Budget 2026 : on vous explique en quoi consiste l'année blanche envisagée par le gouvernement pour réduire le déficit
L'idée fait son chemin dans le débat public. Alors que le gouvernement veut réaliser 40 milliards d'économie sur le budget 2026, la piste de l'année blanche est présentée comme l'un des leviers permettant de trouver une partie des ressources nécessaires. Invitée de franceinfo le 25 juin, la porte-parole du gouvernement, Sophie Primas, a confirmé que le sujet n'était pas "écarté". Alors que le Premier ministre François Bayrou doit présenter le mardi 15 juillet les "grandes orientations" du budget 2026 et ses pistes d'économies retenues pour faire face au dérapage budgétaire, franceinfo tente d'expliquer les contours de cette proposition.
1 C'est quoi une année blanche ?
En temps normal, les pensions de retraite et certaines prestations sociales sont revalorisées chaque année en se basant sur l'inflation, pour que le niveau de vie de chacun reste le même que l'année précédente, malgré la hausse des prix. Une année blanche revient à maintenir au niveau de 2025 certaines prestations sociales comme les allocations familiales, les minima sociaux, la prime d'activité, le RSA, les APL ou encore les pensions de retraite en 2026. Ceci, afin de freiner la hausse de la dépense publique.
Dans le détail, une année blanche peut revêtir différentes formes. Il peut s'agir de l'absence totale de revalorisation ou encore d'une désindexation partielle. L'année blanche peut s'accompagner ou non d'un gel des barèmes de l'impôt, ce qui conduirait à l'entrée dans l'impôt de certains foyers et un changement de tranche pour d'autres. Les collectivités locales peuvent également voir leurs dotations gelées. Tout comme le point d'indice des fonctionnaires.
La question du périmètre d'application de la mesure n'est pas encore tranchée, comme l'affirmait la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, sur Sud Radio. Mais quel que soit le scénario final, l'année blanche devrait concerner de nombreux Français, explique l'économiste Cyril Blesson : "Concrètement, il pourrait y avoir un peu plus d'impôts à payer et un peu moins de prestation à recevoir."
2 Qui défend cette proposition ?
L'idée, pour le moins sensible, n'est pas totalement inédite. Le levier du gel avait déjà été utilisé sous la présidence de François Hollande : les pensions de retraite n'avaient pas été revalorisées en 2014 puis en 2016, relève la Direction générale des finances publiques. Idem en 2018 sous la présidence d'Emmanuel Macron. Le sujet est même revenu sur la table il y a quelques mois, pour boucler le budget 2025. En 2019, une bonne partie des prestations sociales avaient été revalorisées a minima (de 0,3%), bien en dessous de l'inflation.
Mais dans un contexte de chasse aux économies lancée par François Bayrou, l'idée est régulièrement citée par les parlementaires de la coalition gouvernementale et certains ministres, à l'image d'Amélie de Montchalin. La ministre des Comptes publics s'est dite favorable à "une pause" sur certaines dépenses publiques : "Je pense que dans la situation où nous sommes (...) ralentir la dépense, c'est essentiel. Tout le monde voit bien qu'il y a des dépenses que nous ne pouvons plus nous permettre."
Du côté du Sénat, qui a été chargé de proposer des économies au gouvernement, son président Gérard Larcher a qualifié l'année blanche de "piste sérieuse". Le vice-président de la commission des finances, le sénateur Michel Canévet, s'est même montré partisan d'une conception extensive du dispositif. "L'idée est que l'ensemble des prestations versées par l'Etat et la Sécurité sociale ne soient pas réévalués pour 2026", a-t-il plaidé dans L'Humanité.
3 Qui s'y oppose ?
La mesure n'est pas consensuelle et pourrait même être qualifiée d'explosive pour le gouvernement. Par son manque de ciblage, l'année blanche n'a pas conquis tous les experts des finances publiques. C'est une "manière de dire : 'Je ne fais pas le choix'", déplore l'économiste Mathieu Plane. Dans le camp des opposants, La France insoumise a dénoncé "la pire des méthodes", par la voix d'Eric Coquerel, président de la commission des finances, cité par Le Monde. Au Rassemblement national, le député Jean-Philippe Tanguy l'assimile au "degré zéro de la gestion politique. Si c'est pour faire cela, autant remplacer le ministre des Finances par ChatGPT, qui gérera tout aussi mollement les comptes de la nation", confie-t-il également au Monde.
De son côté, le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, a dit préférer "une approche structurelle" pour affronter le dérapage budgétaire. Une année blanche, "ce serait ce qu'on appelle un 'one shot'. On le fait une fois et après, qu'est-ce que vous faites ? Alors que ce n'est pas en 2026 qu'il faut faire des efforts, c'est en 2026, 2027, 2028, 2029 et 2030 au moins", a fait valoir l'ancien socialiste sur Radio J.
Politiquement, le sujet risque aussi d'être perçu par l'opinion publique comme une simple mesure d'austérité. Il y a huit mois, c'est au cours de l'étude d'un gel partiel des pensions de retraite que la censure du gouvernement de Michel Barnier avait été déclenchée. De quoi donner des sueurs froides à son successeur.
4 Tous les secteurs sont-ils concernés ?
Pour la ministre des Comptes Publics, la question reste ouverte. "Est-ce que c'est sur les prestations sociales ? Est-ce que c'est sur les barèmes des impôts ? Est-ce que c'est sur les dotations aux collectivités ? Est-ce que c'est sur les versements et les aides aux entreprises ?, s'est-elle interrogée. Cette année de pause doit être plus ou moins grande."
La règle paraît simple, mais de nombreuses exceptions devraient rapidement venir la complexifier, rappelle l'économiste Cyril Blesson. "D'abord, les intérêts de la dette [de la France] ne peuvent pas être gelés. Concernant la défense, nous nous sommes engagés vis-à-vis de nos partenaires européens et vis-à-vis de l'Otan pour augmenter nos dépenses", fait-il valoir.
"Sur le papier, vous réalisez des économies qui correspondent à l'inflation, mais dans le détail, on voit que cela ne va pas s'appliquer à toute la dépense."
Mathieu Plane, directeur adjoint à l'OFCEà franceinfo
Message reçu du côté de Gérard Larcher, le président du Sénat, qui l'affirme à l'AFP : "Certaines choses peuvent être gelées facilement, d'autres moins. Je pense au régalien qui doit rester en dehors de l'épure." Plusieurs lois de programmation, concernant la défense, l'intérieur et la justice ont d'ores et déjà prévu des hausses de dépenses en 2026.
5 Combien cette mesure peut-elle rapporter ?
Les premières estimations sont en cours, mais le dispositif sera loin de suffire pour remplir l'objectif de 40 milliards d'économie. La Banque de France prévoit en effet une hausse des prix autour de 1,4% l'an prochain, une inflation assez modérée donc, qui limiterait mathématiquement l'impact de la mesure. Selon une estimation de l'Institut des politiques publiques (IPP), le dispositif engendrerait un gain budgétaire de 5,7 milliards d'euros si l'année blanche concernait un gel des retraites, du barème de l'impôt sur le revenu et des prestations sociales. "Cette mesure représenterait (...) 3 milliards d'euros venant du gel des pensions de retraite, 1,4 milliard d'euros du gel des paramètres de l'impôt sur le revenu et 1,3 milliard d'euros du gel des prestations sociales", détaille l'institut dans son rapport, consulté par l'AFP. Selon le même chiffrage, 3,2% des ménages verraient alors leur niveau de vie diminuer d'au moins 1%.