L’influence d’un économiste "iconoclaste" sur la guerre tarifaire sino-américaine

Comme promis, Donald Trump continue à sortir la grosse artillerie tarifaire. Cette fois-ci, le président-élu américain (officiellement en poste à partir du 20 janvier) a affirmé lundi 25 novembre qu’il comptait non seulement imposer des taxes supplémentaires sur les importations chinoises mais également de nouveaux droits de douane sur les biens en provenance du Mexique et du Canada.

Sur X, cette annonce n’a pas plu à un économiste nord-américain : Michael Pettis. Ce spécialiste de finance internationale et enseignant à l’université de Pékin a qualifié la proposition de "contre-productive".

Apprécié aussi bien des trumpistes que des démocrates

Michael Pettis n’est, certes, pas le seul économiste à s’en être pris à cette promesse trumpienne d’instaurer toujours plus de droits de douane.

Mais ses critiques sont susceptibles de porter plus loin dans la "magasphère" que celles d’autres détracteurs de cette politique économique. D'abord parce qu'il est considéré comme l'un des plus éminents experts des questions financières chinoises. Ensuite, le Washington Post a fait de Michael Pettis le champion d’une "vue économique alternative" offrant une "justification idéologique" à l’obsession des droits de douane de Donald Trump.

Robert Lighthizer, grand manitou des droits de douane contre la Chine et conseiller pour le commerce de Donald Trump durant son premier mandat (2016-2020), considère Michael Pettis comme ayant eu une "influence importante" sur sa manière de voir le commerce international, souligne le Wall Street Journal. Ce "faucon" du conflit commercial sino-américain a d’ailleurs cité Michael Pettis dans son livre de 2023 "No Trade if free" ("Aucun commerce n’est gratuit") qui traite de la manière d’aborder le rapport de force commercial avec la Chine.

Contacté par France 24, Michael Pettis refuse d’être un "économiste avec une étiquette partisane". "Il y a des individus à la fois dans l’administration de Joe Biden et dans l’entourage de Donald Trump qui sont d’accord avec moi sur les questions de commerce international", souligne cet économiste. Ainsi, Katherine Tai, la secrétaire au Commerce du gouvernement de Joe Biden, a, elle aussi, fait référence à lui, souligne le Washington Post. Il a également conseillé les gouvernements mexicain, macédonien et sud-coréen

Sa vision ne se résume, en effet, pas seulement à une soi-disant justification des droits de douane. À ses yeux, ces taxes ne sont d’ailleurs qu’un "des outils qu’[il] propose d’utiliser pour réduire le déficit commercial avec la Chine", assure-t-il. Il a notamment aussi suggéré de taxer les investissements directs étrangers.

Ses tweets sur les dernières annonces du président-élu américain prouvent d’ailleurs qu’il n’est pas sur la même longueur d’onde maximaliste que Donald Trump.

Haro sur le déficit commercial

Mais pour comprendre les prescriptions du Dr Pettis, encore faut-il revenir sur son constat de la situation que le Washington Post qualifie "d’iconoclaste" ou de "pensée à contre-courant". Des qualificatifs, d’ailleurs, qu’il récuse. "Je suis seulement iconoclaste aux yeux de ceux qui ne connaissent pas grand-chose à l’histoire économique. Ce n’est neuf que dans le contexte de la pensée néolibérale qui domine les débats économiques depuis 30 à 40 ans", assure-t-il.

"Il est vrai que son constat n’est pas dénué de sens", reconnaît Angelo Delis, spécialiste du commerce international à l’université Aston de Birmingham, qui se range pourtant lui-même dans la catégorie des économistes libéraux.

Michael Pettis n’est pas d’accord avec "l’idée qui a longtemps prévalu que le déficit structurel du commerce américain [plus d’importations que d’exportations, NDLR] n’était pas forcément une mauvaise chose", souligne Renaud Foucart, économiste à l’université de Lancaster (Angleterre) qui a écrit sur les politiques économique de Donald Trump. Ce solde négatif de la balance commerciale vient du fait que pendant longtemps tout le monde – à commencer par la Chine – voulait des dollars, la devise stable par excellence, et voulait investir dans la première économie du monde. Conséquence : la valeur du dollar, surtout par rapport au yuan chinois, a grimpé, ce qui n’est pas bon pour les exportations américaines, mais permet d’importer moins cher. "Dans la vision économique traditionnelle, les consommateurs américains sont gagnants car ils profitent de cet afflux de produits pas chers venus de l’étranger", explique Renaud Foucart.

Le revers de cette médaille, ce sont ces industries exportatrices américaines qui sont à la traine, et les délocalisations qui ont provoqué notamment la fameuse crise de la "Rust Belt" (la ceinture de l’industrie lourde aux États-Unis). Les habitants des États qui la composent – Michigan, Iowa, Wisconsin – ont largement contribué à la victoire de Donald Trump en 2016. "C’est le délicat équilibre du commerce international. Dans l’ensemble, il peut être bénéfique à un pays comme les États-Unis mais peut faire beaucoup de mal à une catégorie de population, qui peut devenir politiquement très importante", résume Angelo Delis.

Car ces électeurs avaient besoin d’un coupable. Et c’est là que les explications de Michael Pettis ont permis au camp pro-Trump de cibler la Chine. "Les pays qui ont un large surplus [de production ou commercial] comme la Chine ou l’Allemagne des années 2000 exportent leur problème domestique, qui est qu’ils n’arrivent pas ou ne veulent pas relancer leur consommation intérieure", résume Michael Pettis. Là encore, rien de révolutionnaire : "L’idée que des pays comme la Chine utilisent des méthodes de dumping social [imposer, notamment, des salaires bas afin de de pouvoir vendre les produits moins chers, NDLR] et de subventions des exportations n’est pas nouvelle", souligne Léo Charles, économiste et spécialiste de l’histoire du libre-échange et du protectionnisme à l’Université Rennes 2.

Des droits de douane, mais pas que...

Mais cela a permis à des conseillers de Donald Trump, comme Robert Lightizer, de suggérer qu’il suffit de sanctionner la Chine qui abuserait des règles du commerce international pour redémarrer le made in America. D’où le premier conflit commercial à partir de 2018, et la promesse d’une suite dès janvier 2024.

Surtout que Michael Pettis défend l’idée des droits de douane… mais avec une nuance. "Ce qui est assez nouveau avec lui, c’est qu’il dit ouvertement qu’il vaut mieux avoir une hausse des prix des importations, liées à l'instauration des droits de douane, si cela permet de réduire le déficit commercial", souligne Renaud Foucart. Les nouvelles taxes sur les importations prévues par Donald Trump devrait augmenter les prix de plus de 1 700 dollars par an pour un foyer américain, d’après une étude publiée en août.

Mais pour Michael Pettis, ce n’est pas non plus une fatalité. "On dit souvent que les droits de douane font baisser la consommation [parce qu’ils entraînent la hausse des prix des importations, NDLR], mais ce n’est pas vrai si en même temps on augmente la production nationale plus rapidement", assure-t-il.

Ce qui revient à dire qu’il "ne faut pas utiliser les droits de douane comme une fin en soi, mais comme un moyen", souligne Léo Charles. Par exemple, Joe Biden a maintenu les tarifs de l’ère Trump – il en a même rajouté sur les voitures électriques chinoises – "tout en dépensant des milliards de dollars dans des zones qui sont politiquement et historiquement des zones dans lesquelles Joe Biden avait vraiment envie d'avoir de l'emploi", ajoute Renaud Foucart. Le gouvernement Biden a notamment dépensé plus de 500 millions d'euros pour relancer l'industrie de l'acier à Middletown, ville de l'Ohio dont est originaire J.D. Vance, le futur vice-président de Donald Trump.

Pour l’heure, Donald Trump semble faire des nouveaux droits de douane l’alpha et l’omega de son approche économique en "espérant que les prix vont magiquement rester les mêmes", critique Renaud Foucart. Parce que la réindustrialisation va repartir toute seule ? C’est d’ailleurs l’une des principales critiques adressées à l’analyse de Michael Pettis par les experts interrogés par France 24. Une lecture à travers un prisme 100 % déséquilibre commercial qui peut ignorer d'autres facteurs, comme l'inflation ou les répercussions économiques du Covid-19. "La désindustrialisation et la pauvreté dans certaines zones sinistrées sont certes liées au déficit commercial, mais il y a d’autres facteurs qui ne sont pas pris en compte dans cette grille de lecture", conclut Léo Charles.