Hyperactif, un bilan contrasté... Comment le pape François a "renouvelé la pratique diplomatique du Vatican"

Un rôle au-delà des frontières étroites du Vatican. Le pape François, mort lundi 21 avril, en plus d'un chef religieux, était aussi un chef d'État et il a, à ce titre, endossé un rôle diplomatique. Il s'était lui-même surnommé de "pape du bout du monde", en tant que premier souverain pontife issu du continent américain et de l'hémisphère sud. Pacifiste et chantre du dialogue, il a à son compte quelques succès sur la scène internationale, mais il a également essuyé quelques échecs au cours de ses douze années de pontificat. Il a d'ailleurs plaidé pour la paix jusqu'à la fin de sa vie : dimanche dernier, la veille de sa mort, un collaborateur lit à sa place un appel pour un cessez-le-feu à Gaza au balcon de la basilique Saint-Pierre.

Tandis que le Vatican est au centre de l'attention mondiale depuis la mort du souverain pontife, franceinfo revient sur l'héritage diplomatique du pape François avec François Mabille, chercheur au CNRS, directeur de l’Observatoire de géopolitique du religieux à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris). Pour l'auteur de Le Vatican, la papauté face à un monde en crise, paru en janvier 2025 aux éditions Eyrolle, "le pape François a renouvelé la pratique diplomatique du Vatican".

"Il a créé la surprise"

"Traditionnellement, l'Église tente de jouer un rôle dans les relations internationales", rappelle François Mabille. En effet, le Vatican est un petit État neutre, depuis les accords du Latran signés en 1929, qui possède peu de moyens militaires et économiques. C'est néanmoins un pays observateur de l’ONU, qui participe également à une trentaine d’associations internationales. Le Vatican entretient des relations officielles avec 184 États et dispose de 120 ambassadeurs, appelés les nonces apostoliques, qui offrent un maillage diplomatique important. "La réforme de l'académie diplomatique pontificale [en avril 2025] est d'ailleurs l'une des dernières actions du pape", souligne François Mabille. 

Le pape François s'est ainsi intéressé de près aux relations internationales. "Il a créé la surprise et a renouvelé la pratique diplomatique, assure le chercheur, en contraste avec son prédécesseur, Benoît XVI, qui s'était davantage penché sur les questions de doctrine que sur les questions internationales. Le pape François a eu un style particulier, une communication habile où ses phrases ont fait office de slogan, comme 'la mondialisation de l'indifférence' ou 'la Méditerranée est un cimetière'."

Hyperactif sur la scène internationale

Le pape François a effectué 47 voyages apostoliques en dehors de l'Italie et a visité plus de 60 États et territoires au cours de son pontificat. "Pour ses visites, le pape a choisi des thématiques qui lui étaient chères, note François Mabille, lors de son premier déplacement à Lampedusa [en 2013], il a mis l'accent sur la question des migrants. Quand il est allé à Marseille [en 2023], c'est parce que, pour lui, c'était un symbole de la Méditerranée et du dialogue entre ses deux rives."

Il a été "le pape des périphéries, ajoute le chercheur, il s'est intéressé aux marges, à cheval entre politique et religieux. Il a souhaité toucher des populations éloignées du catholicisme, afin de leur offrir une certaine reconnaissance sur la scène internationale. C'est pourquoi il s'est intéressé aux pays du bout du monde", comme le Timor oriental, en Asie du Sud-Est, où il s'est rendu en septembre 2024, ou la Mongolie, en 2023.

L'Irak, qu'il a visité en 2021, une première pour un souverain pontife, "illustre un autre axe important de la diplomatie du pape François, avance le directeur de l’Observatoire de géopolitique du religieux à l'Iris. Celui du dialogue interreligieux qui, au-delà du théologique, a pris une dimension politique. Il a plaidé pour la tolérance et pour laisser un espace de liberté aux minorités chrétiennes". À l’aide des médias qui l'ont suivi partout où il s'est rendu, le pape François est devenu"le pape des pauvres et de la paix", note le chercheur.

Un bilan contrasté

Au-delà du rôle pédagogique de ses voyages, "le pape s'est impliqué dans des conflits, comme en Centrafrique, en Colombie, mais aussi entre Cuba et les États-Unis dont il a été l'artisan du rapprochement en 2014. Entre Israël et la Palestine, lorsqu'il a réuni les deux dirigeants Shimon Peres et Mahmoud Abbas pour prier ensemble au Vatican en 2014, mais aussi entre l'Ukraine et la Russie qui s'est traduit par un échec", détaille François Mabille.

"Le pape François a aussi joui d'un succès médiatique, comme en témoignent les chefs d'État présents à ses funérailles et une opinion publique largement favorable."

François Mabille, auteur de "Le Vatican, la papauté face à un monde en crise"

à franceinfo

Si le rapprochement entre Cuba et les États-Unis peut être considéré "comme son plus grand succès", le bilan du souverain pontife n'est pas que positif, souligne le chercheur. En particulier concernant la guerre en Ukraine, "son échec le plus marquant", "où il a commis des erreurs de positionnement et eu des paroles malheureuses". Au début du conflit en 2022, le pape a critiqué l'envoi d'armes européennes en Ukraine, mais il a été peu après contredit par le numéro 3 du Vatican, Mgr Gallagher. En 2024, le souverain pontife a appelé l'Ukraine à avoir "le courage de hisser le drapeau blanc" et "de négocier", provoquant un tollé diplomatique.

Il est aussi critiqué pour son action en Chine, lorsqu'il a noué, en 2018 un accord avec Pékin sur la nomination des évêques dans le pays qui compte 12 à 14 millions de catholiques.

L'ambiguïté du pacifisme pontifical

François a été un pape pacifiste qui rejetait le recours aux armes. Au cours de son pontificat, "le Saint-Siège a signé le traité pour l'interdiction des armes nucléaires, rappelle François Mabille, ce qui a marqué un changement, car jusqu'alors l'Église tolérait discrètement la dissuasion nucléaire". Le pape a aussi adopté "une attitude humanitaire qui peut se rapprocher de celle de la Croix-Rouge, souligne le chercheur, dans la mesure où le Saint-Siège a envoyé des vivres et des médicaments, mais a aussi joué un rôle dans des échanges de prisonniers, entre l'Ukraine et la Russie, entre Gaza et Israël ou encore entre Cuba et les États-Unis".

Mais cette posture pacifiste et humanitaire du pape a également créé une certaine "ambiguïté", relève François Mabille. "Elle s'illustre particulièrement en Syrie, quand François s'est prononcé contre une éventuelle intervention américaine et s'est adressé à la Russie pour faire face à Bachar al-Assad. Sauf qu'on n'a pas entendu le pape quand la Russie a bombardé la population civile en Syrie."

Un des enjeux de la diplomatie du Vatican est de protéger les chrétiens d'Orient, souligne le directeur de l'Observatoire des religions, l'Iris : "Si le pape s’était positionné contre Bachar al-Assad, il s'exposait à des risques de représailles contre les minorités chrétiennes du pays." Car "on ne peut pas dissocier la diplomatie du Vatican d'une volonté d'évangélisation, c'est une particularité du Saint-Siège, note François Mabille. Il ne s'agit pas d'une évangélisation conquérante, comme par le passé, mais de montrer que le catholicisme apporte quelque chose." Il conclut : "Le pape n'était pas un diplomate professionnel, mais un artisan de la paix."