« Primitifs » de David et Nathan Zellner : affreux, sales et sauvages ou la saga des humanoïdes sylvestres
S’il existe un film « clivant », comme on dit de nos jours, c’est bien Primitifs, œuvre comme seuls les États-Unis, terre de contrastes, en produisent de temps à autre dans leurs marges. Pour mieux comprendre de quoi il retourne, il faut se référer au titre original, Sasquatch Sunset. « Sunset », c’est le crépuscule, et « Sasquatch » désigne un être humanoïde, plus communément appelé Bigfoot ; une sorte de yéti des bois qui hanterait les forêts d’Amérique du Nord. Légende urbaine populaire outre-Atlantique, qui n’a guère été importée en Europe. Partant d’un ancien désir de donner vie à cet humanoïde mythique, les frères David et Nathan Zellner – dont l’œuvre singulière est inédite en France – se sont lancés dans une expérience totalement frappée. Au lieu de peindre une ample fresque préhistorique façon Un million d’années avant J.C. ou La Guerre du feu, les cinéastes filment juste quatre personnages en liberté comme dans un documentaire animalier.
Ces dits primitifs se comportent plus comme des bêtes sauvages que comme des humains, malgré leur apparence générale de bipèdes. Ils tiennent certes de l’homme par leur allure générale et leur ludisme effréné, mais surtout du singe par leur comportement. S’exprimant uniquement par aboiements et grognements, ils sont poilus et ridés, et rappellent Chewbacca dans Star Wars. Pas d’images de synthèse, mais des costumes soignés, revêtus contre toute attente par des comédiens connus, qu’on ne reconnaît pas bien sûr : Jesse Eisenberg, Riley Keough, ainsi que Nathan Zellner lui-même, et l’acteur de petite taille Christophe Zajac-Denek, dans le rôle de l’enfant de la tribu.
Une aventure scato, sexuelle et crue
À la production, exécutive (parmi d’autres), Ari Aster, le réalisateur du récent Eddington, qui apporte sa caution zarbi à l’entreprise – tout comme Eisenberg, qui y contribue financièrement. Cela en dit long sur les risques que certains professionnels du cinéma américain sont prêts à prendre pour un film poussant très loin le curseur de l’absurde. Pas de trame au sens conventionnel, mais une série de situations, drôles, crados ou dramatiques, liées aux errances des personnages dans les bois, ainsi que de longues plages contemplatives. Scato à gogo, sexuelle et crue, cette aventure sauvage se caractérise par son aspect aléatoire.
Si ces êtres sont dominés par leurs pulsions, par ailleurs, ils ont aussi un tempérament ludique et irresponsable faisant douter de leurs facultés de survie. On oscille en permanence entre horreur et farce, avec en filigrane, des accents poétiques et touchants – voir la façon de l’enfant de faire de sa main un personnage expressif. Voilà en tout cas une proposition radicale dans le sous-genre du « survival ». Un type de cinéma provocateur et anti-commercial inconnu en Europe, où la production de cinéma se focalise sur le récit et les dialogues. Les stéréotypes ne sont pas toujours là où l’on pense.
Primitifs, de David et Nathan Zellner, États-Unis, 2023, 1 h 28. À voir sur universcine.com
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