Sinueux, romanesque, arborescent : notre critique de Deux pianos, un accord sensible

On ne l’attendait plus. C’est un visiteur du soir. Mathias revient du Japon, c’est-à-dire de nulle part. Ce pianiste retrouve sa ville natale. Il y a une nouveauté : chez Desplechin, Lyon remplace Roubaix. François Civil est fébrile. Il fume dans les taxis, a oublié sa cravate, plus ou moins égaré ses bagages. Toutes ces années, oui. Cela fait combien déjà ? Huit ans qu’il est parti, qu’il a tourné le dos à celui qu’il ne voulait plus être. Il en a laissé, des choses derrière lui. Il voudrait ne plus y penser. Le moyen d’y parvenir ?

Dans un parc, il y a un gamin qui lui ressemble au même âge. À une réception, il tombe sur un ancien amour. Ni une ni deux, il s’évanouit. On se croirait dans La Femme d’à côté. Le cinéaste, on le sait, n’a jamais eu peur des références. Elles l’inspirent. Elles le servent. Qui irait le lui reprocher ? Il filme les rues et les passions. Le virtuose s’installe chez sa mère, se pelotonne dans sa chambre d’enfant, ouvre des boîtes de photos jaunies au bord dentelé. Quelle émotion de revoir son ancien mentor.

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Un hôte du crépuscule

Elena n’a rien lâché. Exigeante et fière, elle est capable de lui lancer : « Ne sois pas humble et détestable. » Ces conseils vous hissent au-dessus de vous-même. Mathias est cette âme tourmentée, cet hôte du crépuscule. Son passé le submerge. Il se soûle, insulte un barman (« Lèche mon cœur, connard ! »). 3,5 grammes dans le sang. Le lendemain, ça n’est pas la grande forme devant son Bösendorfer. L’avenir est ouvert. Il a le choix : pantoufler dans cet auditorium provincial ou repartir pour une carrière internationale.

Son agent (Hippolyte Girardot, jamais meilleur que sous l’œil de Desplechin) le secoue, le récupère en cellule de dégrisement. Les répétitions s’enchaînent. Le concours approche. Les fantômes ont le visage radieux, changeant, de Nadia Tereszkiewicz. Cette mère de famille est un maelström de contradictions. Ses sentiments la déchirent. Le film fonctionne par embardées. Il est sinueux, romanesque, arborescent (cela ne va plus du tout : voilà que le critique, égaré par son enthousiasme, se met à parler comme dans les revues spécialisées).

Desplechin, dans des tons tantôt dorés, tantôt bleutés, fixe un vertige sur la pellicule, décortique ces amours ratées qui ne le sont jamais complètement, sonde la notion de paternité, fouille dans les entrailles d’un artiste. Le plus littéraire de nos réalisateurs se croit tout permis, s’attarde sur la façon d’endormir un fils (imiter le lion à quatre pattes avec des grognements sourds), offre le champ libre à ses acteurs. Il faut admirer Charlotte Rampling, sèche comme un coup de cravache, d’une dureté de diamant, remplie de l’amère tristesse de ceux qui ont tout connu, hantée de rancœur et de mélancolie, réciter une lettre d’adieu face à la caméra comme si elle contemplait ses remords dans un miroir. Les traits chiffonnés, les joues mal rasées, François Civil, sur des partitions de Bach ou de Bartok, a trouvé son plein-emploi. À la fin, il file vers Rome dans une Mercedes décapotable. Avanti !