A Gaza, les femmes enceintes et leurs bébés sont "constamment exposés au risque d'une mort évitable", dénonce un rapport de Human Rights Watch

Leur situation est particulièrement critique. Alors qu'une fragile trêve est observée dans la bande de Gaza, Human Rights Watch (HRW) alerte, dans un rapport publié mardi 28 janvier, sur les conséquences dramatiques de 15 mois de guerre et de blocus pour les femmes enceintes vivant dans le territoire palestinien. Les mères et leurs enfants nés ou à naître y sont "constamment exposés au risque d'une mort évitable", dénonce l'ONG.

Pour ce rapport de plus de 50 pages, HRW a interrogé 17 personnes, dont des soignants et huit femmes qui ont été enceintes durant le conflit, entre juin et décembre 2024. L'organisation s'appuie aussi sur les informations publiées par plusieurs autres ONG et agences des Nations unies. Toutes constatent une dégradation des conditions d'accompagnement des femmes enceintes durant leur grossesse, au moment de l'accouchement et dans les jours qui suivent.

Alors que la bande de Gaza disposait de services obstétriques dans une vingtaine d'hôpitaux et centres de soins avant la guerre, il n'en restait plus en janvier que "dans sept des dix-huit hôpitaux partiellement en état de fonctionner à travers Gaza, dans quatre des onze hôpitaux de campagne et dans un centre de santé communautaire", dénombre HRW. Le territoire manquait également, en décembre, de 24 traitements médicaux et 19 types d'équipements nécessaires à la prise en charge des femmes enceintes et des nouveau-nés, affirme l'Organisation mondiale de la santé à l'ONG

Les combats, les bombardements et les déplacements répétés imposés aux habitants par les ordres d'évacuation de l'armée israélienne ont rendu le suivi des grossesses très complexe. "Il est généralement impossible de dire aux femmes où elles peuvent accéder aux soins en toute sécurité", relève HRW. Des mères et des soignants interrogés évoquent par exemple des difficultés à réaliser des examens essentiels comme les échographies, faute d'électricité.

Des fausses couches en hausse de 300%

La prise en charge au moment de l'accouchement se fait, elle aussi, dans des conditions parfois dramatiques. Un obstétricien du nord de Gaza a ainsi expliqué à HRW que son hôpital "manquait de tous les médicaments, y compris les péridurales, la plupart des anesthésiants ou les traitements pour aider les bébés prématurés, dont les poumons sont sous-développés, à respirer". A Khan Younès, une médecin de l'hôpital Nasser a même déclaré ne plus avoir de savon pour se laver les mains, ou de draps pour offrir un minimum d'intimité aux femmes qui accouchent.

Dans une des maternités de l'enclave, l'afflux constant de blessés a contraint les soignants à demander aux jeunes mamans de partir dans les quatre heures suivant l'accouchement, ou dans la journée si elles avaient eu une césarienne, raconte un médecin interrogé dans le rapport. S'il n'y a pas de statistiques, plusieurs médecins affirment à HRW que de nombreux bébés naissent prématurés ou "très maigres", alors que Gaza manque cruellement de couveuses pour les prendre en charge.

"La plupart des bébés qui naissent avec un poids très bas meurent d'asphyxie périnatale devant nous, et nous ne pouvons rien faire."

Adnan Radi, médecin à l'hôpital al-Awda de Jabaliya

à Human Rights Watch

Le manque de nourriture et d'eau potable entraîne par ailleurs des complications chez de nombreuses mères et nouveau-nés. Israa Mazen Diab al-Ghul a raconté à HRW qu'avant son accouchement, en avril 2024, elle avait parfois été contrainte de boire de l'eau de mer. "J'ai vomi, et j'étais inquiète que ça tue le bébé", témoigne-t-elle. Faute d'eau potable, il est aussi très difficile de préparer du lait infantile, alors que certaines mères ont du mal à allaiter en raison du stress, du manque de nourriture et d'intimité.

Une mère nourrit son bébé à Rafah, dans la bande de Gaza, le 3 mars 2024. (ABED ZAGOUT / ANADOLU / AFP)

Selon Human Rights Watch, il n'existe que peu de données sur le taux de survie des nouveau-nés ou la mortalité des femmes enceintes durant le conflit à Gaza. Mais l'ONG cite une estimation de la Fédération internationale des plannings familiaux, qui affirmait, en juillet 2024, que le taux de fausses couches avait augmenté de plus de 300% depuis le début du conflit. Un chiffre qui peut s'expliquer aussi bien par les conditions déplorables d'hygiène, le manque d'accès aux soins ou les traumatismes physiques et psychiques causés par les combats, pointe HRW tout au long de son rapport.

Des femmes enceintes qui ont "constamment peur"

L'ONG a notamment recueilli les témoignages de deux femmes ayant perdu leur enfant après avoir été blessées dans des attaques israéliennes. En octobre, l'appartement de Shahad al-Qutaiti a été dévasté par une frappe, alors qu'elle était enceinte de sept mois. La Gazaouie de 23 ans en est ressortie avec de multiples fractures et brûlures. Elle a fait une fausse couche "immédiatement après l'attaque", rapporte HRW.

Shaima Suhail Abu Jazar a, elle, perdu son mari, son fils de 16 ans et sa fille de 11 ans dans une frappe survenue en pleine nuit à Rafah, en février 2024. La Palestinienne de 33 ans, enceinte de neuf mois, a aussi été grièvement blessée aux jambes et au ventre durant l'attaque. Transportée à l'hôpital pour y être opérée, elle "a supplié les médecins de réaliser une césarienne", relate-t-elle à HRW.

"A cause de mon état et du sang que j'avais perdu, [les médecins] ont dit non. Puis mon bébé a arrêté de bouger. Ils m'ont fait accoucher par voie naturelle [d'un enfant mort-né]."

Shaima Suhail Abu Jazar

à Human Rights Watch

Toutes les femmes interrogées "ont évoqué le poids psychologique extrême de vivre en ayant constamment peur pour leur vie et leur grossesse", dénonce HRW. L'ONG appelle donc Israël à faire son maximum pour assurer l'accès de la population aux services et produits de première nécessité, "avec une attention particulière portée aux femmes enceintes et aux enfants". "Le cessez-le-feu à lui seul ne mettra pas fin aux conditions abjectes" dans lesquelles vivent ces civils, insiste l'autrice du rapport, Belkis Wille.