Santé mentale : les déplacés de Gaza confrontés à l’impossibilité de "retrouver leur vie d’avant"

Selon les autorités locales, près de 500 000 Palestiniens déplacés par la guerre dans la bande de Gaza sont rentrés chez eux depuis lundi 27 janvier, dans le secteur nord du territoire côtier, à la faveur de l'accord sur une trêve entre Israël et le Hamas, signé le 19 janvier.

Sur place, ils ont découvert l'ampleur des destructions provoquées par les bombardements israéliens après plus de 15 mois de guerre déclenchée par les attaques terroristes du Hamas et ses alliés sur le sol israélien, le 7 octobre 2023.

Selon le chef du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), Achim Steiner, '"entre 65 % et 70 % des bâtiments ont été entièrement détruits ou endommagés" par la guerre.

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En plus des habitations détruites, les routes et les infrastructures civiles sont dans un état désastreux, et le territoire plongé dans une grave crise humanitaire et sanitaire. D'après l'ONU, le niveau de ces destructions est "sans précédent dans l'histoire récente".

Ce retour dans un paysage apocalyptique n’est pas sans conséquence sur la santé mentale de la population, déjà traumatisée par des bombardements incessants, estime Katrin Glatz Brubakk, psychologue norvégienne à Médecins sans frontières, actuellement en poste à l'hôpital Nasser, à Gaza. Elle dit craindre "une hausse des problèmes de santé mentale" au sein d’une population qui espérait, avant d’être confrontée à la réalité, renouer avec sa vie d’avant.

Yinka Oyetade, de la chaîne anglophone de France 24, a recueilli son témoignage.

France 24 : Dans quel état psychologique sont les habitants qui sont rentrés chez eux, dans le nord de la bande de Gaza ?

Katrin Glatz Brubakk : J'ai rencontré un certain nombre d’entre eux et leur état d’esprit balance entre l’espoir suscité par le retour dans leurs quartiers, par le fait de revoir leurs voisins et de retrouver une vie normale, et l'incertitude qui plane sur leur avenir. La plupart des immeubles du nord de Gaza ayant été détruits, ils se demandent où ils vont vivre. Certains de ceux qui sont retournés sur place cherchent leurs proches toujours ensevelis sous les décombres. Des personnes qui ont tout perdu essaient de trouver dans les ruines de petits morceaux qui pourraient les relier à leur ancienne vie. Un collègue qui venait de rentrer dans le Nord m'a montré une photo de sa maison détruite. Sur place, il a retrouvé une bouilloire intacte. Il m'a dit que même si c'était la seule chose qu’il a pu récupérer, cette bouilloire incarne à ses yeux le souvenir de sa vie passée. Parce que lorsque vous avez tout perdu, le moindre petit morceau que vous parvenez à sauver prend de la valeur.

Parlez-nous de l'impact que cela peut avoir sur le psychisme d'une personne de marcher pendant de longues heures pour rentrer chez elle et découvrir que sa maison est complètement détruite ?

Pendant quinze mois, les gens ont entretenu l’espoir de pouvoir retrouver, une fois les bombardements terminés, leur vie d’avant. Mais confrontés à la réalité, ils ont dû se rendre à l'évidence que cela sera très, très difficile. Ils ne sont pas seulement épuisés par le long voyage qu'ils ont effectué pour rentrer chez eux, ils sont épuisés par des mois de bombardements intenses, qui ne laissaient aucun endroit de la bande de Gaza sûr et qu'en aucun cas ils ne pouvaient fuir. Je crains que nous assistions à une hausse des problèmes de santé mentale, en partie parce que, jusqu’ici, les habitants étaient focalisés sur les moyens de survivre et des problématiques quotidiennes comme trouver de l'eau et de la nourriture pour leurs enfants. Désormais, le fait d’avoir vu s’évanouir leur petit espoir de retour à une vie normale va provoquer, je pense, une très forte augmentation des syndromes traumatiques et des cas de dépression et d'anxiété.

Quelles sont vos conditions de travail à l’hôpital Nasser ? Vous permettent-elles de soigner les patients ?

Nous faisons de notre mieux. Depuis quinze mois, il y a un manque cruel d'équipements médicaux dans le territoire. En tant que psychologue, on aimerait bien sûr offrir beaucoup plus que ce que le contexte permet. Il y a tellement d'incertitudes qu’on ne peut pas offrir les traitements adéquats dont les habitants ont besoin, contre les traumatismes auxquels ils ont été exposés en continu pendant quinze mois. Des gens m'ont confié que durant cette période, ils avaient peur d'aller se coucher parce qu'ils ne savaient pas s'ils allaient se réveiller vivants. Des parents sont allés au travail sans savoir s'ils verraient leurs enfants vivants à leur retour, parce que personne ne savait où les bombes allaient tomber. Ce que nous pouvons faire de notre côté, c'est renforcer la résilience. En particulier celle des enfants, en leur offrant des moments de joie, une pause pendant laquelle ils peuvent oublier toutes leurs inquiétudes et les traumatismes subis. Et aussi les aider à réguler leur système nerveux, qui est très tendu. Parce que si nous ne le faisons pas, nous savons que cela peut se transformer en maladies chroniques et nuire à leur développement pour les années à venir.

Que pensez-vous de la décision du gouvernement israélien de rompre ses liens avec l'Unrwa, l’agence de l'ONU dédiée aux réfugiés palestiniens ?

Tout ce qui contribue à réduire l'aide à Gaza pose un énorme problème et nous inquiète beaucoup. C'est un pays (sic) qui est totalement dévasté. Tout est touché, tout le monde est affecté. Depuis le cessez-le-feu, il y a une augmentation de l'aide qui arrive sur place, mais c'est toujours à peu près la même quantité que celle qui entrait avant la guerre. Or les besoins sont énormes, et tout est nécessaire :  aide médicale, nourriture, vêtements, tentes et couvertures. Il faut également reconstruire les écoles pour que les enfants puissent à nouveau recevoir une éducation. Donc tout ce qui peut réduire ce type d'aides est très inquiétant et affectera sévèrement les générations futures de Gaza.