À Mayotte, une catastrophe « exceptionnelle » mais prévisible

« Je trouve cela très frappant d’observer l’impact d’une telle catastrophe sur un territoire français comme si c’était un territoire du tiers-monde », se désole la géographe Magali Reghezza, faisant référence au séisme de 2010 en Haïti. Mayotte, département le plus pauvre de France, n’était absolument pas préparé à résister au cyclone tropical Chido, la pire tempête qu’a connue l’île depuis 1934.

Son caractère « exceptionnel » tient au fait que l’œil du cyclone a directement frappé le territoire mahorais, a expliqué à l’AFP François Gourand, prévisionniste à Météo France. Comme le souligne Esméralda Longépée, maître de conférences à l’université de Paris Panthéon-Sorbonne, « on n’est jamais sûr de la trajectoire d’un cyclone ».

Le réchauffement des océans en surface – dont le lien de causalité avec le changement climatique n’est plus à prouver – n’a pas arrangé les choses, de même que la présence d’eaux chaudes de plus en plus profondes. Comme pour les autres cyclones qui sévissent chaque année dans l’océan Indien, c’est ce cocktail d’énergie qui a nourri Chido.

Certes, ces phénomènes météorologiques sont courants et interviennent généralement dès le mois de novembre. Mais, cette saison, l’activité cyclonique est légèrement supérieure à la normale, indique Météo France, et le réchauffement climatique préfigure une intensification de ces épisodes : « C’est la démonstration de ce que répètent les scientifiques depuis soixante-dix ans », rappelle Magali Reghezza.

Une catastrophe prévisible et inéluctable

L’enseignante à l’École normale supérieure travaille depuis longtemps sur les notions de vulnérabilité et d’adaptation face aux dérèglements environnementaux. « Dans l’Hexagone, on a si peu l’habitude de ce genre de phénomènes qu’ils nous paraissent inimaginables », analyse-t-elle.

C’est « un cyclone d’une violence inattendue », a même déclaré le – fraîchement nommé – premier ministre François Bayrou, à la suite de la réunion de crise organisée samedi 14 décembre. Quoi qu’il en soit, le chaos qui en a résulté à Mayotte était, lui, prévisible. D’après Esméralda Longépée, bien que « des cyclones d’une puissance similaire touchent La Réunion, ils n’engendrent pas de décès et les dégâts matériels sont bien moindres par rapport à la situation à Mayotte ».

De nombreux avertissements ont pourtant été émis de la part de la communauté scientifique s’agissant de l’extrême vulnérabilité de l’île, sujette aux cyclones, mais également aux séismes. Concernant Chido, les alertes cycloniques n’ont pas été lancées tardivement, contrairement aux dysfonctionnements que l’on a pu observer localement durant les inondations à Valence, en Espagne, le mois dernier. Mais sur la petite île du canal du Mozambique, tous les ingrédients sont réunis pour que le moindre événement confine à la tragédie.

« La crise est devenue la norme »

Selon Magali Reghezza, Mayotte est l’exemple « archétypal » d’un « territoire qui présente tous les risques de vulnérabilité possibles et imaginables » : une situation d’isolement territorial, une crise de l’eau majeure et structurelle, un système de santé sous-doté, de (trop) nombreux bâtiments précaires construits en tôle et pas fixés au sol, une population très jeune habitant notamment dans les bidonvilles…

À tout cela s’ajoutent les tensions sur la question migratoire qui ont poussé, ce samedi, de nombreux immigrés présents sur le territoire à ne pas aller se réfugier dans les espaces prévus à cet effet, redoutant un piège tendu par les autorités pour les appréhender. En somme, résume la géographe qui pointe « un problème évident d’égalité de traitement par rapport au reste de la population française », la « crise », à Mayotte, « est devenue la norme ».

Après avoir dévasté Mayotte, Chido a poursuivi sa course, frappant dimanche matin le nord du Mozambique. Le bilan encore provisoire fait état de trois morts. Aux Comores, onze pêcheurs sont toujours portés disparus après leur départ en mer, le 9 décembre. Sur le territoire du 101e département français, le bilan humain risque d’être désastreux.

Le drame qui se joue à Mayotte ne doit pas occulter le nécessaire changement de doctrine de l’État vis-à-vis de l’île, conclut Esméralda Longépée : « Ce qui importe dans un premier temps, c’est le défi humanitaire. Puis la reconstruction. Il va falloir apprendre de nos erreurs, ne pas se contenter d’institutionnaliser la crise, et sortir Mayotte de cette situation de grande vulnérabilité ». Il va falloir, aussi, que le dossier climatique soit une fois pour toutes posé sur le haut de la pile du nouvel exécutif français.

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