«Je ne plierai jamais, tout ira bien», avait promis dimanche 23 mars, Ekrem Imamoglu, le maire d’Istanbul et principal opposant à Recep Tayyip Erdogan, après qu’un juge a ordonné son incarcération pour «corruption». Cinq jours plus tard, l’édile a repris la parole dans le New York Times, ce vendredi 28 mars. Dans une longue tribune écrite depuis la prison de Silivri, située à l’extérieur de la capitale turque, il dénonce une nouvelle fois son emprisonnement et pointe «l’absence de preuves crédibles». Il compare la scène de son interpellation, survenue le mercredi 19 mars, à «l’arrestation d’un terroriste, et non d’un maire élu».
Toutefois, elle n’était «guère inattendue», selon lui, car elle fait suite à «des mois de harcèlement judiciaire». Le point culminant a été «le retrait brutal de [s]on diplôme universitaire, 31 ans après son obtention». En Turquie, la Constitution dispose qu’un candidat à l’élection présidentielle doit posséder un diplôme de l’enseignement supérieur. Malgré son incarcération et la suspension de ses fonctions, Ekrem Imamoglu a été désigné lundi candidat à la prochaine présidentielle prévue en 2028 par son parti, le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate).
«Personne n’est en sécurité»
Selon lui, Recep Tayyip Erdogan est «conscient de son incapacité à [l]e vaincre dans les urnes». C’est pourquoi le président actuel de la Turquie «a sapé les contre-pouvoirs démocratiques» en «muselant les médias, remplaçant les maires élus par des bureaucrates, marginalisant le pouvoir législatif, contrôlant le pouvoir judiciaire et en manipulant les élections», détaille-t-il.
À cela s’ajoute une répression féroce contre la population, déplore Ekrem Imamoglu. Le gouvernement a en effet annoncé jeudi près de 2000 arrestations depuis le 19 mars, lors de manifestations interdites par les autorités. De nombreux journalistes de différentes nationalités ont par ailleurs été arrêtés. Cette situation relève d’un «démantèlement délibéré des fondements institutionnels de notre république [...] et ma détention a marqué une nouvelle étape dans le glissement de la Turquie vers l’autoritarisme et l’arbitraire», s’indigne l’édile incarcéré.
«Personne n’est en sécurité», alerte Ekrem Imamoglu dans sa tribune. «Les votes peuvent être annulés et les libertés spoliées en un instant. Sous M. Erdogan, la république s’est transformée en une république de la peur», lâche-t-il.
Silence international
Face à la répression, Ekrem Imamoglu souligne la «défiance» du peuple turc et salue le «courage» et «les signes de solidarité» des manifestants qui descendent dans les rues malgré le risque de se faire arrêter. «La frustration de l’opinion publique turque atteint son paroxysme», explique-t-il, ajoutant que son arrestation a été perçue, selon lui, «comme une tentative de pousser la Turquie encore plus loin sur la voie de l’autocratie».
La démocratie, l’État de droit et les libertés fondamentales ne peuvent survivre en silence, ni être sacrifiés à des convenances diplomatiques déguisées en « realpolitik »
Ekrem Imamoglu
L’édile s’indigne néanmoins face au «silence assourdissant» des «gouvernements centraux du monde entier». «Washington s’est contenté d’exprimer ses “préoccupations concernant les récentes arrestations et manifestations”» et «à quelques exceptions près, les dirigeants européens n’ont pas réagi avec fermeté». La présidence française a appelé mardi à la libération du maire d’Ekrem Imamoglu. «Nous déplorons l’arrestation du maire d’Istanbul, nous souhaitons sa remise en liberté (...) La Turquie est un grand partenaire mais nous voulons un grand partenaire démocratique», a déclaré un conseiller du président Emmanuel Macron lors d’un briefing avec des journalistes.
Pour Ekrem Imamoglu, la situation de la Turquie devrait inquiéter les autres États car le cas turc «démontre que la démocratie, l’État de droit et les libertés fondamentales ne peuvent survivre en silence, ni être sacrifiés à des convenances diplomatiques déguisées en “realpolitik”». «L’ère des hommes forts et sans frein exige que ceux qui croient en la démocratie soient tout aussi éloquents, énergiques et inflexibles que leurs opposants», estime-t-il.
Il souligne finalement que «l’importance stratégique de la Turquie» a été «renforcée» par les événements internationaux récents comme la guerre en Ukraine, le renversement du régime Assad et la guerre entre le Hamas et Israël. Pour l’édile aux ambitions nationales, son pays a une «capacité à contribuer à la sécurité européenne».