CAN 2025 : Stefano Cusin, un philosophe planétaire au service des Comores

"S'il n'y avait pas cette passion pour le football, j'aurais certainement été archéologue ou pilote de ligne. Je voulais voyager, rencontrer d'autres cultures…" Infatigable voyageur, Stefano Cusin a posé ses valises aux Comores depuis octobre 2023. Il y est un sélectionneur comblé. D’une part, en raison des résultats sportifs de son équipe, qualifiée avec brio pour la CAN 2025, terminant même pour la première fois de son histoire en tête de son groupe d'éliminatoires. D’autre part, par sa découverte de l’archipel de près de 900 000 habitants.

"J'ai travaillé en Iran, en Angleterre, en Palestine, en Bulgarie, à Chypre…", énumère-t-il. "Je ne classe pas mes expériences. Pour moi, la Premier League est aussi enrichissante que la Ligue 1 sénégalaise. Mais je pense aujourd'hui que les Comores sont la meilleure équipe que j'ai entraînée."

"Comme tous les pays d'Afrique, les Comores sont un pays de football. C'est spécialement vrai, c'est un petit pays en nombre d’habitants. Le foot permet une visibilité. Les gens sont fiers quand on bat le Ghana, la Tunisie ou le Madagascar voisin", continue Stefano Cusin. "Ce pays est constitué de trois îles, le football est aussi un moyen d'unir les gens. Cette équipe a une âme."

Comme à la maison au Maroc

Les heures passent comme des minutes en écoutant Stefano Cusin, rencontré en marge du tirage au sort de la CAN 2025 au Maroc. Quand l'entraîneur de 56 ans parle football, la culture et la philosophie ne sont jamais loin. Et son humilité de tous les instants n'empêche pas l'ambition alors que le hasard a offert à ses Cœlacanthes l'honneur du match d'ouverture face à l'hôte marocain et grand favori de la Coupe d'Afrique, en plus du Mali et de la Zambie.

"La pression est sur les épaules du Maroc pour ce match d'ouverture. Ils ont fait une demi-finale de Coupe du monde, ils ont battu l'Espagne et le Portugal. Quant aux autres, on ne saura qu'en décembre si c'était un bon ou un mauvais tirage. À la CAN, il y a toujours des surprises. Il faut être prêt le jour J", annonce Stefano Cusin.

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"En l'absence de stades homologués aux Comores, on a joué quasiment tous nos matches des éliminatoires au Maroc. Avant ça, j'étais l'entraîneur du Soudan du Sud et, là aussi, on jouait au Maroc. On sera à la maison", dit en souriant le sélectionneur, avec un humour qui fait aussi partie de sa panoplie.

Citoyen du monde, à l'aise partout. Une attitude qui vient probablement de son histoire personnelle. Stefano Cusin est né "par accident", selon ses mots, au Canada, de parents italiens, le 28 octobre 1968. Il a ensuite grandi en France.

Après une très modeste carrière de joueur en France métropolitaine, en Guadeloupe et en Suisse, Stefano Cusin décide de se reconvertir : il sera entraîneur. Une vocation qui va très vite l'amener aux quatre coins de monde. D'abord dans sa patrie d'origine, l'Italie, mais très vite ailleurs, et notamment en Afrique. De 2003 à 2004, il entraîne la sélection des moins de 20 ans du Cameroun, puis signe au Njalla Quan Sport Academy de Limbé en 2005. Deux ans plus tard, il devient directeur technique de la Fédération congolaise de football, où il supervise toutes les sélections nationales du pays.

Du thé dans un bunker à Gaza

Mais Stefano Cusin ne tient pas en place, même l'Afrique ne lui suffit pas. Alors l'Italien enchaîne les expériences : Bulgarie, Émirats arabes unis, Arabie saoudite, Chypre, Angleterre, Afrique du Sud, Iran, Libye… Logique quand on a soutenu une thèse pour la licence pro de l'UEFA intitulée "Être un entraîneur à l'étranger".

Pour le globe-trotteur, il ne faut jamais venir avec ses idées mais toujours s'adapter. "Avant de vouloir imposer vos idées et votre personnalité, il faut comprendre le contexte", énonce-t-il.

L'entraîneur italien a de multiples anecdotes qui illustrent cette philosophie de vie et de travail. "Je savais que je croyais en Dieu mais ce n'est qu'une fois en Palestine que je m'y suis vraiment intéressé. J'ai commencé à lire sur l'histoire des religions. Je faisais l'entraînement le matin et l'après-midi et j'allais visiter les lieux saints", raconte-t-il. "En Iran, je vivais à Machhad, une des villes saintes. Ça permet de mieux comprendre les chiites."

Stefano Cusin dirigeant un entraînement de l'Ahli al-Khalil, le club de Hébron, en Cisjordanie.
Stefano Cusin dirigeant un entraînement de l'Ahli al-Khalil, le club de Hébron, en Cisjordanie. © Hazem Bader, AFP

Au fil de ses pérégrinations, il a dû assister à des mariages, des funérailles et des repas. Anecdotique ? "Si tu ne le fais pas, tu ne montres pas ton respect envers la famille, le club ou la ville où tu es. Et donc tu n'es pas accepté", note Stefano Cusin.

Partout, un même fil conducteur pour se relier aux cultures qu’il découvre. Et qui l'a parfois amené à côtoyer des personnages politiques de premier plan. Si le Français Guy Roux avait souvent fait parler de lui en raison de ses liens avec Fidel Castro, Stefano Cusin a, lui, côtoyé le Libyen Mouammar Kadhafi qui était le président de son club quand il était entraîneur de l'Al-Ittihad. Il a aussi croisé en 2015 Ismaïl Haniyeh, alors dirigeant de l'enclave de Gaza mais qui deviendra deux ans plus tard le chef du Hamas.

"Avec mon club d'Ahli al-Khalil, nous avons eu la chance d'aller à Gaza disputer la Supercoupe de Palestine. Et nous avons alors été reçus par Ismaïl Haniyeh. Il était déjà sur la liste noire des États-Unis. Il nous a accueillis, mes joueurs, mon staff et moi dans son bunker. On a pris le thé et pendant deux heures, nous avons parlé football", raconte-t-il. "C'est la beauté du football : relier des gens qui n'ont rien à voir."

Une ouverture d'esprit et une capacité à voir le verre à moitié plein à chaque étape de la vie. Quand il signe aux Comores en octobre 2023, une crise couve entre les joueurs et la fédération. Alors que Stefano Cusin doit commencer sa mandature avec un match amical contre le Cap-Vert, une partie des cadres refuse de venir en équipe nationale.

"Les difficultés font partie de la vie. Ce n'est jamais un long fleuve tranquille. C'était une bonne chose que le problème sorte à ce moment-là. Sans les cadres présents, j'ai pu évaluer le potentiel des jeunes", élude-t-il. "Après ce match [remporté 2-1, NDLR], on s'est assis avec les joueurs, on a convenu qu'il fallait que chacun y mette du sien pour arriver à un équilibre pour le bien de la nation. C'était un début difficile mais peut-être aussi nécessaire."

Le "meilleur moment" possible pour reprendre les Comores

L'Italien est arrivé à un moment charnière de l'histoire du football comorien. Après avoir vécu une qualification historique pour la CAN 2022 puis une épopée au Cameroun grâce notamment à l'impulsion d'Amir Abdou, le soufflé est retombé. Younes Zerdouk, ancien adjoint, n'a pas réussi à profiter de l'élan et les Cœlacanthes n'ont pas eu de ticket pour la Côte d'Ivoire. "Après cette première qualification, il y avait beaucoup d'attente envers l'équipe. Les Comores étaient passées du rôle d’outsider à challenger et ont eu du mal à s'adapter", analyse-t-il. "Quand j'ai repris l'équipe, c'était peut-être le meilleur moment possible pour le faire. Il fallait rebâtir mais il y avait un patrimoine important."

La suite, on la connaît. Sous sa houlette, les Comores réalisent les meilleures éliminatoires de Coupe d'Afrique de leur histoire. Ils terminent invaincus, remportent la victoire en Tunisie – alors que les Aigles de Carthage n'y ont plus perdu depuis 2012 –, et battent le voisin malgache : "Un match au-delà du football. On venait de se qualifier contre la Gambie. On arrivait à ce match-là tranquilles, relax. J'avais fait tourner un peu l'effectif de façon à ce que tout le monde puisse faire partie de la fête. Il y a eu un vrai match et à la fin, on l'emporte", savoure-t-il. "C'est le genre de match qui peut nous aider à nous améliorer, à avoir plus confiance dans nos qualités."

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Après ce match, il a changé de dimension aux Comores. En témoigne l'accueil lors de son retour après ce derby de l'océan Indien.

Partout où il est passé, Stefano Cusin a démontré sa capacité à transformer ses équipes en formations compétitives. Il met cela sur le compte de ses préceptes footballistiques, "100 % made in Italie".

"J’aime que défensivement, tout soit bien organisé, mais j’ai la conviction profonde qu’offensivement, il faut laisser beaucoup de liberté aux joueurs", résume Stefano Cusin. "Et une sélection ne se gère pas comme un club. On a peu de joueurs sous la main. Donc la philosophie, c’est de bien choisir les hommes au départ et de donner deux ou trois informations claires à suivre. Mais ce serait exagéré de dire qu’on peut faire plus." Enfin, dernier précepte selon maître Cusin : ne jamais se fixer de limites et toujours essayer de s'améliorer. "Quand on bat la Tunisie chez elle, ça fait douze ans qu'elle n'a pas perdu. Dans la causerie d'avant-match, j'ai insisté sur le fait qu'on venait pour gagner et pas juste être solides défensivement."

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Dans la course à la Coupe du monde 2026, les Comores sont également bien partis. "On ne s'interdit pas de rêver", lâche l'entraîneur, alors que les Comores pointent en tête après quatre rencontres. "Les deux matches contre le Mali seront déterminants."

Quand on parle du loup… Ou plutôt quand on parle du druide, on en voit le bout de la barbe blanche. Alors que Stefano Cusin chante les louanges des Comores surgit de nulle part Tom Saintfiet, le sélectionneur belge des Aigles. Les deux hommes interrompent l'interview pour échanger embrassades, amabilités et compliments.

"On ne se quitte plus. On a trois matches l'un contre l'autre cette année", dit en s'esclaffant le débonnaire sélectionneur du Mali. "C'est un Italien. Il parle beaucoup mais c'est un super entraîneur et une super personne. Il faut le dire !"

"Je suis sûr qu'il dit ça à tous les sélectionneurs qu'il croise", le taquine son homologue, qui loue de son côté "l'homme qu'il manquait au Mali pour remporter une CAN". Le groupe vit bien dans la confrérie des globe-trotteurs du football.