Anna Mouglalis : « La domination patriarcale s’exerce partout »
On la rencontre chez elle, dans un appartement rempli de livres qui donne sur un petit jardin où un merle vient cogner consciencieusement son bec contre un miroir. Actrice au cinéma et au théâtre, Anna Mouglalis est à l’affiche de la Mer au loin, de Saïd Hamich, un très beau film sur l’exil qui traverse les années 1990, et tient le rôle-titre de Phèdre dans la mise en scène d’Anne-Laure Liégeois.
Avec Lucie Antunes, P.R2B, Théodora Delilez et Narumi Herisson, elle forme le groupe Draga, qui a mis en voix et en musique les textes de Monique Wittig dans « Ô guérillères », un album qui sortira fin avril. Militante féministe, engagée dans le combat pour l’adoption d’une loi intégrale sur les violences sexuelles, elle a témoigné le 16 décembre 2024 devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les violences dans le secteur du cinéma.
Vous jouez « Phèdre », de Racine, en tournée. Comment vivez-vous ce compagnonnage au long cours avec ce texte et ce personnage ?
C’est merveilleux d’habiter avec un chef-d’œuvre. Racine demande d’aller très loin. C’est la rage ou l’égarement, on ne peut pas le jouer de façon tiède. « Phèdre » est une pièce de l’intime, mais d’un intime vertigineux. Elle est éprouvante physiquement. J’ai cru que je pourrais faire l’économie de la douleur du personnage, mais ce n’est pas le cas. Comme dit la metteuse en scène, Anne-Laure Liégeois, elle est un papillon de nuit qui va se brûler contre la lampe.
On revit chaque soir la violence masculine, avec ce personnage de héros, Thésée, qui apporte la mort partout où il passe. Les fils sont, avec les femmes, les premiers à souffrir de la violence patriarcale. C’est à la portée de tous les hommes de le reconnaître. On parle de Phèdre incestueuse, mais c’est surtout un inceste non consommé. Phèdre incestueuse non, scandaleuse oui.
Comment choisissez-vous vos rôles ?
J’ai besoin de pouvoir y mettre tout mon esprit et que ça me nourrisse dans tous les sens du terme. Je n’avais pas rêvé de jouer « Phèdre », mais c’est comme s’inscrire dans une historicité, avec toutes les traces des comédiennes qui l’ont joué avant moi. J’ai fait peu de théâtre, car j’ai du mal à me projeter à long terme. Au cinéma, j’avais envie de participer à des films qui cherchaient des formes nouvelles. J’ai fait ce qu’on appelle du cinéma d’auteur, de création. Bien sûr j’aime jouer, mais pas à tout prix.