Tu ne mentiras point : Cillian Murphy face à l’omerta irlandaise
Un radical changement d’échelle. Après le spectaculaire biopic de Christopher Nolan Oppenheimer, pour lequel il a décroché en 2024 l’Oscar du meilleur acteur, Cillian Murphy revient sur les écrans dans un récit ascétique, tout en introspection et sobriété. Tu ne mentiras point, signé Tim Mielants, est une plongée rugueuse dans l’Irlande rurale du mitan des années 1980. Une île d’Émeraude pas encore réveillée par le boom économique et toujours sous la chape de plomb de l’Église catholique.
Cette adaptation de la nouvelle de Claire Keegan, Ce genre de petites choses, est un projet qui habitait Cillian Murphy depuis qu’il l’avait lue. Elle marque le retour du comédien sur son île natale, où il n’avait plus tourné depuis une décennie. Producteur du film avec son partenaire d’Oppenheimer, Matt Damon, l’acteur prête ses traits à Bill Furlong, le charbonnier de la petite ville de New Ross, « un type d’Irlandais familier, qui mène une vie en apparence normale et ordinaire mais se débat avec des problèmes bien plus profonds ».
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Son camion parcourt le comté pour y faire ses livraisons de briques de tourbe et de sacs de charbon. Le père de cinq filles est aux premières loges pour observer la vie âpre dans les foyers qu’il dessert : un gamin frigorifié et pieds nus dévorant un bol de lait, un homme éméché trop entreprenant. En déposant une commande au couvent, Bill voit une jeune femme y être amenée de force par ses parents. Quelques jours plus tard, il découvre dans la réserve à charbon de l’institution une adolescente enceinte enfermée et battue.
De quoi raviver le souvenir de sa génitrice. Fille-mère, mais recueillie et employée par une riche fermière, elle a échappé au couvent et a pu élever Bill. Bouleversé, le charbonnier hésite : doit-il aider la jeune fille à fuir ? Doit-il exposer les agissements des sœurs sur lesquels la communauté de New Ross ferme les yeux ? « Pour avancer dans la vie, il faut savoir ignorer certaines choses », lui rappelle son épouse Eileen.
Récit tout en intériorité
Comme le film dramatique The Magdalene Sisters de Peter Mullan (2002), Tu ne mentiras point revient sur un pan douloureux et tabou de l’histoire irlandaise : les couvents de la Madeleine (les funestes Magdalene Laundries). Pendant plus de deux siècles et jusqu’à la fermeture du dernier établissement en 1996, des milliers de femmes considérées comme déviantes et soupçonnées de mœurs légères y furent envoyées. Elles y étaient contraintes à un travail forcé, privées de contact avec leur famille.
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Là où le long-métrage de Peter Mullan bouillonnait de rage, Tu ne mentiras point choisit le silence pour instaurer une forme de malaise. Les dialogues sont parcimonieux, son protagoniste élusif. Un registre dans lequel Cillian Murphy excelle depuis toujours, de 28 jours plus tard à Peaky Blinders . Lorsque son visage apparaît à l’écran, son regard brûlant et hanté, tourné vers le sol, fuit la caméra. Seul indice du dilemme qui ronge Bill, l’obsession avec laquelle il nettoie ses mains quand il rentre tard à la maison.
Récit tout en intériorité, Tu ne mentiras point baigne dans les crépuscules hivernaux à peine égayés par les guirlandes de Noël, qui contrastent avec l’hypocrisie des paroissiens. Émanent une simplicité, une minutie des détails au diapason de la plume contemplative de Claire Keegan, déjà à l’œuvre dans The Quiet Girl . De quoi désarçonner aussi. Le film ne se termine pas dans un éclat, ni dans une confrontation avec la cruelle mère supérieure du couvent adepte du chantage, jouée par Emily Watson, qui adopte une posture quasi mafieuse. Fidèle à son leitmotiv, Tu ne mentiras point se conclut, abruptement, sur un petit geste qui change tout.
L’avis du Figaro 3/4