« 81,5 % des actes islamophobes sont commis contre des femmes » : les femmes musulmanes à l’intersection de plusieurs oppressions

« Je suis une femme noire, musulmane, banlieusarde. Toutes ces choses vont entrer en ligne de compte quand je vais soit aller déposer plainte, soit réclamer justice », a raconté Mariam, victime d’inceste, dans les groupes de parole mis en place par l’association antiraciste et féministe Lallab. « Je me disais que ce secret, je l’emporterais dans ma tombe. (…) Je suis une femme noire, musulmane, pratiquante et c’est parfois plus compliqué de dénoncer », a révélé Asiya Bathily, violée à sept ans par un habitant du quartier, dans son documentaire les Mots pour vous le dire.

Depuis trois ans, l’association Lallab a lancé une campagne médiatique pour recueillir les témoignages des femmes musulmanes confrontées aux violences sexistes et sexuelles (VSS). Découvrant l’absence de ressources ou d’enquêtes les concernant spécifiquement, l’association publie ce jeudi 27 mars le rapport « Femmes musulmanes contre les violences sexistes et sexuelles en France » pour analyser et construire des outils pour les victimes et leurs alliées.

Cumul des oppressions

« Ces personnes sont situées à l’intersection de plusieurs oppressions : l’islamophobie, la négrophobie, le racisme, la queerphobie, explique Fatima Bent, membre de Lallab. On va les considérer comme des victimes, comme des objets à sauver du joug patriarcal de leur communauté, ou les envisager de manière infantilisante, estimant qu’elles ont un savoir limité sur ces questions-là. » Autant de freins à la libération de la parole, qui favorise l’impunité des agresseurs.

Pour contrer un regard colonial et patriarcal, l’association a créé un collectif dédié à l’action contre les VSS. À Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), l’équipe organise depuis trois ans un programme d’éducation populaire sur six mois. Les rencontres et les discussions entre personnes concernées ont fait émerger un savoir à part entière pour « trouver des réponses de réparations, d’émancipation et des voies de justice qui résonnent avec nos identités profondes », détaille Fatima Bent, car « une femme noire musulmane qui porte le foulard ne sera pas traitée de la même manière qu’une femme blanche non musulmane ».

En discutant entre elles, les victimes ont identifié partie immergée d’un iceberg décrivant la culture de la violence contre les femmes musulmanes, s’ajoutant au continuum de violences sexistes et sexuelles communément admises (psychologiques, physiques, sexuelles, de cyberharcèlement).

Les femmes musulmanes souvent enjointes au silence

Fétichisation des corps noirs ou arabes, orientalisme, blagues islamophobes et histoire coloniale charrient des images, influencent des comportements, entraînent des mécanismes institutionnels. « Lorsqu’une femme noire ou arabe musulmane, qui porte le foulard, fait face à une violence sexiste et sexuelle dans son lieu de travail en France, le sexisme exprimé est intrinsèquement lié, nourri et renforcé par la misogynoire, l’islamophobie, le racisme, la fétichisation, la précarité économique, etc. », décrypte le rapport.

« 81,5 % des actes islamophobes sont commis contre des femmes1, précise Fatima Bent. Quand il y a une restriction de leur liberté et de leur droit par un contrôle des corps, ça devient une violence sexiste. Quand on leur refuse l’accès à l’emploi, c’est une violence économique. »

Prise de conscience et sensibilisation de l’opinion publique constitue une première étape pour Sarah Marrso, responsable du projet construction des savoirs chez Lallab : « Il est essentiel d’inscrire ces violences sexistes islamophobes dans les efforts nationaux de lutte contre les VSS. Le concept d’islamophobie genrée invisibilise la dimension sexiste de cette violence. Comme si les femmes musulmanes n’étaient pas aussi ciblées car elles sont des femmes. Il faut également faire rempart à l’instrumentalisation et à la cooptation des luttes et discours féministes par les courants politiques nationalistes et islamophobes. »

Au sein de la communauté, les femmes musulmanes sont souvent enjointes au silence, pour ne pas être accusée de faire le jeu du racisme, subissant des violences spirituelles et psychologiques quand elles prennent la parole. Lallab se base alors aussi sur des référentiels religieux, sur des concepts de compassion, de justice, de soutien mutuel pour inverser le sentiment de culpabilité. Depuis quelques années, un partenariat avec une mosquée parisienne vise à déconstruire cela et trouver des réponses face aux violences sexuelles, en incluant les fidèles.

Identifier les multiples violences, les nommer, écouter la parole, savoir rediriger les victimes sans jouer les psychologues ou les avocates, s’engager localement, s’outiller collectivement : autant de points que relève ce rapport, qui espère être relayé voire enrichi par d’autres experts.

  1. Collectif contre l’islamophobie en Europe (2023). ↩︎

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