LE FIGARO. - De nos jours, « l’ami », le « copain », le « camarade » se confondent. On utilise un mot pour l’autre. Après l’écriture de ce livre, quelle différence faites-vous entre eux ?
Alice FERNEY . - Tout d’abord, je ne voulais pas raconter les aventures que vivent ensemble des amis, mais l’aventure même de l’amitié. J’avais une tendance naturelle à comparer, opposer, séparer l’amour et l’amitié. Et assez vite, j’ai compris qu’ils étaient les deux mêmes formes de nos attachements. Mais, et c’est un point de discordance radical, dans l’amour, il y a un objet commun qui est le corps et qui manque à l’amitié. Pour moi donc, il faut que l’option amoureuse ait été écartée pour qu’une relation amicale naisse. Si on peut toucher ses amis, c’est sans ambiguïté. Le terme « copain » est plus léger qu’ami. Dans le mot « ami », il y a une forme de profondeur de la relation. C’est une relation que je trouve égalitaire. Le « camarade », lui, est moins profond que l’ami, il a en outre une connotation politique, de lutte… mais avec une dimension quand même personnelle. Dans l’ordre d’importance, je dirais donc qu’il y a « l’amant », puis « l’ami », le « camarade » et enfin le « copain ».
Passer la publicitéVotre roman est présenté comme le pendant de La Conversation amoureuse , publié il y a 25 ans. Ces livres forment-ils un diptyque ? Votre vision de l’amour a-t-elle changé en deux décennies ?
Effectivement, j’ai vu mon roman comme un diptyque avec La Conversation amoureuse mais seulement quand j’ai eu fini de l’écrire. Depuis ce livre-ci, j’ai vraiment le sentiment d’avoir acquis une vraie maturité, avec moins d’illusions. J’ai appris que beaucoup des choses que nous voudrions éternelles ne le sont pas. Quant à l’évolution de l’amour, je dois dire que j’ai un souvenir marquant de ma lecture de La Fin de l’amour, d’Eva Illouz. Elle analyse très bien ce que modifient les réseaux sociaux, le nombre plus important des possibilités de rencontres amoureuses… Et je le constate : on a de plus en plus de mal à s’engager. Parfois il se crée un décalage entre notre besoin de liberté et nos désirs. Puisque le sexe vient en premier alors qu’avant il venait en dernier dans une relation, on a perdu nos repères. Coucher avec quelqu’un n’a plus le même sens, la même valeur de profondeur et d’engagement qu’autrefois. Cela m’a fait réfléchir. J’ai toujours trouvé plus intéressant, plus difficile d’aimer que d’être aimé. Il y a cette fameuse phrase : « Le pouvoir en amour appartient à celui qui s’implique le moins. » Je pense que c’est vrai.
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Dans ma vie, j’ai de vrais amis qui ne sont jamais devenus des amants
Alice Ferney
L’amitié homme-femme est peu traitée en littérature. Pourquoi ?
J’ai remarqué que les histoires d’amitié sont souvent des histoires qui commencent dans l’enfance, quand il n’y a pas de sexualité. Mais effectivement, il n’y a pas ou peu de livres qui en parlent. L’amour a plus intéressé les romanciers que l’amitié. Donc cette amitié homme-femme est-elle possible ? J’ai écrit ce livre parce que je la crois possible. Dans ma vie, j’ai de vrais amis qui ne sont jamais devenus des amants.
Que faut-il pour entretenir une amitié ?
Passer la publicitéLe livre l’enseigne. Je pense qu’il y a une limite à avoir dans l’intimité de l’autre ; on ne peut pas être dans une totale transparence. Une des choses qui me frappent, c’est qu’on s’attache en parlant. La parole est fondatrice des relations mais elle est aussi destructrice. En général, on se sépare parce qu’on a dit quelque chose qui ne convenait pas, soit quelque chose qu’on n’a pas dit et qui a manqué radicalement.