L’élite d’une civilisation pré-Inca aurait consommé des drogues pour imposer son pouvoir

Le site de Chavín de Huántar, situé à 435 kilomètres de Lima, a été découvert il y a plus d’un siècle. Il est aujourd’hui classé au patrimoine mondial de l’Unesco. HO / AFP

Au Pérou, des chercheurs ont mis au jour des artefacts présentant des traces de nicotine sur le site de Chavín de Huántar. Dans une étude, ils suggèrent que la classe dominante de cette société prenait des substances hallucinogènes pour faire croire au peuple qu’elle possédait des capacités surnaturelles.

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Prendre des substances hallucinogènes pour asseoir son autorité ? Lundi 5 mai, une équipe de chercheurs péruviens a publié dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences une étude sur la culture de Chavín, une civilisation précolombienne qui prospérait dans les montagnes des Andes entre 1500 et 300 avant notre ère. Ce travail fait suite à la découverte d’une chambre scellée sur le site de Chavín de Huántar, - classé au patrimoine mondial de l’Unesco et situé à 435 kilomètres de Lima -, dans laquelle ont été retrouvés quelque 23 artefacts sculptés en os et en coquillage.

Parmi ces objets, des tubes à priser de la taille d’une cigarette. D’après les analyses chimiques et microscopiques réalisées par les chercheurs, ils présenteraient des traces de nicotine, alcaloïde toxique issu principalement de la plante de tabac, et de fève de vilca, un hallucinogène apparenté au DMT (diméthyltryptamine). Ce dernier est présent naturellement dans les plantes, les animaux et les humains. Sa consommation mimerait les effets d’une expérience de mort imminente, selon une étude de chercheurs londoniens parue en 2018.

Mais ce ne sont pas les effets dangereux et puissants de ces drogues, - les plus anciennes jamais retrouvées sur le territoire -, qui intriguent les historiens. Ce sont plutôt les raisons qui poussaient l’élite pré-Inca à en consommer. De nombreuses civilisations, comme les Olmèques, les Zapotèques, les Mayas et les Aztèques, voyaient dans la prise d’hallucinogènes une pratique récréative. Mais chez les Chavíns, les chercheurs estiment que la drogue avait une tout autre signification. Leur étude suggère que ces substances étaient utilisées par les dirigeants pour asseoir leur autorité.

Une drogue réservée à l’élite

Pour appuyer leur thèse, ils s’attardent sur le lieu de découverte des différents artefacts. Les tubes à priser auraient, en effet, été retrouvés dans des chambres privées. Cela sous-entend que seules les élites du culte de Chavín y avaient accès. Selon Daniel Contreras, archéologue anthropologue et co-auteur de l’étude, interrogé par LiveScience, « les tubes auraient été utilisés comme inhalateurs pour prendre le tabac par le nez ».« Ils sont analogues aux billets roulés à travers lesquels les flambeurs sniffent de la cocaïne dans les films », ajoute-t-il. Dans son étude, l’archéologue précise que « la consommation de psychotropes ne se résumait pas à des visions » et qu’« elle faisait partie d’un rituel étroitement contrôlé, probablement réservé à quelques privilégiés, renforçant leur position dans la hiérarchie sociale ».

Selon l’étude, les « chefs » Chavíns consommaient des drogues pour altérer l’état de leur conscience. Ainsi, ils pouvaient faire croire à leurs « sujets » qu’ils étaient en lien direct avec les divinités, - comme le Lazon, garant des bonnes récoltes -, et qu’ils possédaient des capacités surnaturelles. Cette pratique, cette recherche des paradis artificiels, leur servait aussi à imposer une forme d’autorité mystique sur leur peuple. Selon les historiens, le peuple pré-inca, en adoration devant ses chefs demi-dieux hallucinés, aurait construit les monuments de Chavín de Huántar. Les auteurs de l’étude estiment aujourd’hui que les fruits de leurs travaux pourront permettre d’analyser la consommation de drogues dans d’autres sociétés comme celle des Incas, dont le vaste empire apparaîtra quelque 2000 ans après.