Omar-Jo, son manège à lui, un propos de bonne guerre
Comment dire la guerre ? Telle serait la question que pose le dernier spectacle mis en scène par Anne Kessler, inspiré d'un roman pour la jeunesse d'Andrée Chedid, L'Enfant multiple. Dans un studio d'enregistrement, Adèle (Claire de La Rüe du Can), Léon (Dominique Parent) et Elvis (Baptiste Chabauty) s'apprêtent à réaliser le cinquième épisode d'une série de podcasts consacrée aux enfants de la guerre. Les premiers portaient sur les guerres du Vietnam, du Biafra, du Rwanda, de Tchétchénie et d'Ukraine… Aujourd'hui, l'émission traite du Liban.
Adèle, la réalisatrice, entre dans le studio. Léon, l'ingénieur du son (ancien chef d'orchestre), est déjà à sa table de mixage. Ils attendent Elvis. Le comédien (un as du bruitage) est en retard. Adèle a écrit le texte, tout semble bien calé, mais rien ne se passera comme prévu. Entre enfin Elvis. Léon lui demande un résumé de l'émission, soit quelques mots sur le roman d'Andrée Chedid. Alors Elvis dit que c'est l'histoire d'un Libanais, Omar-Jo, victime en 1987 d'un attentat à Beyrouth, qui a coûté la vie à ses parents. Quant à lui, il y a laissé un bras, mais pas sa joie de vivre.
À Paris, il rencontrera un certain Maxime, un forain au bout du rouleau, propriétaire d'un manège qui ne tourne pas très fort, et ce petit garçon-clown aux allures de Charlot, gai comme un pinson, redonnera des couleurs aux chevaux de bois. Lorsque commence l'enregistrement, une question bien légitime tracasse Elvis : L'Enfant multiple, d'Andrée Chedid, entre-t-il, moralement, dans le cadre de l'émission ? Une œuvre de l'esprit, une fiction, a-t-elle la même valeur qu'un vrai témoignage ?
Un spectacle singulier
Entre Adèle, Léon et Elvis s'engage un débat sur la légitimité de leur démarche radiophonique. Malgré la lecture du terrible et magnifique chapitre V de L'Enfant multiple (la scène de l'attentat) par Elvis et celle des chapitres IX et XXXI par Léon et Adèle, cette dernière et Elvis restent sceptiques. Adèle dit : « C'est vrai qu'on ne peut pas mélanger Omar-Jo et les autres enfants dont on a déjà parlé ici. Mais contrairement à ce que pense Elvis, ce n'est pas une raison de réalité ou de fiction. Pourquoi ? Parce que Omar-Jo, réel ou imaginaire, n'est pas un enfant comme les autres. Pas une victime parmi d'autres. C'est un héros poétique, un enfant universel. » Un enfant miraculé mais aussi un enfant miraculeux, un rédempteur. Adèle ajoute, phrase fondamentale et provocatrice : « Peu importe que ce qu'on raconte soit vrai, l'important, c'est que ça soit juste. »
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Entre témoignages réels et le roman gracieux d'Andrée Chedid, entre images de conflits et l'extrait d'une émission de Mireille Dumas (qui avait interviewé un enfant, victime vraie de la guerre civile du Liban), ce spectacle singulier pose une vraie question : que serait la guerre d'Espagne sans Guernica de Picasso ? La guerre du Vietnam, sans Apocalypse Now de Coppola ? Ces œuvres ne sont-elles pas des « pièces à conviction » ? Et si les enfants jouent comme pour de vrai, pouvons-nous, nous, romancer la réalité ? La guerre est un manège. Jamais elle ne cesse. Elle s'arrête parfois mais, inexorablement, elle reprend son cours. Regardez le Liban. Hier sera demain.
Omar-Jo, son manège à lui, au Studio de la Comédie-Française (Paris 1er), jusqu'au 3 novembre. Tél. : 01 44 58 15 15. www.comedie-francaise.fr