Exil fiscal : l’économiste Gabriel Zucman recadre Emmanuel Macron sur la taxation des ultra-riches

Dans son très long exposé télévisé de mardi soir consacré à « regardez comme j’ai bien fait les choses depuis huit ans », Emmanuel Macron n’a pas lésiné sur les idées reçues pour conforter sa doxa. Quitte à se prendre les pieds dans le tapis. C’est ce qui est arrivé lorsque sa contradictrice du soir, la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet, a abordé la taxation des patrimoines des ultra-riches.

Questionné sur la « taxe Zucman «, du nom de l’économiste français qui propose d’instaurer un impôt plancher sur les patrimoines des très fortunés qui parviennent à totalement éviter de participer à la solidarité nationale – idée reprise dans une proposition de loi adoptée à l’Assemblée nationale en février -, le locataire de l’Élysée a rétorqué d’un ton professoral : « Est-ce que vous pensez que si la France toute seule met une taxe sur les patrimoines de plus de 100 millions d’euros, les gens vont gentiment rester pour être taxés ? »

« L’exil fiscal en réponse à l’imposition de la fortune est un phénomène négligeable »

« Oui », lui a rétorqué instantanément Sophie Binet. « Présentez-les-moi, sincèrement présentez-les-moi », lui a répondu Emmanuel Macron, renvoyant le sujet à des discussions débutées lors du dernier G20 au Brésil concernant une taxation au niveau de tous les pays riches de l’OCDE.

Il n’en fallait pas plus pour faire bondir Gabriel Zucman. L’économiste, qui avait déjà promu une taxation plancher des multinationales en 2021, a répondu du tac au tac au président via son compte X.

Ce contenu n'est pas visible à cause du paramétrage de vos cookies.

Paramétrer mes cookies

« Le risque d’exil fiscal que vous pointez mérite d’être pris au sérieux, poursuit-il dans un thread. La meilleure façon de le faire, c’est de partir des études sur le sujet. Or leur conclusion est unanime : l’exil fiscal en réponse à l’imposition de la fortune est un phénomène négligeable. »

Chiffres à l’appui, l’économiste déroule : « Il n’y a tout simplement aucune étude solide qui démontrerait l’existence de flux d’exil fiscal massifs » si une taxation de 2 % était adoptée.

En France ? « Le rapport de France Stratégie sur l’évaluation des réformes de la fiscalité du capital indique que les changements dans les flux de départ/retour suite à l’abolition de l’ISF sont infimes. Les gains liés aux retours (de l’ordre de 5 millions d’euros par an) sont minuscules comparés au coût budgétaire de l’abolition de l’ISF (de l’ordre de 4 milliards d’euros par an) ».

En Scandinavie ? Une étude norvégienne conduite sur la Suède et le Danemark conclut qu’« un impôt sur la fortune au taux de 1 % sur les hauts patrimoines provoque le départ à long terme de… moins de 2 % des contribuables concernés ». Et les conséquences économiques de ces départs sont négligeables : « Une baisse de 0,05 % de l’emploi total et de 0,07 % de l’investissement total » d’après les auteurs, précise l’économiste proche de Thomas Piketty.

Au Royaume-Uni ? « L’exil fiscal n’est pas nul, mais il est considérablement plus faible que dans les discours alarmistes sur le sujet, qui instrumentalisent la question (sans aucun fondement factuel) pour bloquer toute évolution », poursuit-il.

« Si l’on parlait de taux (d’imposition) de 20 % ou de 90 %, les choses seraient différentes et la question de l’exil fiscal et de son coût se poserait, mais aujourd’hui on ne peut pas sérieusement agiter cet épouvantail au regard des savoirs existants », conclut-il. Ce recadrage arrive au bon moment : le Sénat doit à son tour se pencher sur la taxe Zucman le 12 juin prochain.

Le journal des intelligences libres

« C’est par des informations étendues et exactes que nous voudrions donner à toutes les intelligences libres le moyen de comprendre et de juger elles-mêmes les événements du monde. »
Tel était « Notre but », comme l’écrivait Jean Jaurès dans le premier éditorial de l’Humanité.
120 ans plus tard, il n’a pas changé.
Grâce à vous.

Soutenez-nous ! Votre don sera défiscalisé : donner 5€ vous reviendra à 1.65€. Le prix d’un café.
Je veux en savoir plus !