Quels enjeux dans la succession du pape ?

Entre critique radicale de l’ordre mondial ou retour à une diplomatie plus traditionnelle, les lignes de fracture sont non résolues

François Mabille

Directeur de l’Observatoire de géopolitique des religions de l’Iris, auteur

Le pontificat de François arrive à un moment de bascule pour l’Église catholique. Si son héritage est profond, il est aussi marqué par des tensions internes et des fractures non résolues qui dessinent les enjeux majeurs de sa succession. Première ligne de fracture : le rapport au libéralisme. Confronté au libéralisme moral, François s’est montré conservateur, refusant de modifier la doctrine catholique sur des sujets comme la morale sexuelle ou le sacerdoce féminin. Ce choix lui a aliéné une partie du camp progressiste, qui attendait des réformes doctrinales.

Simultanément, son opposition constante au libéralisme économique et sa critique vigoureuse de l’ordre financier international l’ont rapproché de sensibilités de gauche, tout en éloignant de lui de nombreux conservateurs attachés à la défense de l’économie de marché.

Sur le plan ecclésial, François a opté pour une attitude pastorale, privilégiant l’accompagnement des personnes vivant en marge des normes de l’Église plutôt qu’une insistance doctrinaire. Cette approche a irrité ceux, nombreux parmi les évêques et les cardinaux, qui souhaiteraient que l’Église redevienne un phare doctrinal face à ce qui est perçu comme des dérives contemporaines.

Si son autorité s’est affirmée dans la conduite des réformes internes – notamment la centralisation de certaines décisions et la réorganisation de la curie –, il n’a pas réussi à constituer une majorité durable pour installer une Église véritablement moins hiérarchique, plus collégiale et synodale. Le synode sur la synodalité a révélé à la fois les espoirs de changement et les résistances puissantes au sein de l’institution. 

Enfin, sur le plan international, comme le montre son action diplomatique, François n’a pas su nouer de véritables alliances géopolitiques. Sa volonté d’émancipation face à l’Occident, son ouverture vers la Russie, la Chine et les pays du Sud et les Brics n’ont pas permis de donner au Vatican un nouveau levier d’influence solide. La solitude diplomatique du Saint-Siège reste préoccupante dans un monde où les rapports de force s’imposent. 

À l’heure de préparer sa succession, plusieurs enjeux apparaissent donc clairement. Faut-il poursuivre l’agenda pastoral de François, au risque d’approfondir les divisions internes, ou recentrer l’Église sur une affirmation plus claire de sa doctrine ? Faut-il maintenir une critique radicale de l’ordre mondial ou revenir à une diplomatie plus traditionnelle, bâtie sur des alliances réalistes ? Faut-il enfin réformer plus avant la gouvernance ecclésiale ou consolider la structure hiérarchique ?

Le prochain conclave devra répondre à ces questions en discernant non seulement quel homme pour quel moment, mais aussi quelle Église pour quel monde.

Poursuivre les réformes, incarner l’unité, fixer les priorités globales, parler au monde : ce sont autant de questions et d’urgences

Blandine Chelini-Pont

Professeure d’histoire contemporaine et relations internationales, université d’Aix-Marseille

Quadrature du cercle, casse-tête chinois, l’élection d’un pape n’est pas une sinécure. Il doit répondre à un croisement de critères qui ne sont pas les mêmes parmi tous les cardinaux. Sur la réforme de l’Église, première question : le pape qui vient doit-il continuer les chantiers ouverts par le précédent, les suspendre temporairement ou les fermer parce qu’ils mettent la structure en danger ?

François n’a cessé de pourfendre le « cléricalisme » des positions d’autorité dans la curie et dans les diocèses pour exiger de l’Église institutionnelle qu’elle se voie comme un service et qu’elle se mette à l’écoute. Il a commencé des réformes financières, s’est attaqué concrètement aux abus sexuels. Il a organisé un « synode » vraiment original mélangeant les clercs, les laïcs engagés, les hommes et les femmes, les jeunes, les marginaux afin de discuter ensemble sur l’avenir de l’Église et s’écouter mutuellement sur les questions du moment. 

Mais les questions du moment et les réponses apportées dans le synode ont créé d’intenses polémiques entre « progressistes » et « conservateurs ». Le conclave risque donc d’être très attentif à vouloir les éteindre. Quel cardinal serait le plus apte à incarner l’unité de l’Église et à maintenir la communion intercatholique, alors que cette dernière est traversée de courants qui peuvent la faire éclater ?

Quant à fixer les priorités globales, chaque pape propose des orientations – qu’il a mûries de sa propre expérience – censées aider les catholiques à s’identifier comme tels et à se considérer comme une même famille malgré toute leur diversité. Quelles priorités pour réaliser la communion catholique ? Encourager les jeunes Églises, notamment en Asie et en Afrique ? Enseigner et diffuser la théologie écologique ? Se concentrer sur l’amour du prochain et la sollicitude envers les exclus et les migrants ?

Enfin, le pape est devenu un baromètre et une boussole morale de dimension globale pendant le XXe siècle, même si cette affirmation doit être nuancée. Il représente la « position catholique » à travers tout type de supports médiatiques au sein des sociétés et à travers une diplomatie multiniveaux dans les relations internationales. Sa parole touche aux questions sociétales éternelles ou très contemporaines : famille, sexualité, fin de vie, travail, environnement, économie, éthique politique, intelligence artificielle récemment.

Faut-il renforcer cette dimension de « parler au monde » ? Aussi, comme le Vatican est en contact avec quasiment tous les États et les grandes organisations, le conclave va-t-il considérer que c’est la tâche la plus urgente du prochain pape ? Faire de la diplomatie et défendre coûte que coûte la cause de la paix et la protection des civils, les droits des peuples, la coopération entre États, le bien-fondé du multilatéralisme et du désarmement.

À lire :

Le Vatican. La papauté face à un monde en crise, de François Mabille, Eyrolles, 2025.

Géopolitique des religions, de Blandine Chelini-Pont, Roland Dubertrand et Valentine Zuber, le Cavalier bleu, 2019.

Le Vatican. La papauté face à un monde en crise, de François Mabille, Eyrolles, 2025.

Géopolitique des religions, de Blandine Chelini-Pont, Roland Dubertrand et Valentine Zuber, le Cavalier bleu, 2019.

Le Vatican. La papauté face à un monde en crise, de François Mabille, Eyrolles, 2025.

Géopolitique des religions, de Blandine Chelini-Pont, Roland Dubertrand et Valentine Zuber, le Cavalier bleu, 2019.

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