Roland-Garros 2025 : "Il avait tous les coups", "une intelligence de jeu phénoménale"... Aux origines du surdoué Richard Gasquet
"L'année dernière, j'ai joué contre Richard Gasquet. En théorie, c'est le meilleur joueur du tournoi, mais il n'est pas venu cette année." Vainqueur en 2000 du Tournoi des Petits As, le championnat du monde officieux des jeunes joueurs, le jeune Rafael Nadal s'estimait presque heureux de ne pas avoir recroisé la route de Richard Gasquet, qui l'avait battu l'année précédente. Si la carrière de l'Espagnol a ensuite atteint des sommets bien plus hauts que ceux du Français, cette phrase d'un futur vainqueur de 22 Grands Chelems témoigne du talent du Français.
Lundi 26 mai, l'enfant de Sérignan, un village au sud de Béziers entre Montpellier et Narbonne, s'apprête à disputer, peut-être, son ultime match face au Français Térence Atmane. Après 36 années de tennis, 23 sur le circuit masculin (ATP) et 19 de suite dans le Top 100 mondial, ceux qui l'ont côtoyé se sont replongés dans leurs souvenirs pour dépeindre la genèse de ce qui a fait "Richie".
Prototype d'un génie du jeu
Numéro un mondial junior, vainqueur du Tournoi des Petits As à 13 ans, un premier match en Masters 1000 à 15 ans, Richard Gasquet embellissait chaque court qu'il foulait. "Très jeune, il jouait juste, d'une manière instinctive, naturelle. Il avait une intelligence de jeu naturelle assez phénoménale", se souvient Arnaud Clément, qui a été son capitaine en Coupe Davis entre 2013 et 2015. "Quand il a passé un tour à 15 ans à Monte-Carlo en 2002, si tôt, on s'est dit qu'il n'était pas comme les autres. Tennistiquement, il était impressionnant", ajoute Julien Benneteau, avec qui Richard Gasquet a remporté une médaille de bronze aux JO de Londres 2012.
Marc Auradou l'a, lui, côtoyé encore plus tôt. En tant que d'adversaire dans beaucoup de tournois de jeunes, et en équipe de France, où il a été champion d'Europe cadets avec l'équipe de France où il était associé au Biterrois et à Jo-Wilfried Tsonga, en 2000, alors que Richard Gasquet avait deux ans de moins : "Il arrivait à faire avancer la balle avec tellement peu d'efforts, c'était tellement relâché. Richard Gasquet avait tout : le coup d'œil, l'anticipation, la très belle technique, le plan de frappe toujours impeccable", se souvient celui qui s'est arrêté à la 724e place mondiale, victime d'une grave blessure.
C'est son revers à une main, que l'intéressé précise avoir depuis ses... 3 ans, qui l'a tout de suite démarqué, et permis de martyriser tant de joueurs. "Il le jouait avec une telle facilité : croisé court, long de ligne, poursuit Marc Auradou. Il faisait un nombre fou de points gagnants à son âge en revers long de ligne, surtout à une main. Il était capable de faire tout ce qu'il voulait avec son revers." "C'est inné, je suis né quasiment avec ce revers. Je l'ai forcément beaucoup travaillé, mais c'est la technique qui est bonne depuis tout jeune", précisait Richard Gasquet dans un entretien à Eurosport.
"On se disait : 'Comment un gamin de 12 ans, qui n'a pas encore énormément de puissance , arrive à faire avancer la balle comme ça et avoir des coups tellement justes ?"
Marc Auradou, champion d'Europe cadets avec Richard Gasquetà franceinfo: sport
Tous louent le talent et l'esthétisme du joueur, mais relèvent aussi une qualité rare pour un joueur alors aussi jeune. "Il pouvait s'adapter très vite d'une surface à l'autre. Il a une compréhension du tennis bien supérieure à la majorité des joueurs. Il a toujours eu cette qualité dès le plus jeune âge, il savait quoi faire", note Arnaud Clément. "Déjà tactiquement, il avait compris énormément de choses. Il avait le sens de l'anticipation car il voyait tout plus tôt que tout le monde", confirme Marc Auradou.
Un grand talent implique de grandes responsabilités
Pourtant, ce talent a pesé lourd, surtout dans un pays qui attend depuis 1983 qu'un Français gagne un Grand Chelem. Surnommé le "Mozart du tennis" en référence à sa précocité, "le truc le plus affreux que j'ai connu" selon l'intéressé, Richard Gasquet avait fait, malgré lui, la Une de Tennis Magazine – alors bible des suiveurs de tennis – à seulement 9 ans, affublé d'un titre "Le champion que la France attend ?". "On m'avait dit que j'allais faire deux ou trois pages, j'arrive et je me vois sur la couverture. Ça m'a fait un choc, je n'étais pas du tout content car j'étais très timide. J'avais un peu honte de me retrouver là, mes parents non plus n'étaient pas du tout contents", dévoilait-il dans un podcast.
Malgré un jeu rempli de talent, Richard Gasquet n'a jamais pu faire mieux que remporter des titres ATP 250 (16 titres au total en carrière). "Pour un Grand Chelem, peut-être que mentalement il est moins costaud que les tout meilleurs. Mais qu'il n'ait pas un ATP 500, pour moi, ce n'est pas normal par rapport au joueur qu'il est", estime Marc Auradou. Pour lui plus sans doute que n'importe qui, il a dû gérer un étau médiatique et une pression permanente.
Ses trois demi-finales en Grand Chelem, sa victoire en Coupe Davis ou sa médaille olympique n'ont jamais contenté des médias exigeants et un public dont le sevrage a viré à la frustration. "Dans le regard de beaucoup, tout ce qu'il accomplissait n'était jamais suffisant. Les demies en Grand Chelem, ce n'était pas suffisant. Une place de septième mondial, ce n'était pas suffisant. Des finales en Masters 1000, ce n'était pas suffisant. Donc ça, il en a souffert", déplore Arnaud Clément.
"Ça l'a desservi d'avoir battu Rafael Nadal quand ils étaient tout jeunes. Au final, il n'a jamais été l'outsider, il a toujours été celui qui devait gagner, tout gagner, pendant très longtemps."
Arnaud Clément, consultant tennisà franceinfo: sport
Reste une question : Richard Gasquet a-t-il maximisé un potentiel qui a crevé l'écran avant même ses 10 ans ? "Sur 99% de ce que j'ai fait, il n'y a aucun regret", a-t-il estimé dans un podcast d'Eurosport. "De l'extérieur, on peut penser que Richard s'est reposé sur son talent, mais c'est un mec qui a bossé. J'ai entraîné un certain nombre de joueurs, il faisait partie de ceux qui s'entraînaient le plus", insistait Eric Deblicker, le coach qui l'a pris en mains après son père Francis, sur Eurosport. "Il y a des joueurs pour qui on ne se pose pas cette question parce que le talent est un petit peu moins visible. Celui de Richard était tellement esthétique qu'on se dit : 'Attend, mais non un joueur comme ça, il doit faire mieux !'. Et on se concentrait un petit peu là-dessus", estime de son côté Arnaud Clément.
Un joueur chatoyant, un homme simple
Lundi, Richard Gasquet jouera le 1017e match ATP d'une carrière démarrée en 2002, alors qu'Arthur Fils et Giovanni Mpetshi Perricard n'étaient pas encore nés. Peut-être le dernier d'un talent inné, et d'un homme discret, apprécié pour sa simplicité, et même son humour. "Il est très drôle, Richard. Il aime être avec ses copains, faire une partie de cartes. Ça a toujours été quelqu'un de très simple et qui l'est resté. En fait, il comprend et lit très bien les gens", résume Arnaud Clément. "C'est le gamin de la campagne de Montpellier. Même s'il a eu un énorme succès, c'est quelqu'un qui n'oublie pas les gens qui ont fait un petit bout de chemin avec lui", poursuit Marc Auradou.
Sur ce court Central où il a connu la liesse collective et l'amertume de la défaite, ils seront tous là en cas d'une défaite qui sonnera le glas de sa carrière. Une carrière où les regrets seront bien maigres face aux accomplissements guidés par ce revers à une main si léché, comme lui-même l'a résumé. "Lorsque je me suis retrouvé à Monte-Carlo en 2002, j'aurais signé pour une telle carrière. Bien-sûr qu'on a toujours envie de gagner un Grand Chelem, mais est ce que j'ai réalisé mes rêves ? Oui, largement."