille au musée une fois par semaine, alors que cette dernière risque la cécité. Si Mona doit perdre la vue, elle gardera le souvenir de la beauté.
Un livre qui a donc conquis les lecteurs de Livres Hebdo. Thomas Schlesser vient de remporter le titre de l’auteur de l’année 2025, face à huit autres auteurs, ayant réalisé les meilleures ventes par segment (BD, littérature, pratique, essai et jeunesse) : Philippe Boxho, Hazel Diaz, Joël Dicker, Inès Leraud, Inoxtag, Salomé Saqué et Valérie Perrin. En outre, Maud Simonnot, directrice de la fiction française au Seuil, a été élue éditrice de l’année et la Fabrique, remporte le titre de petite maison de l’année. Un trophée spécial de l’auteur ou autrice jeunesse de l’année 2025 a été créé à l’occasion de cette nouvelle édition et sera remis lors du Festival du livre de Paris. Thomas Schlesser se confie au Figaro.
LE FIGARO. - Vous venez d’être élu auteur de l’année 2025. Alors, heureux ?
Thomas SCHLESSER. - C’est une joie intense et un peu irréelle. Surtout quand on lit les noms des précédents lauréats (Cédric Sapin-Defour, Annie Ernaux, Vanessa Springora... ndlr) et quand on sait que c’est un mode de désignation par vote à grande échelle. Une telle récompense me pousse évidemment à rembobiner le film de cette incroyable aventure. Les Yeux de Mona a eu pour particularité d’intéresser de nombreux éditeurs étrangers avant même sa parution en France. Pour tout dire, j’avais vécu la chose de manière ambivalente car c’était à la fois un signe prometteur et un piège potentiel : je craignais qu’il y ait un gouffre entre enthousiasme des professionnels et désaffection du public. C’est pourquoi, à titre personnel, j’ai tempéré mon euphorie tant qu’il ne figurait pas dans les rayons des libraires. L’engouement des lecteurs, en France et à l’international, à compter de février 2024, m’a donc beaucoup soulagé. Il faut souligner que ce roman revient de très loin. Pendant les dix ans que m’a pris sa rédaction, il s’est heurté à énormément d’obstacles, de doutes, beaucoup de vents et d’avis contraires… Pour mille raisons, ce livre aurait pu, aurait dû flotter à jamais dans les limbes d’un disque dur. Heureusement, j’avais foi en cette petite Mona. Plus encore, quelques proches puis les éditions Albin Michel, en particulier mon éditeur Nicolas de Cointet, ont cru en elle. Je les ai déjà remerciés dix fois mais, après ce trophée au théâtre de l’Odéon, la onzième risque d’être carrément épique.
Comment expliqueriez-vous ce succès ? En France, mais aussi à l’étranger en Chine, en Roumanie, en Italie, en Turquie… ?
J’ai rencontré des publics d’origines très diverses, de nombreuses nationalités mais aussi d’origines sociales variées. En Roumanie, par exemple, j’ai eu affaire à énormément de lecteurs qui travaillaient dans le milieu médical, c’était saisissant ! De manière générale, les gens me semblent surtout sensibles à deux choses : le traitement du lien privilégié entre un grand-père et une enfant d’une part et, d’autre part, la mise en exergue de la portée existentielle des œuvres : peintures, sculptures, photographies ou installations… C’est une fiction qui n’en reste pas au roman d’initiation à l’art ; c’est plutôt un roman d’initiation à la vie par l’histoire de l’art. Cette légère nuance fait sa singularité.
J’ai eu de nombreux échanges avec des personnes privées de vue ou qui la perdent progressivement sous l’effet d’une pathologie dégénérescente. Ce qu’ils m’ont dit de leur expérience avec Mona m’a bouleversé de fond en comble, à en pleurer.Dans votre roman, le grand-père de Mona a l’espoir qu’initier sa petite-fille à la beauté pourra sinon la sauver, du moins la consoler. La littérature a-t-elle aussi ce pouvoir ?
Quand je commence la rédaction en 2013, et sachant que je parlerai beaucoup de cécité, je me fixe d’emblée un défi un peu fou : ce roman sur les arts visuels devra s’adresser aux aveugles et à tous ceux qui souffrent de déficience oculaire… C’est la raison essentielle de la présence des ekphrasis en italique – des descriptions d’œuvres qui furent de délicieuses tortures à écrire ! – à chaque chapitre du livre. Vous pouvez donc imaginer mon bonheur quand j’ai appris sa transcription en braille et sa sortie en audio, avec l’excellentissime lecture de François Cognard. J’ai eu de nombreux échanges avec des personnes privées de vue ou qui la perdent progressivement sous l’effet d’une pathologie dégénérescente. Je ne veux pas parler à leur place, ce serait inapproprié. Je peux juste vous garantir que ce qu’ils m’ont dit de leur expérience avec Mona m’a bouleversé de fond en comble, à en pleurer. Plus globalement, c’est un roman dont j’ai compris qu’il pouvait faire du bien à ceux qui l’apprécient, en particulier des malades, et c’est très gratifiant. Néanmoins, cela reste juste un livre et mon respect pour les gens qui souffrent ou le personnel qui soigne est bien trop vif pour laisser croire que l’art ou la littérature auraient des fonctions curatives. Consolatrices, sans doute, oui, et c’est déjà très bien, mais curatives, ce serait un abus de langage démagogique.
Peut-on dire que votre roman invite le lecteur à se rendre au musée et à rencontrer la beauté ?
Oui, mille fois oui. Et c’est l’occasion pour moi de le marteler : ce roman parle certes de trois institutions parisiennes, le Louvre, Orsay et Beaubourg, mais il est une invitation à aller découvrir tous les patrimoines qui nous entourent ! Nous sommes, en France, extraordinairement gâtés : grâce à la puissance publique, nous avons partout des musées, des édifices religieux, des vestiges archéologiques fabuleux, sans oublier l’énergie du secteur privé, des galeries, des associations… En la matière, l’écran n’est pas un ennemi, d’ailleurs. Il vous indique ce qui se trouve à proximité, vous offre des informations précieuses. Je suis moi-même directeur de la Fondation Hartung-Bergman à Antibes qui abrite la maison et les ateliers d’un couple d’artistes abstraits du XXe siècle. C’est un endroit méconnu, périphérique mais d’une beauté stupéfiante. Je vous y attends cet été…
Votre éditeur, Nicolas de Cointet, confiait il y a quelque temps au Figaro qu’un « grand film familial » était en discussion. Qu’en est-il ?
Une adaptation est en cours, oui. Mais on en est au début. Ce que je peux dire, c’est que le réalisateur qui s’en emparera rêvera librement son film sans coller platement au roman car celui-ci est un feuilleté littéraire difficile à transcrire au cinéma. L’histoire tresse en effet de manière précise trois arcs narratifs en plus de la relation entre Mona et son grand-père devant cinquante-deux œuvres et elle intègre des contraintes oulipiennes dans sa structuration. Mais je suis certain que le résultat sur écran sera formidable. J’ai hâte.
Allez-vous écrire un prochain livre ?
Je ne m’arrête jamais d’écrire. Tandis que je rédigeais Mona, et en parallèle de son élaboration, j’ai publié deux essais et une biographie : L’Univers sans l’homme (Hazan, 2016), Faire rêver (Gallimard, 2019) et Anna-Eva Bergman – vies lumineuses (Gallimard 2022). Ces livres et tous ceux qui les ont précédés depuis le début des années 2000 n’ont pas eu un centième du succès de Mona mais, à mes yeux, ils comptent considérablement dans mon parcours d’auteur. Par conséquent, je les mets aussi un peu au crédit de ce trophée de 2025. Mon métier, c’est l’histoire de l’art et je suis très attaché à mon travail de chercheur, parfois académique et austère, mais passionnant. Je ne l’abandonne donc pas, bien au contraire. Pour le reste, j’ai des idées... Mais bon, vous connaissez la réponse que Mallarmé fit à Degas qui se plaignait de ne pas avancer dans l’écriture d’un sonnet alors que, lui aussi, disait avoir des idées : « Degas, ce n’est point avec des idées, que l’on fait des vers… C’est avec des mots. »