VRAI OU FAUX. Proposition de loi Duplomb : les pesticides néonicotinoïdes, comme l'acétamipride, sont-ils dangereux pour la santé ?
En écoutant les partisans et les opposants de la proposition de loi Duplomb, deux réalités semblent s'affronter. Ce texte, porté par le sénateur Les Républicains Laurent Duplomb, vise à "lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur". Il entend notamment réintroduire un pesticide de la famille des néonicotinoïdes, interdit en France depuis 2018 : l'acétamipride. Le texte divise la classe politique. Avant même son examen, lundi 26 mai, à l'Assemblée nationale, les députés ont voté une motion de rejet, déposée par le rapporteur de la proposition de loi. Une manœuvre du bloc central destinée à contourner les milliers d'amendements déposés par les écologistes et les insoumis. Le projet a donc été renvoyé devant une commission mixte paritaire (composée de sept sénateurs et sept députés) qui se réunira à huis clos et à une date ultérieure, et qui devra entre autres trancher le sort de l'acétamipride.
Autorisé ailleurs en Europe, ce produit est notamment réclamé par les producteurs de betterave ou de noisettes, qui estiment n'avoir aucune autre solution contre les ravageurs. A contrario, les apiculteurs mettent en garde contre "un tueur d'abeilles". Ses effets sur l'être humain sont également débattus par les défenseurs comme les pourfendeurs de la proposition de loi. Delphine Batho, députée écologiste, a considéré sur BFMTV que le texte représentait un "danger pour la santé publique". Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition écologique, est également contre l'acétamipride. "Ça tue les pollinisateurs, c'est un perturbateur endocrinien, un neurotoxique du développement et on peut le retrouver dans l'eau potable", a-t-elle rappelé dimanche sur franceinfo.
D'autres se veulent plus rassurants. "Si ce produit est dangereux, l'autorité sanitaire européenne le retire, et pour tout le monde. Ce n'est pas le cas", a estimé sur franceinfo Arnaud Rousseau, le patron du principal syndicat agricole, la FNSEA. "Ce produit est homologué dans 26 Etats membres sur 27, il n'y a qu'en France qu'il est interdit sur une décision politique, non pas sur une décision scientifique", a-t-il argué. Un avis partagé par Marc Fesneau, le patron des députés MoDem, proche de François Bayrou, et Annie Genevard, la ministre de l'Agriculture. Alors, dangereux ou pas pour la santé ? Qu'en est-il vraiment ?
Les aliments, "principaux" vecteurs d'exposition
Cinq types de pesticides sont considérés comme des néonicotinoïdes. S'ils sont tous interdits en France, l'acétamipride ne l'est pas au sein de l'Union européenne. D'après une décision de l'Autorité européenne de sécurité des aliments, l'Efsa, de mai 2024, les agriculteurs peuvent continuer à l'utiliser jusqu'en 2033. Mais l'utilisation de ce pesticide est décriée par les apiculteurs. Le produit agit sur le système nerveux central de leurs abeilles par le biais de récepteurs et désoriente ces insectes, qui vont mettre plus de temps à trouver leurs ruches, s'épuiser et mourir. "Les humains ont le même type de récepteurs, on s'attend donc aux mêmes effets", relève Sylvie Bortoli, ingénieure de recherche en toxicologie mécanistique à l'Inserm.
Si les effets des néonicotinoïdes sont bien connus et reconnus sur les insectes, ils le sont moins sur les humains, par manque d'études de grande ampleur. Néanmoins, des travaux de recherches récents alertent sur plusieurs effets néfastes sur l'être humain. "Il y a plusieurs modes de contamination", note la chercheuse.
"Il est possible d'être contaminé par voie respiratoire, quand les produits sont diffusés dans l'air avec la technique de l'épandage ; de manière cutanée, quand les agriculteurs ne portent pas de tenue de protection ; mais la source principale de contamination reste l'alimentation."
Sylvie Bortoli, ingénieure de recherche en toxicologie mécanistique à l'Insermà franceinfo
Une étude réalisée aux Philippines par le CNRS en 2021 confirme que même des personnes qui habitent loin des champs peuvent être contaminées. "Nous nous attendions à trouver plus de traces de néonicotinoïdes chez les personnes qui vivent en campagne, mais cela n'a pas été le cas", analyse Jean-Marc Bonmatin, chercheur en toxicologie et en biochimie au CNRS, interrogé par franceinfo.
Des effets sur la santé des enfants et des adultes
La littérature scientifique fait état de multiples effets des néonicotinoïdes sur l'homme. D'abord, selon une étude japonaise réalisée en 2019, les néonicotinoïdes, et notamment l'acétamipride, sont capables de passer la barrière du placenta et donc d'atteindre le neurodéveloppement de l'enfant dans le ventre de sa mère. "Certains naissent avec une taille insuffisante, d'autres avec une anencéphalie, soit le manque d'une partie de cerveau", expose Jean-Marc Bonmatin. Une étude américaine de 2017 démontre que l'exposition aux néonicotinoïdes a des conséquences sur le quotient intellectuel des enfants. "Nous avons observé une diminution de 2,2 points (...) dans le QI à grande échelle et 2,9 points (...) en compréhension verbale pour chaque augmentation de l'écart type de l'utilisation pondérée par la toxicité des pesticides organophosphorés", révèle l'étude.
Ces analyses scientifiques montrent également un risque de développer un spectre autistique chez des enfants qui ont été exposés à ces produits phytosanitaires in utero. Chez les adultes, de récentes études ont établi des liens entre exposition à des néonicotinoïdes et maladies cardio-métaboliques, diabètes gestationnels chez la femme enceinte ou encore cancers du foie. Pour confirmer ces observations sur les populations, les chercheurs réalisent des expérimentations en laboratoire, par exemple en testant les effets des substances sur les animaux. "Pour les expériences in vivo et in vitro, nous mimons une exposition aux néonicotinoïdes qui peut correspondre à celle d'une alimentation traitée avec ces pesticides", décrit Sylvie Bortoli. Plusieurs travaux ont confirmé ces constats. Cette étude réalisée sur des rats nouveau-nés a par exemple démontré que "les néonicotinoïdes peuvent avoir des effets néfastes sur la santé humaine, en particulier sur le développement du cerveau". Pour les chercheurs interrogés par franceinfo, il est donc démontré que des effets concrets existent sur la santé des humains.
"Je travaille sur les pesticides et je n'ai jamais eu autant de preuves sur les dégâts d'un pesticide qu'avec l'acétamipride."
Jean-Marc Bonmatin, chercheur en toxicologie et en biochimie au CNRSà franceinfo
Comment expliquer alors l'autorisation accordée par l'agence sanitaire européenne ? "Des incertitudes majeures" demeurent sur les effets neurodéveloppementaux de l'acétamipride, a notamment fait valoir l'Efsa. Il faudrait de "nouveaux éléments" pour pouvoir "évaluer de manière adéquate les risques et les dangers" de l'acétamipride, a insisté l'agence, appelant pour l'heure à abaisser nettement les seuils auxquels ce pesticide est jugé potentiellement dangereux.
Un potentiel "effet cocktail"
Les défenseurs de la réintroduction des néonicotinoïdes mettent également en avant le verdict rendu par l'agence de sécurité sanitaire française. Entre 2016 et 2017, l'Anses a mené une étude, avec des expériences in vivo et in vitro, sur les effets sur la santé humaine de néonicotinoïdes autorisés. "Ses travaux ne mettent pas en évidence d'effet nocif pour la santé humaine, dans le respect des conditions d'emploi fixées dans les autorisations de mise sur le marché", avait noté l'Anses.
Mais les chercheurs interrogés par franceinfo alertent sur "l'effet cocktail". "On est exposés simultanément à plusieurs néonicotinoïdes, mais les effets de mélange sur la santé sont encore largement inconnus et inexplorés, pointe Sylvie Bortoli. Le risque pour la santé est probablement largement sous-estimé." "Ce type d'effet est connu lorsqu'on mélange des médicaments, il n'y a aucune raison que cela ne soit pas le cas avec les pesticides", développe Xavier Coumoul, professeur des universités en biochimie et toxicologie.
Enfin, si les effets sur la santé humaine ne sont pas encore reconnus par les autorités, ceux sur la biodiversité, eux, le sont.
"On ne peut pas dissocier santé humaine et santé planétaire."
Xavier Coumoul, professeur des universités en biochimie et toxicologieà franceinfo
Si les pesticides sont utilisés pour éliminer les organismes jugés indésirables dans les champs, ils détruisent aussi la biodiversité qui ne menace pas forcément les cultures. D'après la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, seuls 2 à 20% des néonicotinoïdes enrobant les semences sont absorbés par les cultures, tandis que le reste est stocké dans le sol puis transporté dans les écosystèmes aquatiques et terrestres.
De cette manière, ces produits touchent même des espèces qui ne sont pas dans les cultures visées à l'origine. "Ces insecticides sont actuellement identifiés comme une cause majeure du déclin des insectes et autres invertébrés terrestres et aquatiques", souligne la Fondation. Or l'érosion de la biodiversité représente une menace à long terme, notamment pour l'agriculture et donc l'alimentation. "On risque d'avoir des répercussions en termes de santé humaine", avance le chercheur.