Guerre en Ukraine : comment la Russie parvient-elle à produire autant de drones ?

Un appel à un soutien plus massif face à la force de frappe russe. Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a invité les alliés de l'Ukraine à renforcer leurs investissements dans la défense de Kiev face aux attaques de Moscou, jeudi 10 juillet. "Les Ukrainiens affrontent maintenant des attaques par des centaines de drones chaque nuit. C'est du pur terrorisme", a insisté le dirigeant lors d'une conférence sur la reconstruction de l'Ukraine à Rome (Italie). 

Depuis le début de l'invasion russe du pays, les forces de Moscou ont envoyé près de 29 000 drones de type Shahed vers des cibles ukrainiennes, dont près de 2 800 rien qu'au mois de juin, selon l'organisation de renseignement Frontelligence Insight, basée en Ukraine et citée par l'Institute for the Study of War (ISW). La nuit du mardi 8 au mercredi 9 juillet, la Russie a frappé l'Ukraine avec 741 drones et missiles"la plus grande attaque combinée de drones et de missiles de la guerre jusqu'à présent", précise le centre de recherche américain, référence dans le suivi de la guerre en Ukraine. 

Avec son économie de guerre, Moscou pourrait cet automne lancer plus de 1 000 drones par attaque, d'après des spécialistes militaires interrogés par le New York TimesProduction en hausse, coopérations avec l'Iran et la Chine, recrutement de travailleuses migrantes, principalement d'Afrique... La Russie développe par plusieurs leviers sa production de drones, pour frapper toujours plus l'Ukraine après déjà plus de trois ans de guerre.

Une production en pleine expansion

Comme l'ISW le confirme, l'Etat russe "continue d'accroître sa capacité de production nationale de drones", à un moment de la guerre où ces appareils jouent un rôle "croissant" pour Moscou, sur la ligne de front comme dans ses attaques nocturnes contre l'Ukraine. D'après le Premier ministre russe Mikhail Mishustin, l'industrie russe a plus que triplé sa production de drones prévue pour cette année.

La Russie développe notamment ses capacités de production, sur son territoire, des drones iraniens Shahed 136, relève l'Institut international des études stratégiques (IISS). Des livraisons de drones Shahed 131 et Shahed 136 par l'Iran avaient débuté dès 2022, lors des débuts de l'invasion russe de l'Ukraine. "Peu après, l’Iran a lancé un programme de transfert de technologie à grande échelle, pour faciliter la production de ces systèmes en Russie" ,   expose l'institut de recherche. Désormais, les drones de type Shahed 136 (nommés Geran-2) produits en Russie sont "la pierre angulaire de la campagne de frappes en profondeur" de drones menée par Moscou. 

D'après des sources ukrainiennes citées par l'IISS, la Russie a produit l'an dernier plus de 6 000 drones d'attaque à sens unique (OWA) – une production qu'elle entend encore gonfler cette année. Pour cela, les autorités russes s'appuient sur plusieurs infrastructures en pleine expansion. La zone économique spéciale (ZES) d'Alabuga au Tatarstan, par exemple, a doublé en superficie d'après des images satellite. En deux ans, au moins cinq bâtiments sont sortis de terre selon l'IISS. Et quatre autres structures sont en cours de construction. Des drones seraient également produits à Ijevsk, encore plus à l'est, mais également dans les régions de Moscou, de Saint-Pétersbourg ou encore Ekaterinbourg, rapporte Politico

La Russie parvient à étendre la production de différents types de drones. Selon Oleh Aleksandrov, porte-parole du service ukrainien de renseignement extérieur cité par Politico, l'industrie russe vise à créer quelque deux millions de petits drones tactiques cette année. 

Des coopérations avec des sociétés chinoises 

Dans ses efforts pour booster la production de drones de type Shahed, la Russie a de plus en plus recours à des composants chinois moins chers, d'après l'IISS. Des acteurs du secteur russe les utilisent aussi pour inclure de l'intelligence artificielle ou pour développer les capacités de drones à fibre optique, complète l'ISW.

"Les fabricants chinois leur fournissent du matériel informatique, de l'électronique, des systèmes de navigation, des systèmes optiques et de télémétrie, des moteurs, des microcircuits, des modules de processeur, des systèmes de champ d'antenne, des cartes de contrôle et des systèmes de navigation", énumère Oleh Aleksandrov auprès de Politico. "Ils utilisent des sociétés écrans, changent de nom. Ils font tout pour éviter d'être soumis au contrôle des exportations et d'être sanctionnés pour leurs activités", affirme-t-il encore. Les drones chinois Mavic "sont accessibles aux Russes, mais pas aux Ukrainiens", a également assuré récemment Volodymyr Zelensky. Des allégations de coopération avec la Russie niées en bloc par Pékin, qui fustige "des accusations sans fondement et de la manipulation politique".

Pourtant, une récente enquête de Bloomberg révèle des échanges entre la société russe Aero-HIT et des ingénieurs de la société Autel, connue pour sa production de drones en Chine, dès le début de l'année 2023. Le média économique a consulté des documents évoquant une production en Russie de drones chinois Autel EVO Max 4T, jusqu'à 30 000 unités chaque année. Des engins d'abord destinés à un usage civil, mais qui semblent particulièrement efficaces sur le plan militaire. Contactée par Bloomberg, Autel nie toute coopération avec Aero-HIT. Mais la société russe développe néanmoins sa production de drones à Khabarovsk, près de la frontière chinoise, précise Bloomberg. 

Le recours à des travailleuses migrantes 

La zone économique spéciale d'Alabuga, au Tatarstan, est également l'un des piliers de cette production en plein essor de drones en Russie. "Face à une importante pénurie de main-d’œuvre", le site industriel s'appuie largement sur des étudiants et des travailleuses migrantes pour cette productionrapporte une enquête de l'ONG Global Initiative Against Transnational Organized Crime (GI-TOC), publiée en mai. Celle-ci détaille un programme de recrutement de jeunes femmes étrangères de 18 à 22 ans. Une initiative lancée en 2022, en parallèle des débuts de la guerre en Ukraine. "On peut raisonnablement estimer qu’environ 800 femmes, toutes nationalités confondues, auraient rejoint le programme depuis 2022", expose l'organisation. 

Publicités en ligne, recrutement à l'aide de partenaires dans les pays ciblés, coopération avec des ambassades... La ZES d'Alabuga a eu recours à divers canaux pour multiplier ses chances de recrutement pour ses lignes de production. Et le programme, qui a visé plusieurs pays d'Afrique, se tourne désormais vers l'Amérique latine, ajoute l'ONG. 

Dans son enquête, GI-TOC souligne que "plusieurs aspects des conditions de travail" de ces travailleuses migrantes "semblent relever de l’exploitation". "Jusqu'à 90%" d'entre elles semblent "destinées à travailler dans la production de drones", mais ces femmes, lors de leur recrutement, "ne sont pas informées de la nature des produits que la majorité d'entre elles contribueront à fabriquer". Enfin, étudiants comme travailleuses étrangères connaissent une charge de travail très élevée "et de longues heures imposées par la direction", dépeint encore l'ONG. 

Dans sa volonté de multiplier ses stocks de drones, la Russie pourrait encore recourir à d'autres travailleurs migrants. D'après la chaîne publique japonaise NHK, quelque 25 000 Nord-Coréens pourraient bientôt rejoindre les lignes de production d'Alabuga.