Chute du gouvernement Barnier : quelles conséquences économiques pour la France ?

Croissance affaiblie, assainissement budgétaire ralenti, incertitude accrue... La chute du gouvernement, sans budget pour 2025, pénalisera-t-elle la France ? C'est ce qu'estimaient des économistes avant la tenue des débats sur la motion de censure.

La motion de censure a finalement été adoptée mercredi 4 décembre dans la soirée par 331 députés, soit 43 de plus que le seuil requis de 288 voix. L'équipe de Michel Barnier devrait gérer les affaires courantes jusqu’à la nomination d’un successeur. Mais en tant que gouvernement démissionnaire, il n’a normalement pas la possibilité légale de reprendre les textes budgétaires qui étaient en discussion, ou de présenter des nouveaux textes. Cela rend donc très incertaine l’adoption d’un projet de loi de finances pour 2025 avant la date limite fixée au 31 décembre 2024.

Si les experts écartaient l'hypothèse d'une "tempête", menace brandie jusqu'ici par le gouvernement Barnier afin de dissuader les députés de voter la censure, à quelle conséquences économiques faut-il s'attendre ?

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Déficit malmené

Que cela se fasse via une loi spéciale ou une ordonnance, la France dispose de plusieurs moyens d'éviter une paralysie totale.

Mais si le nouveau Premier ministre faisait adopter "un budget édulcoré" incluant des concessions ou que le budget 2024 était reconduit à l'identique, le pays raterait son objectif de réduire son déficit public à 5 % du PIB l'an prochain, prévoit Maxime Darmet, économiste chez Allianz.

Un budget 2024 reconduit à l'identique se traduirait en effet par un gel des dépenses de l'État, qui représenterait entre 15 et 18 milliards d'euros d'économies, explique Mathieu Plane, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Soit un niveau proche de l'effort prévu dans le PLF initial pour 2025.

Mais les dépenses sociales, indexées automatiquement sur l'inflation, seraient elles en hausse alors que l'État devrait renoncer aux hausses d'impôts – au moins 20 milliards – qu'il envisageait, comme la surtaxe sur les très hauts revenus ou les bénéfices des grandes entreprises.

La banque Natixis estime que dans une telle hypothèse, le déficit atteindrait 5,3 % du PIB alors que Paris est déjà épinglé par Bruxelles pour son déficit public excessif.

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Impôt sur le revenu : des gagnants et des perdants

En cas de loi spéciale votée à l'Assemblée nationale permettant à l'État de fonctionner a minima, avec un budget similaire à celui de 2024, les retraités verraient leur retraite revalorisée à hauteur de l'inflation au 1er janvier, alors que le gouvernement ne prévoyait de le faire totalement que pour les pensions inférieures au Smic, avec un décalage.

Mais près de 400 000 ménages supplémentaires paieront l'impôt sur le revenu et quelque 18 millions le verront augmenter en 2025, selon le gouvernement Barnier - le projet de budget 2025 qui prévoyait d'indexer le barème de l'impôt sur le revenu sur l'inflation n'ayant pas abouti.

La menace a été brandie la veille du vote par Michel Barnier, alors invité de France 2 et TF1. "Près de 18 millions de Français verront leur impôt sur le revenu augmenter, d'autres en paieront pour la première fois parce qu'on n'aura pas pu inscrire dans la loi de finances la réindexation qui est prévue (...) pour le barème des tranches d'impôt, c'est inéluctable", avait prévenu Michel Barnier sur France 2 et TF1, mardi soir.

Ce scénario est cependant loin d'être le plus probable, estimait le directeur des études économiques à l'IESEG School of Management Éric Dor, joint mardi soir par l'AFP. Un budget pour 2025 voté ultérieurement, au cours de l'année 2025, "contiendra nécessairement cette clause puisque c'est l'habitude de la mettre", soulignait-il.

Les explications détaillées de notre journaliste Christophe Dansette
Qui seraient les gagnants et les perdants de l'absence d'un budget 2025
Qui seraient les gagnants et les perdants de l'absence d'un budget 2025 © France 24

"Pour les ménages dont le revenu augmente, soit ils vont entrer dans l'impôt, soit ils vont être plus taxés dans leurs revenus en restant dans la même tranche, soit ils vont passer dans une tranche supérieure (...), ce qu'un dégel du barème pourrait empêcher", développe Pierre Madec, économiste à l'OFCE.

À noter que "même si on indexait le barème de l'impôt sur le revenu sur l'inflation, on aurait quand même des ménages qui entreraient dans l'impôt et (d'autres qui) verraient leurs impôts augmenter, parce que leur revenu a augmenté plus vite que les prix", ajoute le spécialiste. Car "les revenus en 2024 devraient augmenter plus que l'inflation".

Les collectivités territoriales, dont la dotation versée par l'État risquerait d'être gelée, pourraient également figurer parmi les perdants, soulignait quant à lui Maxime Darmet, qui y voit un risque pour le fonctionnement des services publics. Certaines pourraient compenser le manque à gagner en relevant les taxes locales, notamment la taxe foncière, selon lui.

Moins de croissance

La baisse des dépenses pèsera aussi sur la croissance, à des degrés divers selon les scénarios.

"Avec un budget reconduit dans les termes de 2024, et notamment sur la partie dépenses, on aurait un retournement de ce qui a permis, pour l'instant, de maintenir un peu de croissance en France", à savoir "l'investissement public" dans une économie qui en est très dépendante, détaille Charles-Henri Colombier, directeur de la conjoncture au Centre de recherches pour l'expansion de l'économie et le développement des entreprises (Rexecode). 

À cela s'ajouterait une accentuation de l'effet négatif d'une incertitude politique – jusqu'ici évaluée à 0,2 point de PIB pour 2025 par l'OFCE – qui conduirait ménages comme entreprises à un attentisme prolongé. Charles-Henri Colombier évoque aussi la défiance grandissante des investisseurs étrangers. 

Secousses sur les marchés financiers, frileux face à l'incertitude

Les conséquences de la censure pourraient nous coûter la confiance de nos créanciers et de nos voisins", a de son côté mis en garde mardi le président du Medef Patrick Martin, première organisation patronale.

Rétifs à l'incertitude, les marchés financiers connaissent déjà des secousses. Après que Michel Barnier a engagé la responsabilité de son gouvernement, le taux de l'emprunt public français à dix ans a immédiatement grimpé, passant en quelques heures de 2,86 % à 2,92 %.

Le "spread", écart entre les taux d'emprunt de la France et de l'Allemagne, baromètre de la confiance des investisseurs, a lui aussi connu lundi une hausse rapide, à 0,88 point, et était encore à 0,84 point mercredi matin. La France emprunte aujourd'hui aussi cher, ou presque, que la Grèce. Un symbole, car la Grèce était, il y a douze ans, un pays européen en faillite (cela ne veut toutefois pas dire que la France est dans la même situation : pour comparaison, il y a douze ans, le "spread" entre la Grèce et l'Allemagne était, lui, de 40 points, NDLR).

"L'impact de cette instabilité politique vous la verrez immédiatement dans les taux d'intérêt qui nous étranglent", a déclaré mardi soir Michel Barnier, évoquant "des sommes gigantesques pour payer les intérêts à des financiers, à des fonds d'investissement chinois, japonais ou américains".

Dans son malheur, la France a un allié de poids : la Banque centrale européenne. Elle a engagé en juin une politique de baisse des taux, permise par le recul de l'inflation en zone euro, détendant la pression sur les taux d'intérêt des emprunts d'État.

Reste que "si rien ne bouge dans les prochains mois, une lassitude pourrait s'installer sur les marchés, et alors, tout pourrait très vite s'emballer", prévient Aurélien Buffault, gérant obligataire de Delubac AM.

Avec AFP