Kenya : une marche contre les féminicides réprimée par les forces de l’ordre

En juillet, des sacs contenant des parties de corps de femmes démembrées ont été découverts dans une décharge de la capitale, Nairobi. Peu après les JO, une athlète olympique gravement brûlée par son compagnon est plus tard décédée des suites de ses blessures. Le corps d’une étudiante assassinée a été découvert dans un champ tandis que ceux mutilés d’une mère, de sa fille et de sa nièce ont été retrouvés éparpillés à différents endroits après qu’elles ont été sauvagement tuées.

Une série de meurtres brutaux ont été perpétrés au Kenya ces derniers mois et documentés par la police et des groupes de défense des droits de l’homme. Selon les autorités, 97 femmes ont été assassinées entre août et octobre de cette année, un bilan stupéfiant même au Kenya, où le féminicide est endémique depuis longtemps.

Ces histoires à glacer le sang ont suscité de la colère dans tout le pays et provoqué d’importantes marches pacifiques ce mardi 10 décembre. Des milliers de manifestants sont descendus dans les rues de la capitale, exigeant que le gouvernement prenne davantage de mesures pour mettre fin aux meurtres de femmes et ont marché jusqu’au parlement. Des manifestations plus modestes ont également eu lieu dans d’autres villes du pays, selon des groupes de défense des droits de l’homme cités par le New York Times.

Manifestation violemment réprimée

À Nairobi, la police a lancé des gaz lacrymogènes sur des manifestants qui scandaient des slogans tels que «Arrêtez de tuer les femmes», «Honte à vous!», «Éduquez vos fils» ou encore «Les femmes ont aussi des droits». Au moins trois militants, dont le directeur exécutif de l’ONG Amnesty International Kenya, ont été arrêtés, selon une déclaration de plusieurs groupes de défense des droits de l’homme. 

Amnesty International et la Law Society of Kenya ont publié une déclaration commune condamnant les actions de la police, estimant qu’elles envoyaient un «message glaçant» aux manifestants pacifiques. «La réponse violente de la police, y compris l’arrestation de ces manifestants pacifiques, est une attaque directe contre les principes démocratiques du Kenya et les droits de l’homme de ses citoyens», ont-elles souligné.

Selon des chercheurs, la recrudescence des meurtres au Kenya serait liée aux disparités économiques et à des attitudes patriarcales profondément enracinées qui privent les femmes de leur autonomie. Sur les réseaux sociaux, les victimes sont souvent blâmées pour leur tenue vestimentaire ou leur mode de vie, indique le quotidien new yorkais.

Problème endémique en Afrique

Or les féminicides ne sont pas propres au Kenya, mais sont plutôt le reflet d’un problème plus large dans toute l’Afrique. Selon un rapport des Nations Unies publié au mois de novembre, plus de 21.000 meurtres de femmes liés à leur genre ont été recensés sur le continent africain en 2023, soit le taux le plus élevé au monde. Les observateurs estiment même que les chiffres réels sont bien plus élevés. Selon eux, les féminicides sont généralement commis par des membres masculins de la famille ou des partenaires intimes, et de nombreuses victimes sont également soumises à des violences physiques, psychologiques et sexuelles. 

Après des mois de critiques acerbes, le président du Kenya, William Ruto, a finalement reconnu en novembre que le féminicide était «un problème urgent et profondément troublant». Il a alors annoncé que son administration allouerait environ 770.000 dollars à une campagne visant à protéger et à soutenir les victimes, après une rencontre avec des élues. Somme qui, selon les activistes, est loin d’être suffisante.

Des groupes de défense des droits humains ont demandé au président de qualifier les féminicides de «crise nationale» et de consacrer plus d’argent aux campagnes de sensibilisation. Ils souhaitent également que le parlement, où la coalition de William Ruto est majoritaire, adopte une loi créant une catégorie spéciale de crimes pour les meurtres motivés par le sexe et imposant des peines sévères à leurs auteurs.