Les malvoyants, grands oubliés des compétitions sportives dans les stades
Il y a un bientôt un an, la France donnait le coup d’envoi des Jeux olympiques de Paris 2024 avec un slogan ambitieux : «Ouvrons grand les Jeux» . Faire plus pour partager les émotions au plus grand nombre, c’était la promesse pour les 20% de la population mondiale atteinte d’un handicap de pouvoir bénéficier d’une parenthèse olympique accessible et inclusive, alors que la moitié d’entre elle n’a jamais assisté à un événement en direct. 280.000 billets avaient ainsi été mis en vente pour les personnes en situation de handicap (PSH). Pour les déficients visuels, un service d’audiodescription faisait son apparition pour la première fois dans l’histoire des Jeux, couplé à différentes innovations comme la «Vision Pad», cette tablette développée par la start-up toulousaine «Touch2See». Formés en amont, les volontaires de Paris 2024 se servent d’un stylet connecté en wifi aux tablettes des spectateurs pour déplacer un aimant qui fait office de balle. En cas de buts, fautes, corners… La tablette vibre à une intensité plus ou moins élevée.
Des efforts louables, mais insuffisants pour une partie des acteurs de la profession, comme Frédéric Gonant, audiodescripteur pour M6 lors des Jeux, interrogé par Le Figaro en juillet 2024 : «Il n’y a eu aucune concertation avec les associations et les experts de l’audiodescription. Par ailleurs, seules 6 disciplines olympiques sur 47 seront audio décrites.» Même chose pour les épreuves paralympiques. Seules 9 disciplines ont été audio décrites, et la vocalisation couplée avec la technologie Vision Pad n’était disponible que pour le rugby-fauteuil et le basket-fauteuil. Une première timide donc, mais qualifiée de très encourageante par Charly Simo, président de l’association ASA (All Services Access), qui a remporté le marché public pour mettre en place l’audiodescription sur les JO 2024 : «Notre leitmotiv en créant cette association, c’était de vulgariser l’audio description et de permettre à tous déficients visuels de pouvoir participer et assister aux compétitions de son choix. Les JO ont été un accélérateur de ce process. Nous en sommes très fiers.»
L’élan des Jeux face à la réalité du terrain
Au total, ce sont une cinquantaine d’audiodescripteurs, des étudiants pour la plupart et formés par l’association, qui ont été mobilisés durant quasiment un mois (Jeux olympiques et paralympiques confondus). Une application développée par Paris 2024 permettait aux bénéficiaires et à ceux qui le voulaient d’accéder à l’audiodescription. ASA, qui bénéficiait d’une expérience solide dans le commentaire sportif en audiodescription depuis sa création en 2016, a eu les faveurs de Paris 2024 pour son fonctionnement associatif et peu onéreux pour les organisateurs.
«Sur les Jeux, nous nous sommes défrayés d’une pige pour les jeunes journalistes. Paris 2024 nous a dit que le budget prévisionnel que l’on avait était deux fois moins élevé que la plupart des autres structures», précise Charly Simo, qui sait mieux que quiconque à quel point l’aspect financier peut être un frein pour le développement de son activité : «Notre but en tant qu’association, ce n’est pas de charger financièrement les structures qui veulent mettre en place ce service (…) Ce sont donc des services additionnels et c’est parfois très complexe de convaincre les gens de leur importance. Je peux aussi comprendre que les structures n’ont parfois pas connaissance de la demande, qui peut être minime.»
Julien Wachowski, qui a fait partie de l’aventure ASA en tant que responsable du pôle Marseille jusqu’aux Jeux, a décidé de créer sa propre association, W Sports, dans la cité phocéenne au début de l’été 2024. Accompagné de plusieurs anciens de l’association dont son associé Vincent Volume, il a décidé de professionnaliser l’audiodescription et de donner du poids à ceux qui la pratiquent : «Pendant des années, l’audiodescription a été proposée de manière totalement bénévole par les acteurs. Nous, on veut valoriser la formation, l’expérience des audiodescripteurs en les rémunérant à la mission.»
Aujourd’hui, il travaille notamment avec l’Olympique de Marseille, qui possède déjà son propre matériel, et plusieurs structures sportives des environs. Il se félicite également de voir les fédérations se saisir de cette problématique d’inclusivité dans les enceintes sportives. Le 17 avril dernier, une réunion a eu lieu avec des délégués du ministère du handicap et du ministère des sports, et d’autres devraient être organisées dans les prochains mois. Une prise de conscience favorisée par les JO selon Julien Wachowski : «On ne peut plus dire “on peut faire des choses”, on l’a fait. Maintenant, c’est “pourquoi on ne le fait pas ?” Mon rêve et mon envie profonde, c’est de systématiser l’audiodescription partout.»
Toulouse, ville modèle de l’audiodescription sportive
Une des pistes évoquées par le jeune trentenaire serait d’intégrer l’audiodescription dans les règles d’accessibilité, comme c’est le cas avec les places PMR qui sont proposées dans chacune des enceintes françaises. Pour cela, il faudra pouvoir compter sur des partenaires institutionnelles. À Toulouse, la mairie est allée encore plus loin puisqu’elle a décidé de proposer elle-même son service d’audiodescription dès 2018. Avec le matériel déjà présent depuis l’Euro 2016, elle s’est lancée dans la mise en place de ce service, d’abord au Stadium pour les matches du Toulouse FC, avant de l’étendre à différents sports (rugby, basket, handball…). Une application gratuite sur téléphone permet à n’importe quel spectateur présent de vivre les événements, commentés par des étudiants en journalisme des trois écoles partenaires (ISCPA, ISJT et Sudformadia). Chaque année, le dispositif évolue et permet d’attirer un nouveau public de néophytes. Quatre salariés de la mairie sont désormais chargés de son bon fonctionnement (logistique, gestion du matériel…) en semaine comme les week-ends.
Maxime Arcal, référent accessibilité à l’initiative du projet, n’y voit que des avantages : «C’est gagnant-gagnant puisque l’on peut se targuer d’être la seule ville au niveau européen à offrir ce service omnisports gratuitement, les écoles de journalisme puisque cela fait de l’expérience pour les étudiants, et pour les clubs puisque au niveau RSE, le fait de mettre en avant ce service est toujours intéressant et ils ne dépensent pas un centime.» En effet, la collectivité s’est engagée à prendre en charge le matériel, qu’elle met à disposition des clubs gratuitement, malgré un coût certain (8.000 euros). Aujourd’hui, 90 à 100 rencontres sont commentés chaque année dans la ville rose.
Le pari peut donc déjà être considéré comme gagnant, bien que Maxime Arcal voie encore plus loin : «Le but à terme, c’est que l’on puisse avoir 36.000 personnes connectées simultanément au Stadium. C’est peut-être un rêve pieux mais qui sait…» Au niveau national, l’exemple toulousain a inspiré bon nombre de collectivités et de clubs. Un motif d’espoir alors que la France est à la traîne par rapport à ses voisins, notamment pour le football. L’audiodescription est déjà présente dans tous les stades de Premier League et dans la plupart des clubs de rugby. En Belgique, elle est parfois assurée par des professionnels du secteur. À titre de comparaison, seuls huit clubs de l’élite du football français (Ligue 1 et Ligue 2 confondus) proposent un tel service. Deux autres pourraient bientôt compléter cette liste, dont le Paris Saint-Germain.