Emmanuel Macron se pose en défenseur d’un cinéma français « qui a toujours résisté aux grandes crises »
C’est ce qui s’appelle courir après la victoire. Bousculé sur la scène nationale comme diplomatique, Emmanuel Macron a choisi de poser des jalons dans la sphère culturelle. Le cinéma français, porté par Un p’tit truc en plus et Le Comte de Monte-Cristo , a passé un bel été. N’en déplaise à sa ministre de la Culture, l’occasion était toute trouvée pour le président de vanter les mérites de l’industrie cinématographique hexagonale et de creuser le sillon de « l’exception culturelle » dans un long entretien accordé au magazine américain Variety .
« Nous avons besoin de films populaires et destinés au grand public. Je suis moi-même un grand fan de ces films », se réjouit Emmanuel Macron au sujet des films portés par Artus et Pierre Niney, qui connaissent également de belles carrières à l’étranger. La potion magique française ? « Nous avons un système de prélèvements sur les recettes avec le CNC, qui a fait un travail extraordinaire », rappelle le président de la République, saluant « un cinéma qui a toujours résisté » en proposant, en même temps, de grosses productions et des « films d'auteurs jeunes ou confirmés, qui attirent peut-être moins de monde en salles mais qui sont néanmoins très créatifs ».
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À l’heure du streaming généralisé et de l’assaut des GAFA sur les majors de Hollywood, le modèle français ressemble pourtant davantage à un confortable village gaulois qu’à une machine à conquérir le monde. Emmanuel Macron le reconnaît. « Il nous manque encore de très gros producteurs, des diffuseurs et une plateforme type Netflix. Rien n'est désespéré, lance-t-il. Nous avons de grands acteurs qui sont français : Vivendi, Canal+, Banijay, Mediawan. Et puis nous avons ces réseaux de distribution indispensables : MK2, Pathé, Gaumont... » Avec 180 millions de spectateurs en 2023, les salles poursuivent leur convalescence post-covid et le marché est toujours le premier en Europe, loin devant Le Royaume-Uni ou l’Allemagne.
Emmanuel Macron estime d’ailleurs que la France « a très bien résisté » au lancement des plateformes de streaming. « Nous sommes très bons pour produire des contenus, déclare-t-il. Nous avons de grands acteurs, nous avons de grands auteurs, nous avons de grands réalisateurs. Nous avons des producteurs indépendants et nous avons aussi des groupes qui produisent beaucoup de documentaires, de courts, de longs métrages et de séries. »
L’objectif est déjà de rivaliser avec les voisins européens. Dans le cadre du plan France 2030, le gouvernement a programmé 350 millions d'euros de subventions, dont une partie doit permettre aux studios français de doubler leur surface afin de concurrencer ceux de Pinewood à Londres, Babelsberg à Berlin et Cinecittà à Rome.
« On ne peut pas tomber dans un système de dénonciation où tout le monde est écarté sans avoir la possibilité de prouver son innocence. »
Emmanuel Macron au sujet du mouvement #MeToo
Une autre singularité du cinéma français semble, aux yeux des Américains, beaucoup moins reluisante. Sept ans après les premières révélations sur Harvey Weinstein et la vague #MeToo qui a secoué Hollywood, les remous sont encore forts de ce côté-ci de l’Atlantique. Les Américains ont notamment observé de près les circonvolutions présidentielles sur le dossier Gérard Depardieu. Fin décembre, Emmanuel Macron était monté au créneau pour défendre un « immense acteur » qui « rend fière la France ». Puis s’était ravisé, quelques mois plus tard, assurant qu’il n’avait « jamais défendu un agresseur face à des victimes ». Alors qu’un procès pour Gérard Depardieu approche, Variety interroge Emmanuel Macron à ce sujet. « Il faut d'abord s'adresser aux femmes qui ont subi des violences sexuelles et sexistes et dont la vie a été traumatisée, dont la carrière, dans certains cas, a été brisée », estime-t-il. Avant de dénoncer « une forme de complaisance, d'omerta, d'habitudes qui s'étaient installées et qui sont intolérables ». « Mais je crois à la présomption d'innocence, ajoute-t-il. Il faut toujours trouver les bonnes règles pour que les victimes soient respectées, que leur parole soit prise en compte, que justice soit rendue et surtout que chacun soit protégé pour l'avenir afin que cela ne se reproduise plus. Ensuite, il faut créer les conditions du vivre ensemble. On ne peut pas tomber dans un système de dénonciation où tout le monde est écarté sans avoir la possibilité de prouver son innocence ou de répondre aux accusations. »
Il va falloir réglementer la responsabilité des acteurs qui diffusent l'IA
Emmanuel Macron
À l’heure où Netflix et Disney+ dominent l’univers du streaming, le cinéma doit aussi s’adapter à l’intelligence artificielle. Elle permet d’automatiser la production, de réutiliser des voix et même de simuler des performances d’acteurs de manière numérique. Si cette avancée ouvre à des possibilités inédites, elle a aussi provoqué une grève des acteurs et scénariste à Hollywood, qui en dénonçaient des dérives. « Il y a une course à l'innovation, il faut donc y participer », assure Emmanuel Macron. Mais ce dernier reconnaît que les lois en vigueur, permettant de protéger les droits d’auteur, ne sont pas bien encadrées, ni efficaces. « Il faut continuer à former et à retenir les talents, investir plus d'argent public et privé (...) Mais il va falloir réglementer la responsabilité des acteurs qui diffusent l'IA. Il va falloir définir les règles pour savoir ce qui est vrai et ce qui est faux. Comment savoir avec certitude qu'il s'agit d'une vraie vidéo ? » Ces questions seront débattues lors d’un sommet mondial pour l’action sur l’intelligence artificielle, organisé en France, le 10 et 11 février.