« Nous serions des caprices artistiques qui coûtent cher à l’État » : à Bagnolet, le théâtre de l’Échangeur menacé de fermeture
Il y avait foule lundi 16 juin à l’Échangeur. Des compagnies en grand nombre mais aussi des spectateurs, des enseignants qui ont tissé des liens précieux avec ce lieu. Situé derrière ce nœud routier impressionnant entre périphérique et autoroute A3, l’Échangeur de Bagnolet (Seine-Saint-Denis) relève de ces théâtres indépendants, alternatifs jusqu’ici soutenus par les pouvoirs publics (ville, département et ministère de la Culture). Depuis trente ans, il est un lieu d’accueil pour les compagnies (80 cette saison), de résidence pour les auteurs, de diffusion, un laboratoire de création à échelle humaine qui irradie sur le territoire par l’entremise d’interventions.
Ces dix dernières années, Régis Hebette, metteur en scène, directeur de la compagnie Public chéri, à l’origine de la création du théâtre, a vu les subventions stagner, c’est-à-dire baisser : ce qui n’a pas empêché l’équipe de poursuivre son activité dans un périmètre restreint et contraint. « On est restés à l’équilibre malgré tout jusqu’en décembre 2024. Après des premières baisses qui ont continué de fragiliser le théâtre, celles de 2025 s’avèrent dramatiques. »
Contraint de fermer ses portes en juin 2026 ?
Moins 60 000 euros de la Drac (direction régionale des affaires culturelles, qui dépend du ministère de la Culture), moins 15 000 du conseil départemental. « On nous en a informés le 16 mai dernier, alors que nous avions déjà engagé la saison. Depuis 2017, on passe notre temps à couper, dans le budget de la compagnie, dans la masse salariale, mais là, c’est un coup de massue. On s’achemine vers un déficit de 60 000 euros. Cela signifie que, si les moyens dont on dispose à ce jour demeurent inchangés, le théâtre sera contraint de fermer ses portes en juin 2026 après trente années d’existence. »
Régis Hebette peut s’enorgueillir d’un bilan des plus corrects tant en termes économiques, en termes de fréquentation, en termes artistiques, avec une programmation audacieuse et libre qui en fait sa marque de fabrique. Ce qui ne semble pas du goût des représentants de la Drac, qui estiment que la ligne artistique de l’Échangeur ne serait pas claire… « On a affaire à des interlocuteurs qui nous tiennent un discours technocratique, qui nous demandent de nous plier à des injonctions qui ne correspondent pas à la réalité de notre travail. C’est une logique qui nie frontalement, brutalement le service public de la culture. On aimerait parler aux politiques, parler politique, pas uniquement à des intermédiaires », nous confie Régis Hebette.
L’Échangeur n’est pas le seul théâtre en péril : le Théâtre de l’Opprimé, à Paris, le Studio-Théâtre d’Alfortville (Val-de-Marne), la Fonderie, au Mans (Sarthe), le Cube, à Hérisson (Allier), ou RamDam (créé par Maguy Marin, près de Lyon) se voient eux aussi fragilisés par des décisions arbitraires conjuguées à des préoccupations électoralistes démagogiques. « Si les pouvoirs publics s’attaquent à ces lieux indépendants indomptables, non labélisés, des lieux de fabrication, des lieux relais, ce n’est pas par hasard. Ils laissent entendre que nous serions des caprices artistiques qui coûtent cher à l’État. Ils semblent ignorer que nos activités rayonnent au-delà du lieu, partout dans la ville, que nous travaillons en lien avec les associations féministes, de solidarité, avec les scolaires… » poursuit le metteur en scène. Ils seront d’ailleurs tous là, mercredi prochain, pour l’« acte 2 de la défense du Théâtre de l’Échangeur ».
Au plus près de celles et ceux qui créent
L’Humanité a toujours revendiqué l’idée que la culture n’est pas une marchandise, qu’elle est une condition de la vie politique et de l’émancipation humaine.
Face à des politiques culturelles libérales, qui fragilisent le service public de la culture, le journal rend compte de la résistance des créateurs et de tous les personnels de la culture, mais aussi des solidarités du public.
Les partis pris insolites, audacieux, singuliers sont la marque de fabrique des pages culture du journal. Nos journalistes explorent les coulisses du monde de la culture et la genèse des œuvres qui font et bousculent l’actualité.
Aidez-nous à défendre une idée ambitieuse de la culture !
Je veux en savoir plus !