«Comme d’habitude, on passe au second rang» : à Mayotte, une journée de deuil au goût amer

Dix jours après le passage du cyclone qui a dévasté l’archipel de Mayotte, causant la mort d’au moins 35 personnes, la France a observé ce lundi une journée de deuil national. Partout, les drapeaux étaient en berne, alors qu’une minute de silence a été marquée à 11 heures, pour que « les Mahorais se sentent entourés par un pays tout entier », a indiqué le premier ministre. 

Toujours affairé à composer son gouvernement, François Bayrou a réuni le personnel dans la cour de Matignon pour observer cette minute de silence. Elle « a le sens d’une communion dans le deuil, a-t-il commenté, d’un engagement pour que la communauté nationale soit présente, pour reconstruire Mayotte »

Sur la place Zakia Madi, à Mamoudzou, à plus de 8000 kilomètres de la métropole, le préfet François-Xavier Bieuville a présidé une cérémonie d’hommage devant des habitants mais aussi des pompiers, policiers et gendarmes, qui ont entonné La Marseillaise a cappella. Il a souligné que l’État avait « pris l’engagement de faire mieux pour Mayotte ». 

«On s’en fout de Mayotte»

Nommer les nouveaux ministres en ce jour de deuil national ? L’idée a révolté les élus de l’archipel. « Qu’est-ce qu’on va retenir de cette journée ? Le drame qui vient de se passer à Mayotte ou la nomination du gouvernement ?, s’est ému le sénateur (RDPI) Saïd Omar Oili sur Franceinfo. Comme d’habitude, on passe au second rang. Ça ne m’étonne pas, lorsque le président est venu, vous avez vu les mots qu’il a prononcés  lorsqu’il a été un peu chahuté par la population : il a dit qu’en quelque sorte, nous n’étions pas des Français à part entière, mais des Français à part. »

« En fait, on s’en fout de Mayotte !, a renchéri la députée Liot Estelle Youssouffa sur France Inter. Selon elle, après le cyclone le plus dévastateur qu’ait connu Mayotte depuis quatre-vingt-dix ans, qui a détruit la totalité de l’habitat précaire, ce sont en réalité « plusieurs dizaines de milliers de personnes  » qui auraient disparu, « puisque ces zones, qui étaient extrêmement densément peuplées, sont aujourd’hui quasiment vides ».

Je demande désespérément qu’on envoie l’armée pour essayer d’éviter qu’on bascule dans l’anarchie

Estelle Youssouffa, députée Liot de Mayotte

« Je demande désespérément qu’on envoie l’armée pour essayer d’éviter qu’on bascule dans l’anarchie », a encore alerté la députée, décrivant des scènes de pillages. « On est en train de piller les quelques maisons qui n’ont simplement plus de toit. Il n’y a pas assez de secours. »

«Huit heures d’eau par jour, deux jours sur trois»

Des distributions de pastilles de « potabilisation » de l’eau ont débuté alors que des habitants en sont venus à boire l’eau des rivières et des puits, faute d’autre solution, indique Mayotte La Première. Les tours d’eau ont été réinstaurés samedi, « à raison de 8 heures d’eau par jour, deux jours sur trois »

Dans le nord de Mayotte, un barrage a été érigé sur la route par des habitants assoiffés. « Ceux qui habitent dans les hauteurs d’Acoua, ils n’ont pas de moyens de communication, ils n’ont aucune information sur quand les citernes arrivent », expliquait une habitante à la chaîne, ce dimanche.

Plus de six Mahorais sur dix n’avaient toujours pas d’électricité dimanche soir, selon la préfecture. Aucune échéance n’a encore été annoncée pour le rétablissement complet du réseau. « Pas de retour à la normale avant plusieurs semaines », indiquait la cellule de crise interministérielle samedi, assurant travailler sur le positionnement de groupes électrogènes à des points stratégiques. Quant au réseau de téléphonie mobile, il reste indisponible à 80 %.

Patrouilles multimissions

Grâce à l’action conjointe des formations militaires de la Sécurité civile et des blindés de la gendarmerie, toutes les routes sont dégagées de l’ensemble des arbres et des débris qui obstruaient la circulation, indique le ministère de l’Intérieur. Sur les 17 communes, « tous les axes en dur sont rouverts, précise un capitaine de gendarmerie.

Quelques pistes sont encore encombrées, qui ne mènent pas à des habitations. Depuis deux jours, on fait des patrouilles multimissions : on apporte de l’eau, mais on amène aussi des infirmiers et des médecins. Pendant qu’ils s’installent sur une place ou dans un stade, des gendarmes vont toquer aux portes, jusque dans les bangas, et on explique à la population qu’on peut les soigner. On s’occupe ainsi de dizaines de blessés chaque jour, tandis que les plus gravement atteints vont à l’hôpital »

Très vite, un couvre-feu entre 22 heures et 4 heures a été mis en place afin de prévenir les pillages. La gendarmerie note « une chute de la criminalité, car les bandes ont du mal à se rassembler à cause du réseau téléphonique endommagé, et les individus sont occupés à reconstruire leur habitation ou faire la queue aux distributions de nourriture ». Mais le site Info Kwezi cite des « témoignages d’habitants qui parlent de pillages mis en œuvre la nuit ».

Dans celle de samedi à dimanche, une violente agression à la machette aurait eu lieu dans un domicile de Kawéni, au nord de Mamoudzou. Des « rumeurs d’enlèvements » circulent également « dans des quartiers chauds ». « Plusieurs riverains d’écoles du chef-lieu signalent des intrusions dans les établissements scolaires par les toits éventrés, écrit Info Kwezi. Tout serait dérobé : les tables, les chaises, le matériel informatique ainsi que le matériel pédagogique, rendant encore plus hypothétiques les conditions dans lesquelles la rentrée pourrait se dérouler. »