Gaël Faye remporte le prix Renaudot 2024 avec Jacaranda
Gaël Faye ou Kamel Daoud ? La semaine dernière encore, les pronostics allaient bon train dans tout Paris. On supputait un duel entre les deux auteurs. Si l’un avait le Goncourt, l’autre devait avoir le Renaudot. Voilà désormais qui est fait. À 12h45, le 122e prix Goncourt a été accordé au premier tour, à Kamel Daoud pour Houris chez Gallimard et le prix Renaudot, par la voix de Jean-Marie Gustave Le Clézio, son président pour cette édition 2024, a été remis à Gaël Faye pour Jacaranda aux éditions Grasset. Le prix Renaudot Essai a été attribué à Sébastien Lapaque et le prix Renaudot Poche à Serge Rezvani, pour Les Années-lumière, (collection Fugues de Philippe Rey).
Jusqu’au bout, on avait cru à un Faye prix Goncourt. Il semblait d’ailleurs avoir le profil idéal: auteur populaire, poète et slameur, succès de librairie depuis son premier roman adapté au cinéma, au théâtre, en BD. Pourtant, malgré les rumeurs, même Grasset n’y croyait pas. Quand on lui posait la question « Faye peut-il remporter le Goncourt?», la maison d’édition répondait défaitiste : « Tout le monde dit Daoud ». Elle se souvenait qu'en 2016, Gaël Faye avait déjà figuré dans la liste finale du Goncourt pour son premier roman « Petit pays » et était finalement reparti les mains vides (avec le prix Goncourt des lycéens tout de même !) face, déjà, à un auteur Gallimard. Et puis, Jacaranda n'avait pas besoin des Goncourt pour trouver sa place en librairie : depuis sa sortie en août, le roman s'est écoulé à 173.000 exemplaires, avec certaines semaines des pics à 20.000 exemplaires. N’importe, le prix Renaudot est un beau prix, qui récompense une œuvre très jeune mais aussi une maison d’édition. Avec Jacaranda, Grasset remporte son 3e prix Renaudot. Le dernier en date était Simon Liberati en 2022.
À lire aussi Kamel Daoud remporte le prix Goncourt 2024 avec Houris
Une consécration pour Grasset donc, mais aussi pour son auteur de 42 ans, qui en est donc seulement à son deuxième roman. La précision a son importance quand on sait que les jurés y sont très sensibles. En 2017, Olivier Guez avait décroché le prix Renaudot avec La Disparition de Josef Mengele (Grasset) et en 2018, Valérie Manteau, le remportait avec Le Sillon (Le Tripode). Pourtant, de son propre aveu, Gaël Faye ne se considère pas comme écrivain. Et ce, malgré l'incroyable succès de son premier roman Petit Pays, traduit en 45 langues, écoulé à plus d'un million d'exemplaires, adapté au cinéma, en pièce de théâtre et en bande dessinée.
C'est ce qui fait le charme de l'auteur. 1m93 d'humilité et de poésie. Né en 1982 au Burundi, d'une mère rwandaise et d'un père français, Gaël Faye est arrivé en France à l'âge de 13 ans en région parisienne. Bon élève, fan de hip-hop et de rap, il s'est d'abord exilé à Londres pour le travail avant de revenir à ses premières amours : la musique. Quand il n'est pas en librairie, Faye est rappeur, compositeur, interprète. À succès aussi (il a notamment remporté la révélation scène de l'année aux Victoires de la musique 2018). Loin de la course à la publication germanopratine, Faye a ainsi pris son temps (huit ans) pour écrire Jacaranda. Un roman inspiré de sa propre vie et de ses liens avec le Rwanda, dans lequel il analyse la reconstruction de ce pays, traumatisé par le génocide des Tutsi en 1994. Hasard du calendrier ? L'année 2024 marque le trentième anniversaire des commémorations de ce massacre.
Son histoire: Avril 1994. Milan a 12 ans et vit à Versailles entre un père français et une mère rwandaise qui ne lui a jamais parlé de son pays ni de sa famille. Un jour pourtant, le Rwanda entre dans leur vie. Un garçon de 12 ans se tient debout au milieu du salon, côtes apparentes, un épais pansement sur son crâne rasé. Claude a été blessé durant la guerre. Milan en fait son frère mais l'enfant est déjà renvoyé chez lui. Les années passent, les souvenirs aussi.
On est en juillet 1998. La mère de Milan lui propose de l'accompagner au Rwanda. Là-bas, l'adolescent découvre qu'il a une grand-mère et un jeune oncle qui ont survécu au génocide. Il rencontre une autre rescapée, amie de jeunesse de sa mère, qui a perdu ses quatre enfants dans les massacres, vient d'avoir un bébé et retrouve le jeune Claude. Au début du livre, Milan pose des yeux d'européen sur Kigali. « Des rigoles d'eaux sales et usées coulaient entre les maisons aux toits de tôle, des sacs plastique traînaient dans les caniveaux. » Claude enrage. « Tu viens ici en touriste et tu repartiras en pensant avoir passé de bonnes vacances. Mais on ne vient pas en vacances sur une terre de souffrances. Ce pays est empoisonné. On vit avec les tueurs autour de nous et ça nous rend fous. » Milan désapprend ce qu'il pense savoir. Et les années passent. Milan reviendra au Rwanda. Lorsqu'il sera étudiant en droit, pour faire un mémoire sur les tribunaux populaires chargés de juger les génocidaires. Puis, comme l'auteur, il s'y installera définitivement.
« Ce n'est pas un livre autobiographique, a expliqué Gaël Faye à L'Humanité. Je suis très loin de Milan, le héros. Il y a bien sûr quelques éléments de ma propre vie. C'est une œuvre tissée de faits réels et vraisemblables. » Milan regarde, écoute, prend des notes, il décrit la difficile reconstruction d'un pays qui vit trois mois par an en deuil lorsqu'il commémore les massacres de 1994. Dans son numéro du 29 août, Le Figaro écrivait : « Au fil d'une narration bien scénarisée, Gaël Faye tente de composer un tableau juste et nuancé de la société rwandaise et de son passé, plongeant aux origines de la violence - une histoire longue évoquée à travers les souvenirs de la vieille Rosalie, née en 1895, qui a connu la cour des rois du Rwanda, un personnage dont la vie mériterait un roman-fleuve à lui tout seul. »