Édito. "Accepter de perdre nos enfants" : l'avertissement du chef d'état-major des armées ou quand la 7e compagnie fait de la com'

La France est-elle prête à perdre ses enfants au front ? C'est la question posée par le général Fabien Mandon. Le plus haut gradé de l'armée a créé un coup de tonnerre. Cette question, il l’a posée aux maires de France réunis en congrès, jusqu'à vendredi 21 novembre, à Paris . Car “ce qui nous manque, dit-il, c’est la force d’âme pour accepter de nous faire mal pour protéger ce que l’on est”. Pourtant, à l’écouter, face au risque d’une confrontation avec la Russie d’ici cinq ans, ce n’est pas le moment de “flancher”.

On connaît la vieille formule née après la guerre de 14 et répétée de génération en génération : “Ah, il leur faudrait une bonne guerre à ces p’tits jeunes, ça leur apprendrait.” Mais ça leur apprendrait quoi, au fait ? À obéir, à se battre, ou tout simplement à mourir ? Cela ressemble aux propos du général Mandon : “Si notre pays n’est pas prêt à accepter de perdre ses enfants, alors on est en risque.” Il a même exhorté les maires du pays à alerter leurs administrés. Une sacrée boulette. Elle a provoqué à peu près le même effet que l’adjudant Pithiviers de la 7ᵉ Compagnie. Vous vous souvenez ? Quand il met le fil vert sur le bouton rouge et le fil rouge sur le vert, ça fait quoi ? Ça fait boum. 

Personne n’a compris une sortie aussi alarmiste ? Elle a glacé les maires, qui sont rentrés dans leurs communes terrorisés. Les élections municipales sont dans quatre mois, vous imaginez l’argument de campagne : “Votez pour moi, je vais vous apprendre à perdre vos enfants à la guerre.” Pas une très bonne idée pour se faire élire. Toutes les oppositions, des insoumis au Rassemblement national, ont dénoncé un discours “va-t-en-guerre” et “indécent”. Jean-Luc Mélenchon a même pris un ton solennel pour adresser un “rappel à l’ordre” à “l’autorité militaire”, qu’il accuse quasiment de sédition vis-à-vis du président de la République.

Un avertissement contre productif

Ces propos à l’emporte-pièce alimentent le poison du soupçon entretenu par certains opposants au chef de l’État. Ne serait-il pas en train de préparer l’engagement des troupes françaises en Ukraine ?
Ségolène Royal verse, elle, carrément dans le complotisme, sur CNews : Emmanuel Macron aurait un “rêve inconscient”, il voudrait déclarer la guerre pour annuler une élection présidentielle.

La société française n’est clairement pas prête à entendre un tel avertissement. Dans les milieux militaires, deux scénarios de services de renseignements européens évoquent l'hypothèse d'une attaque russe d'ici cinq ans. Emmanuel Macron aussi veut sensibiliser contre une menace "existentielle"., dit-il. Sauf que la France n’a pas connu de guerre dans l’Hexagone depuis 80 ans. Il faut remonter au XVIIIᵉ siècle, entre la fin des guerres de Louis XIV et le début de celles de la Révolution, pour retrouver une trêve aussi longue sur notre sol. La guerre est sortie de notre cadre de pensée, elle n’imprègne plus notre mémoire collective. La preuve, le pays se déchire sur... l'âge du départ en retraite. Et les envolées sacrificielles d'un général ne sont pas une pédagogie très subtile du risque de conflit. On connaît la formule de Clemenceau : “La guerre est une chose trop grave pour la confier aux militaires.” Même la communication, cela semble un peu trop compliqué pour eux.