Eradiquer le Hamas, survie politique, pression dans les négociations... Pourquoi Benyamin Nétanyahou projette-t-il de contrôler toute la bande de Gaza ?
Un tournant dans la guerre menée dans la bande de Gaza ? Si l'armée israélienne contrôle déjà plus de 80% de l'enclave palestinienne, le Premier ministre, Benyamin Nétanyahou, a déclaré jeudi 7 août que l'Etat hébreu "avait l'intention" de prendre le contrôle total du territoire palestinien, lors d'une interview sur la chaîne américaine Fox News. Le chef du gouvernement israélien a toutefois nuancé ses propos en affirmant ne pas vouloir "garder" l'enclave. "Nous voulons mettre en place un périmètre de sécurité, mais ne voulons pas la gouverner", a-t-il ajouté. Mais certains experts évoquent également des objectifs politiques de la part du Premier ministre. Franceinfo explore les raisons qui poussent Benyamin Nétanyahou à réfléchir à cette option.
Parce que l'éradication du Hamas reste un objectif militaire
Depuis plusieurs semaines, le gouvernement israélien réclame la "démilitarisation totale" du territoire pour garantir durablement la sécurité d'Israël. Un objectif que Benyamin Nétanyahou a de nouveau martelé lundi : "Nous devons (...) vaincre l'ennemi, libérer nos otages et garantir que Gaza ne constitue plus une menace pour Israël".
Néanmoins, cette ambition affichée est désormais jugée décalée par rapport à la réalité, par plusieurs experts. "Le Hamas d'aujourd'hui n'est plus celui du 7-Octobre", soutient Adel Bakawan, directeur de l'Institut européen pour les études sur le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord (Eismena). Selon lui, entre 60 et 80% des capacités militaires du mouvement islamiste ont été démantelées, alors que "les cadres dirigeants les plus importants à la fois politiques et militaires ont été assassinés, liquidés, neutralisés".
"Les capacités militaires du Hamas ne représentent absolument pas la menace qu'on a connue avant ou pendant le 7-Octobre."
Adel Bakawan, directeur de l'Eismenaà franceinfo
Cette analyse est partagée par les 550 anciens hauts responsables militaires israéliens qui, dans une lettre ouverte adressée au président américain Donald Trump, pour qu'il pousse Benyamin Nétanyahou à mettre fin au conflit. "D'un point de vue militaire, [le Hamas] est détruit. En revanche, en tant qu'idéologie, il gagne de plus en plus de pouvoir parmi le peuple palestinien", nuance cependant l'un des signataires, Ami Ayalon, ex-directeur de l'agence de sécurité israélienne Shin Bet, interrogé par la BBC. Adel Bakawan abonde : "Le mouvement n'est pas uniquement une organisation militaire. C'est aussi une organisation politique, une organisation sociale. On peut détruire des infrastructures militaires, on peut assassiner les cadres dirigeants, mais on peut difficilement, avec des moyens militaires, éradiquer une idéologie."
Parce qu'il entend rassurer la population israélienne
Un autre objectif affiché par Israël est celui de la récupération des otages israéliens encore retenus à Gaza. Pour Sylvaine Bulle, chercheuse et auteure de Sociologie du conflit, l'annonce de cette opération sert à envoyer un signal à l'opinion publique. Elle fait suite à la mise en scène macabre du Hamas qui a diffusé la semaine dernière des vidéos de propagande montrant deux otages israéliens particulièrement affaiblis. "En disant : 'Nous allons occuper la bande', Israël veut rassurer les familles des otages."
Au sein de l'armée, la manœuvre suscite toutefois des inquiétudes. Selon The Times of Israel, qui dit se baser sur de multiples fuites, le chef d'état-major Eyal Zamir a notamment mis en garde contre les conséquences d'une telle incursion. Pour lui, "l'occupation des zones non encore contrôlées, où se trouveraient encore une vingtaine d'otages, place leur vie en danger."
En septembre 2024, six otages ont été tués à Rafah, alors que l'armée s'approchait de leur lieu de détention. "Ce n'est pas parce que la bande sera occupée que les otages seront libérés en bonne santé. C'est même plutôt le contraire, puisque les familles ont très peur de cette occupation", confirme Sylvaine Bulle.
Parce qu'il a besoin du soutien de l'extrême droite
Au-delà des objectifs militaires, les chercheurs voient dans cette prise de contrôle totale un calcul politique. "La survie de Benyamin Nétanyahou est conditionnée par l'occupation de Gaza", soutient Adel Bakawan, pour qui, "en prenant cette décision, il satisfait parfaitement les extrémistes de son gouvernement, sans lesquels il tombera le lendemain". Or les partis d'extrême droite, notamment le mouvement Otzma Yehudit d'Itamar Ben Gvir et la formation Sionisme religieux de Bezalel Smotrich, réclament non seulement un contrôle militaire intégral de Gaza, mais aussi la reprise de la colonisation juive et l'annexion formelle du territoire, selon The Times of Israel.
C'est déjà en faisant durer la guerre que le Premier ministre israélien est parvenu à rester au pouvoir depuis les attaques du 7-Octobre, analyse le New York Times. "Nétanyahou a réussi une résurrection politique que personne, pas même ses alliés les plus proches, ne croyait possible (...) Il est de nouveau en position de force pour gagner des élections", assure même Srulik Einhorn, un stratège politique de son entourage, auprès du journal.
Pour autant, "la coalition n'a jamais été aussi fragile", estime Sylvaine Bulle, d'autant que deux partis ultraorthodoxes ont récemment quitté le gouvernement, en lien avec la conscription visant les étudiants des écoles religieuses. La sociologue évoque un "coup de poker" de la part du Premier ministre. "C'est un animal politique. Tout est calculé chez lui", explique Adel Bakawan.
Parce qu'il entend conserver un moyen de pression dans les négociations
Lors des derniers pourparlers, le Hamas avait accepté le principe de la proposition américaine, à condition d'y apporter quelques ajustements. Une demande que le cabinet de sécurité israélien a rejetée. Dès lors, l'occupation représente ainsi "une carte" mise sur "la table des négociations" afin de faire plier le groupe islamiste, Israël cherchant à pousser son ennemi "entre l'occupation totale ou l'acceptation sans conditions de la position américaine" observe Adel Bakawan.
Benyamin Nétanyahou "ne veut pas de cessez-le-feu, il veut terminer la guerre, et, ensuite, pouvoir se prévaloir d'en être le héros", estime pour sa part Sylvaine Bulle. De quoi créer de nouveaux remous diplomatiques, après que plusieurs alliés occidentaux de l'Etat hébreu, dont la France, ont annoncé leur volonté de reconnaître un Etat palestinien.
Pourtant, ces réserves sont loin de remettre en question la stratégie du Premier ministre. "Israël se fiche éperdument de la diplomatie", tranche Sylvaine Bulle. Pour Adel Bakawan, Benyamin Nétanyahou semble prêt à assumer un isolement international, à condition que Washington continue de le soutenir. "Israël n'a jamais été aussi seul", constate le directeur de l'Eismena. De nombreux Etats dénoncent la situation humanitaire dans l'enclave. Si l'occupation totale devait se concrétiser, Israël deviendrait alors "entièrement responsable de la survie des populations à Gaza", souligne du reste Sylvaine Bulle.