Quand Mbappé rachète un club de foot : récit de la descente aux enfers du Stade Malherbe Caen
Le Stade Malherbe Caen (SMC) a-t-il enfin touché le fond pour commencer à remonter ? Depuis le début de la saison 2024-2025, le club de football normand enchaîne les contre-performances. Au bout de 24 journées, il pointe à la dernière place du classement de la Ligue 2 avec 4 victoires, 4 matches nuls et 16 défaites.
Les Rouges et Bleus s'acheminent tout droit vers le National, le troisième échelon français, pour la première fois depuis 1985. Ils viennent de battre le triste record de défaites consécutives en Ligue 2 (9 !) et pointent désormais à neuf points du barragiste Clermont.
Le point du matche nul arraché samedi 22 février contre Pau (2-2) fait figure de minuscule lueur d'espoir alors que la nouvelle direction venait de lancer l'opération de la dernière chance : l'arrivée du troisième entraîneur de la saison, Michel Der Zakarian, et surtout la première visite officielle de Kylian Mbappé en terre normande.
La superstar française, propriétaire du club depuis l'été, a débarqué discrètement en Normandie, jeudi 20 février, au lendemain de son flamboyant triplé en Ligue des champions contre Manchester City. Après avoir rencontré les joueurs et les salariés, il a tenté de rassurer sur la situation.
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“Je voulais venir avant mais ça n’a pas été possible. C’était important pour moi d’apporter mon soutien. Encore plus dans la situation actuelle”, a-t-il déclaré, la mine grave, dans une courte déclaration à la presse sur le parking du stade d’Ornano. “Mais le football a montré que rien n’est impossible."
Des paroles qui ressemblent à la méthode Coué tant le happy end parait loin. Loin aussi des ambitions affichées lors du rachat. Comment en est-on arrivé là ?
Kylian Mbappé à Caen, la belle histoire
Tout commence le 31 juillet 2024. Alors que les Jeux olympiques battent leur plein, un communiqué en provenance de Normandie étonne les fans de football français. Le clan Mbappé, via son fonds d'investissements Coalition Capital, rachète le Stade Malherbe Caen pour 20 millions d'euros. Une manière pour le néo-Madrilène de démontrer en actes tout son attachement au football français.
Le club normand possède plusieurs atouts : malgré sa stagnation en Ligue 2 depuis 2019, il est fermement ancré dans le monde professionnel. Il possède un centre de formation au savoir-faire reconnu qui sait cultiver sa proximité avec le bassin de talents de la région parisienne. Le tout pour un prix d'entrée plus modique que celui d'un club de Ligue 1.
“La rumeur bruissait depuis des semaines mais personne ne voulait réellement y croire. À ce moment-là, il y a un immense espoir parmi les supporters. Quand on est racheté par le meilleur joueur du monde, ça ne peut être que positif”, raconte Nicolas Claich, journaliste pour Sportacaen.fr et chargé notamment du suivi du Stade Malherbe.
L'histoire est également belle pour les supporters locaux qui aiment rappeler que le prodige français a failli débuter en rouge et bleu : à l'âge de 12 ans, alors que le Real Madrid et l'AS Monaco étaient sur les rangs pour récupérer la pépite, le Stade Malherbe tenait la corde avec son projet combinant football, éducation et plan quinquennal pour son passage en professionnel. Une descente malheureuse en Ligue 2 cette année-là va compromettre le projet Mbappé du SMC. Le Bondynois filera à Monaco et la suite appartient déjà à l'histoire.
Un organigramme flou
La prise de pouvoir de la famille Mbappé se concrétise rapidement par le départ de l’ancienne équipe dirigeante : le président Olivier Pickeu, le directeur sportif Yohan Eudeline, et plusieurs cadres administratifs sont écartés. Une procédure habituelle dans pareille opération. Sauf que la nouvelle équipe ne sera officialisée que mi-septembre, en raison de contraintes administratives.
Et dans l’intervalle ? Le flou. Personne pour prendre les décisions, notamment sur le mercato estival, ou pour répondre aux coups de fil. En l’absence de direction, l’entraîneur Nicolas Seube se retrouve seul en première ligne pour justifier la politique sportive.
Dans l’histoire du stade Malherbe, le natif de Toulouse a une place à part. Rareté du football moderne, Nicolas Seube a fait l’intégralité de sa carrière au SM Caen. Puis, il a rejoint le staff avant d’accéder au poste d’entraîneur pour redresser la barre lors de la saison 2024. En s’appuyant sur le centre de formation, son équipe finit à la porte des barrages d’accession à la Ligue 1.Il est tout simplement surnommé "Ce héros" par les supporters.

En cette nouvelle année sportive, la dynamique est tout autre. Le Stade Malherbe commence la saison 2024-2025 avec quatre défaites consécutives : "À ce moment-là, Nicolas Seube semble serein. Il fait bonne figure en public et je pense qu’il l’était réellement. Il assure avoir des contacts réguliers avec la nouvelle direction qui travaille dans l’ombre", se souvient Nicolas Claich, également auteur de “Pascal Théault : ‘Je suis né à Malherbe’: L'amour du foot”.
L’éclaircie arrive avec la fin de l’été. Dans la foulée du premier point obtenu par Malherbe, la nouvelle direction est officialisée, même si le profil du président pose question : Ziad Hammoud, un proche de Kylian Mbappé, appartient davantage au sérail financier que sportif. Dans sa première prise de parole, il assume d’ailleurs ne pas voir son rôle comme un emploi à plein temps : "Je ne serai pas là tous les jours", concède-t-il à Ouest-France
Le club enchaîne ensuite deux victoires et tout le monde pense que le pire est enfin derrière. Las, le soufflé retombe et les contre-performances s’enchaînent. Recrue phare, l’ex-international Yann M'Vila, un proche des Mbappé, se blesse rapidement.
“Les matches s’enchaînent. La confiance s’étiole. Il n’y a pas de perspectives de renfort. Le retard pris durant l’été a plombé l’équipe”, analyse Nicolas Claich.
Aux côtés de Ziad Hammoud, l’arrivée de Gérard Prêcheur en tant que directeur technique fait davantage l'unanimité. L’ancien formateur de Mbappé à l’Institut national du football de Clairefontaine et ex-entraîneur des équipes féminines de l’OL et du PSG, lance plusieurs chantiers : création d’une cellule de performance, agrandissement de la salle de musculation, recrutement d’un cuisinier renommé pour progresser en nutrition, uniformisation des systèmes de jeu dans les équipes de jeunes… Les petits détails qui font les grands clubs. Mais l’expérience tourne court. En conflit avec Ziad Hammoud, il quitte – ou on lui fait quitter – le club début janvier.
Dans la presse, l’interventionnisme de Fayza Lamari, mère de Kylian Mbappé, crispe aussi en interne, d’autant qu’elle n’a pas de rôle officiel à l’organigramme. Certains médias, comme RMC, vont jusqu'à dénoncer l'opacité de la gouvernance et son culte du secret.
"Je ne parlerais pas d’opacité mais il y avait clairement un déficit de communication", explique Nicolas Claich, qui confie avoir du mal à trouver des interlocuteurs pour le suivi de l’actualité du club. "Pour Caen, c'est quelque chose d’assez nouveau. Ça a contribué à installer une défiance : la nouvelle direction a commencé à être vue comme des Parisiens déconnectés des réalités locales."
Le départ de Nicolas Seube
Quand le stade Malherbe va mal, il y a un signe qui ne trompe pas dans les réveillons de Noël en Normandie. Les locaux se redécouvrent des passions pour le hockey, le basket ou encore le handball. Autant dire qu'en cette année 2024, c'est surtout le Caen Basket Calvados, cher à Nicolas Batum, ou encore les Drakkars qui sont évoqués à table.
La situation est alors critique. L'équipe de Nicolas Seube a conclu l’année 2024 avec une élimination de la Coupe de France à Guingamp, tandis qu’en championnat le SMC végète désormais à une sinistre place de barragiste. Le 29 décembre, le couperet tombe. Un communiqué de cinq lignes, lapidaire, expédie le départ de Nicolas "Ce héros" Seube et ses 24 années au club. La pilule est amère.
"Les supporters l’ont mal pris même si Ziad Hammoud assure que le communiqué a été écrit avec l'intéressé. Ce n'est pas tant la décision que la manière qui ne passe pas", relate Nicolas Claich.
La direction mise sur un ressort classique : l'arrivée d'un nouvel entraîneur pour relancer une dynamique. Mais le casting laisse perplexe : Bruno Baltazar, entraîneur portugais inconnu au bataillon, avec un parcours de globe-trotter chaotique (14 clubs en autant d'années). Seul fait d'armes : un titre de champion de Chypre. Sans sourciller, à sa conférence de presse d'arrivée, il affirme : "Vous pouvez dire de moi que je suis un rêveur, naïf, stupide, mais mon rêve est d'amener ce club en Europe."
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"Pour sa défense, Bruno Baltazar était un entraîneur agréable, que ce soit dans ses relations avec la presse et les supporters. Malgré la situation, il n’a jamais hésité à aller au contact. D'ailleurs, les supporters ont toujours affirmé que les attaques n'étaient pas personnelles", rappelle Nicolas Claich
La grogne des supporters
Le départ de Nicolas Seube casse quelque chose. Pour les supporters, patients jusqu'ici, la coupe est pleine. La mobilisation commence dès le premier match de Bruno Baltazar, face à Clermont. De multiples banderoles fleurissent : "Ici, seul le travail et la fidélité font les légendes", "Nicolas Seube est une belle personne, c'est quelqu'un qui va compter" mais aussi "Avant de vouloir rayonner à l'international, respectez les figures locales" et surtout le direct "Mbappé, le SMC n'est pas ton jouet." Le match se solde par une défaite.
Parallèlement, le poste de directeur du recrutement est enfin pourvu. Reda Hammache, un ancien du Red Star, débarque à la mi-janvier. À 15 jours de la fin de la fenêtre de transfert, difficile de réaliser un mercato hivernal convenable.
Mais les défaites s'accumulent tout au long des mois de janvier et février. Bruno Baltazar ne fait guère mieux que Nicolas Seube. Il est débarqué après sept défaites consécutives, ce qui lui a valu un surnom auprès des supporters : "agent 007" pour 0 victoire, 0 match nul et 7 défaites.
"C'est difficile de faire pire sur le plan comptable. À la vue des résultats, il est tentant de parler d'erreur de casting. Mais je parlerais plutôt d'erreur de timing. Il venait pour mettre en place une méthodologie et des idées. Ça aurait pu marcher en début de saison. Sauf que là, il a pris en main une équipe en déficit de confiance. Il n'a pas été aidé par les évènements avec des matches perdus sur des scénarios improbables", rappelle Nicolas Claich.
Le spectre de la descente en National
Quand la famille Mbappé est arrivée à l’actionnariat du Stade Malherbe Caen, elle venait pour un projet à long terme : ramener le club en Ligue 1, l’y stabiliser et en faire le fer de lance du football normand. Forcément, une descente en National pourrait sonner le glas de tout ça, ou du moins porter un énorme coup d’arrêt aux ambitions du nouvel actionnaire.
Antichambre de l'élite, la National est une division bâtarde où les plus gros clubs amateurs font face à des clubs pros ou anciennement pro. Et la lutte est dure pour s’en extirper. Plus d’un club, à l’image de la Berrichonne de Châteauroux ou de l’US Orléans, en ont fait la rude expérience.
Une descente au troisième échelon entraîne surtout une claque financière : moins de sponsors, moins de recettes de billetterie et surtout la fin de la manne des droits TV. Tous les précédents propriétaires de Caen l’ont dit : Malherbe vit au-dessus de ses moyens et est en déficit structurel. La relégation risquerait fort de se transformer en plan social pour une partie des 160 salariés.
"Il y a de l’inquiétude mais, devant les salariés, Kylian Mbappé a assuré qu'il assumera ses responsabilités d'actionnaire. On ne sait pas vraiment ce qu'il veut dire. Est-ce qu'il veut dire qu'ils maintiendront les emplois un an le temps d’une remontée ?", interroge Nicolas Claich. "Les investissements continuent en parallèle. Un nouveau préparateur physique est arrivé. Pascal Plancque a pris la succession de Gérard Prêcheur à la direction technique… Mais difficile de maintenir le train de vie actuel en National."
Opération de la dernière chance
Pour éviter le scénario catastrophe, la direction a abattu mi-février sa dernière carte avec le licenciement de Bruno Baltazar et l’arrivée de l’expérimenté Michel Der Zakarian, habitué des opérations commandos pour le maintien. Malgré la situation comptable, le vieux briscard du football français (379 matches en L1, 229 rencontres en L2) y croit.
"Je suis là pour maintenir le club", a clamé haut et fort le technicien de 62 ans lors de sa présentation à la presse en marge du passage de Mbappé à Caen. "On va tout mettre en œuvre, avec le public qu'il y a ici, pour changer la dynamique. On attend qu'il nous aide à ce que les joueurs se subliment pour gagner des matches."
Sa première rencontre a eu le mérite de stopper l'hémorragie. Les Caennais ont obtenu à domicile contre Pau leur premier point en championnat depuis trois mois jour pour jour, et auraient même pu espérer mieux après avoir raté un penalty. Mieux, ils ont réduit l’écart avec Clermont, qui occupe actuellement la 16e place, celle de barragiste.
La rencontre face aux Auvergnats, vendredi 28 février, fait désormais figure de match de la dernière chance. Une victoire et l’actuel triste situation au classement pourrait s’en trouver grandement améliorée. La lueur d’espoir entrevue contre Pau se transformerait alors en lumière au bout du tunnel : après tout, "le football a démontré que rien n’est impossible"...