REPORTAGE. Roland-Garros 2025 : "Avec Alcaraz en face, la pression est décuplée"... On a passé la matinée avec Arthur Bonnaud, sparring-partner sur le tournoi
Huit heures tapantes. Les allées de Roland-Garros sont encore calmes, mais déjà le bruit des balles résonne, lundi 26 mai. Sur le court numéro 14, Arthur Bonnaud fait face à Varvara Lepchenko,118e mondiale et éliminée au dernier tour des qualifications. "Elle est en troisième position pour rentrer en cas de retrait de joueuses, donc elle voulait pouvoir s'entraîner au cas où", éclaire Arthur Bonnaud, partenaire d'entraînement du jour de l'Américaine.
À 28 ans, le Parisien pointe lui à la 1072e place mondiale et officie pour la cinquième année consécutive comme sparring-partner à Roland-Garros.
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Comme les autres tournois du Grand Chelem, les organisateurs de Roland-Garros recrutent des partenaires d'entraînement – leur rémunération est confidentielle –, qu'ils mettent à disposition des joueurs et joueuses engagés porte d'Auteuil. Ils sont 15 cette année, uniquement des hommes car les joueuses demandent des sparring-partners masculins.
Outre deux Espagnols, tous sont Français et font partie des 100 meilleurs joueurs de l'Hexagone. "On les sélectionne selon leur profil : gaucher ou droitier, revers à une ou deux mains, jeu à plat, gros serveur, joueur de fond de court... On essaie d'avoir un panel représentatif des joueurs de Roland-Garros", détaille Constantin Malinconi, responsable du service "practice et sparring-partners".
Une routine d'échauffement connue
Arthur Bonnaud fait partie des quatre sparring-partners gauchers sélectionnés. Après son premier "practice" d'une heure avec Varvara Lepchenko, il fait son retour sur le court 14 dès 10 heures auprès de Diane Parry, pour une session d'échauffement de trente minutes. La Française doit jouer sur le même court à la mi-journée... face à une gauchère, l'Américaine Robin Montgomery. À leurs côtés, le Suisse Stanislas Wawrinka, vainqueur de Roland-Garros 2015, s'échauffe lui aussi avec un sparring-partner.
La séance se déroule avec peu de mots. Échange de balles dans l'axe, travail au filet, services. "On sait ce qu'on doit faire. L'échauffement, c'est une routine et ça passe très vite", justifie Arthur Bonnaud, attentif aux rares consignes et gestes de la joueuse et de son entraîneur. "Là, par exemple, il m'a demandé d'aller davantage sur le revers de Diane."
Grâce à une application, les joueurs connaissent toutes les caractéristiques des sparring-partners. Ils choisissent donc eux-mêmes, ou leurs entraîneurs, le partenaire avec lequel ils veulent s'entraîner. Charge ensuite au service dirigé par Constantin Malinconi de dispatcher les demandes selon les disponibilités des courts. Chaque sparring-partner est à la disposition du tournoi entre 8 heures et 18 heures, au moins. "Par superstition, il nous arrive qu'un joueur nous demande le même sparring-partner sur tout le tournoi s'il a eu de bonnes sensations avec lui. On fait au mieux", raconte le responsable du service.
Des liens qui se tissent
Avec son expérience engrangée porte d'Auteuil, ainsi qu'au Masters 1000 de Paris, Arthur Bonnaud remarque que certains champions commencent à le reconnaître. "Jannik Sinner et Carlos Alcaraz sont d'une gentillesse incroyable. Ils me demandent toujours si j'ai passé une bonne journée et me remercient cinq ou six fois." Même s'il a appris à gérer la pression, le sparring-partner avoue se tendre lorsque les gradins se remplissent, surtout lorsque les meilleurs du monde lui font face : "Avec Alcaraz, la pression et l'envie de bien faire sont décuplées", souligne-t-il.
"Quand je suis sur le Lenglen ou le Chatrier avec des milliers de spectateurs, je ne respire pas."
Arthur Bonnaud, sparring-partnerà franceinfo: sport
"Déjà ce matin, sur le 14, avec Wawrinka il y avait du monde. Moi sur mes tournois, il y a rarement plus de deux ou trois personnes à regarder", glisse le Français, qui a décidé cette année d'être présent uniquement lors de la semaine de qualifications et la première du tableau principal de Roland-Garros, pour ensuite retourner sur le circuit. Lui qui a commencé le tennis à six ans et rêvait de jouer porte d'Auteuil, trouve en ce statut une manière "d'être au cœur du tournoi". En moyenne, il passe quatre heures sur les courts par jour.
Meilleure concentration, meilleure technique
Pendant deux semaines, Arthur Bonnaud ne s'entraîne donc pas pour lui-même, mais le 93e joueur français assure progresser grâce à cette expérience : "On a la chance de partager des moments avec des athlètes qui nous font lever de notre canapé. On apprend énormément en les observant. On reçoit une telle qualité de balle, avec de l'intensité".
"Je me rends compte que je suis capable d'élever mes curseurs notamment au niveau de la concentration, de la technique. J'arrive à jouer un bien meilleur tennis donc c'est cool."
Arthur Bonnaud, 1072e mondial et sparring-partnerà franceinfo: sport
Face à un joueur ou une joueuse du top 10 mondial, Arthur Bonnaud arrive à percevoir une différence dans les coups. "Contrairement à un 50e mondial par exemple, les top joueurs frappent chaque balle avec une vraie intention, une vraie envie de faire quelque chose. Il n'y a pas de balle de relance", illustre le sparring-partner, casquette noire à l'envers, en pointant Jack Draper avec qui il a partagé deux entraînements la semaine passée.
Après une pause d'une heure, Arthur Bonnaud traverse les allées de Roland-Garros – de rares spectateurs le reconnaissent et il arrive que certains l'arrêtent remarquant son sac de raquettes sur le dos – pour rejoindre le court numéro 2.
"Sparring-partner, c'est un métier où vous avez parfois des milliers de paires d'yeux braqués sur vous. Et juste après, vous retombez dans l'anonymat."
Constantin Malinconi, responsable service practice et sparring-partnersà franceinfo: sport
Pour son dernier échauffement de la journée, Arthur Bonnaud a rendez-vous avec Richard Gasquet, qui fait son entrée sous les applaudissements. Le sparring-partner est fébrile. Alors, quand il glisse à un membre du staff du Biterrois qu'il n'a pas l'habitude d'être autant observé, celui-ci lui assène un "respire" rempli d'encouragements. "J'étais un peu tendu car on sait que Richard participe à son dernier Roland-Garros. L'annexe était rempli. Il ne fallait pas rater les premières balles, confie Arthur Bonnaud à l'issue du quart d'heure d'échauffement. Et puis je l'ai remercié de m'avoir donné la chance de s'entraîner avec lui et je lui ai souhaité bonne chance."
L'émotion digérée et avec déjà deux heures de jeu dans les jambes, Arthur Bonnaud compte aller "se doucher, se changer et aller déjeuner tranquillement". Mais les raquettes, et le téléphone, toujours à portée de main dans le cas où un joueur ou une joueuse sollicite encore ses services.