Retraites : "Compte tenu du rapport de la Cour des comptes, les partenaires sociaux doivent préserver l'âge effectif de départ retardé", selon un économiste
Le dossier des retraites sera donc officiellement rouvert, la semaine prochaine, et confié aux partenaires sociaux, syndicats et patronat. Un rapport financier, commandé par le Premier ministre et établi par la Cour des comptes, a été rendu public, jeudi 20 février. C'était un préalable fixé par François Bayrou pour commencer les discussions.
Ce diagnostic servira donc de base pour les partenaires sociaux, réunis en "conclave" afin de trouver ensemble des compromis. Ils auront deux mois pour tenter d'améliorer la réforme de 2023, celle qui fixe l'âge de départ à la retraite à 64 ans d'ici 2030.
Ce rapport confirme que les perspectives sont préoccupantes, avec 15 milliards d'euros de déficit dans 10 ans, et le double dans 20 ans. Xavier Timbeau, économiste, directeur de l’Observatoire Français des Conjonctures Economiques (OFCE), vient commenter les propositions que les différents partenaires commencent à mettre sur la table.
franceinfo : Partagez-vous le diagnostic de ce rapport ?
Xavier Timbeau : Le diagnostic est partagé au sens où les chiffres et les méthodes employées par la Cour des comptes ne sont pas contestables. Le seul élément de nuance qu'on peut peut-être apporter, c'est de dire que jusqu'en 2032, la réforme de 2023 qui est en cours, aura bien, si elle n'est pas interrompue, un effet positif avec une stabilisation du déficit autour de six milliards d'euros. Et puis après, au-delà de 2032, sous l'hypothèse d'une augmentation à venir de l'espérance de vie des seniors, il y aurait à nouveau dégradation.
Donc les grands équilibres, vous le partagez donc ?
Oui, bien sûr. Mais ce qu'il faut bien voir, c'est que la dégradation à venir est liée à l'augmentation de l'espérance de vie attendue.
"Si jamais l'augmentation de l'espérance de vie prévue se produit, il est tout à fait envisageable qu'il faille un nouveau recul de l'âge de départ à la retraite pour retrouver un équilibre."
Xavier Timbeau, économisteà franceinfo
Donc c'est à la fois préoccupant, mais en même temps, finalement, la recette de l'équilibre du régime de retraite par le recul de l'âge de départ à la retraite n'est pas remise en cause. Et la réforme de 2023, celle qui est discutée, a bien un effet positif.
Les réunions vont avoir lieu à partir de la semaine prochaine. Parmi les différentes pistes proposées par les uns et par les autres, commençons par celle des syndicats, qui veulent notamment revenir sur les 64 ans. Est-ce qu'ils ont raison ?
C'est là tout le problème. La réforme de 2023 vise à reculer l'âge de départ à la retraite. Il y a deux méthodes, qui sont par l'âge légal de la retraite ou par la durée de cotisation. La méthode qui a été employée, c'est plutôt par l'âge légal de départ à la retraite. Les syndicats veulent éventuellement revenir sur cette dimension-là. Mais l'effet de la réforme de 2023, en augmentant l'âge effectif de départ à la retraite, il est difficile de revenir dessus. Et donc, si les syndicats veulent changer la façon d'augmenter l'âge de départ à la retraite, en basculant plutôt vers la durée de cotisation, avec une répartition différente entre les individus, entre les femmes et les hommes, par exemple, de cet impact de la réforme de 2023, il va falloir qu'il fasse des propositions actives.
La Cour des comptes dit que bloquer l'âge à 63 ans aggraverait le déficit de six milliards d'euros dans dix ans.
C'est tout l'enjeu. Cette réforme de 2023 a bien un impact sur l'âge effectif de départ à la retraite. Et les réformes qui peuvent être proposées implicitement par les partenaires sociaux, compte tenu de ce rapport, ce sont des réformes qui doivent préserver cet âge effectif de départ à la retraite retardé. Et éventuellement proposer des aménagements, c'est-à-dire une répartition différente de savoir qui va être le plus touché par la réforme. Est-ce que ce sont ceux qui ont commencé très tôt et qui ont des durées de cotisation longues et donc qui sont plutôt pénalisés par un âge légal de départ à la retraite retardé ? Ou est-ce que c'est plutôt ceux qui ont des durées de cotisation plutôt courtes parce qu'ils ont commencé à travailler tard et qui seraient plus concernés par une augmentation du nombre d'années de cotisation nécessaire pour pouvoir partir à la retraite ?
Le nouveau patron de la CPME Amir Reza-Tofighi propose d'avoir un âge de départ à la retraite indexé sur l'espérance de vie. Il n'est pas contre aller à 63, voire 62 ans, mais dans l'autre sens, si on indexe sur l'espérance de vie, plus l'espérance de vie augmente, plus l'âge de départ à la retraite sera décalé à 65, 66 ou 67 ans. Que pensez-vous de cette proposition-là ?
Elle est compréhensible par tous et elle contient quand même une part de vérité et de bon sens. Elle a du sens parce que, ça a été dit depuis très longtemps dans les réformes de retraites, quand l'espérance de vie augmente, mécaniquement, elle augmente le temps que vous passez à la retraite.
"Quand l'espérance de vie augmente, si l'on ne modifie pas l'âge de départ à la retraite, le poids des retraites augmente."
Xavier Timbeauà franceinfo
Alors on peut indexer l'âge de départ à la retraite sur l'espérance de vie. On peut partager l'augmentation de l'espérance de vie entre votre vie active et votre vie à la retraite, pour conserver le ratio entre vie active et vie à la retraite, ce qui est un peu moins strict que la proposition de la CPME.
Autre sujet tabou, qui est aussi mis sur la table par le patronat dans son ensemble, c'est une dose de capitalisation pour qu'il y ait des plans d'épargne retraite collectifs obligatoires. Est-ce que pour vous c'est tabou ou est-ce qu'il faut en profiter pour ouvrir le débat ?
On peut rouvrir ce débat sur la capitalisation obligatoire. Maintenant, il ne faut pas se mentir, c'est un petit peu une augmentation des cotisations retraite, en fait. À partir du moment où elle est obligatoire, elle sera payée par tous. Et donc elle ressemble beaucoup à un système d'augmentation des cotisations.
Pas forcément, selon Amir Reza-Tofighi, qui dit qu'il pourrait y avoir trois jours de travail supplémentaires, qui abonderait un fonds d'épargne retraite obligatoire.
Dans ce cas-là, c'est une augmentation du temps de travail, mais sans rémunération supplémentaire et consacrant la rémunération implicite de ces trois jours de travail à un fonds de capitalisation. Mais en gros, ça revient quand même à augmenter la durée du travail sans augmenter le salaire que vous touchez. Et donc d'une certaine façon, c'est faire porter le coût de cette opération sur le taux de cotisation payé par les salariés et pas par les employeurs. Donc on peut trouver ça normal et juste - et une proposition positive - évidemment, il faut la discuter si elle est sur la table. Maintenant, ça ressemble beaucoup à une augmentation du taux de cotisation, que ce soit celui payé par les employeurs ou payé les salariés comme dans la proposition que vous évoquiez.