« En deux heures, la loi sur l’homicide routier serait adoptée » : Yannick Alléno lance un appel à Gérald Darmanin

«Le soir du 8 mai, tu as donné un coup de pied dans le sablier et inversé le cours normal de la vie. Les heures s’égrènent et il nous reste peut-être le temps de ta vie pour te retrouver». Ces vers sont ceux du célèbre chef étoilé Yannick Alléno et de sa famille. En 2022 ont perdu leur fils Antoine tragiquement percuté par Franky Deplechin, un chauffard sans permis conduisant une voiture volée, sous l’emprise de l’alcool, de la drogue, au-dessus des limitations de vitesses.

Depuis ce tragique printemps, la famille Alléno transforme sa «douleur en combat», créant dès septembre 2022 l’Association Antoine Alléno «pour soutenir les familles dans leurs douleurs et dans leurs démarches judiciaires». Puis très vite en menant un plaidoyer pour faire naître le principe de l’homicide routier dans la loi française. Alors que la proposition de loi visant à créer ce concept juridique peine à trouver une place à l’Assemblée nationale, Yannick Alléno confie sa colère au Figaro.

LE FIGARO. - Vous êtes à l’origine de cette proposition de loi sur l’homicide routier. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi cela pourrait éviter des drames sur la route ?

Cela fait plus de dix ans que les victimes réclament cette loi. C’est un combat qui est devenu le mien après qu’Antoine, mon fils, a été victime d’un homicide routier. Il faut comprendre l’ampleur du phénomène : nous parlons de 700 morts de moins de 25 ans chaque année sur les routes françaises, qui ne font souvent que trois lignes dans la presse quotidienne régionale. C’est un drame collectif qui reste encore trop invisible.

Au tribunal, après la perte de mon fils, j’étais stupéfait de voir que notre système judiciaire traitait ces drames comme de simples accidents involontaires. On a donc travaillé avec le pénaliste Didier Rebut, et l’ancien juge d’instruction Pierre Cornut-Gentille pour démontrer que l’homicide involontaire ne correspond pas à la réalité de ces drames (et qu’il existerait donc un vide juridique, NDLR). Quand quelqu’un prend le volant en état d’ivresse, sous l’emprise de stupéfiants, ou avec la volonté délibérée de percuter une personne, nous sommes loin d’un simple accident. C’est un acte volontaire qui entraîne des conséquences mortelles.

Il sera toujours impossible d’éliminer les accidents mortels sur la route. Cependant, je suis convaincu que si l’on avertit une personne en état d’ivresse qu’elle sera considérée comme un criminel si elle prend le volant, cela la fera réfléchir à deux fois. Il faut agir, il n’y a encore pas moins de 15 jours, un bébé de 18 mois a été tué par un chauffeur ivre dans l’Ain. À un moment : «ring the bells» (tirons la sonnette d’alarme) !

Où en est cette proposition de loi aujourd’hui ?

Au moment de la dissolution de l’Assemblée nationale, la loi était quasiment adoptée. Elle a bénéficié d’un relais très important, notamment celui de madame Brigitte Macron ou du garde des Sceaux, Éric Dupont-Moretti à l’époque. Elle avait été votée à l’unanimité par les députés (avec 24 abstentions, NDLR).

Au Sénat, cela a été plus compliqué. J’en veux beaucoup au sénateur Francis Szpiner (LR), qui a profité de notre texte pour faire un coup politique. Il a voulu introduire avec les peines plancher via cette loi, alors que cela n’était probablement pas constitutionnel (l’amendement de Francis Szpiner n’avait finalement pas été adopté, NDLR). Sa prise de position a tendu des débats pourtant consensuels et retardé l’adoption du texte.

Le souhait du ministre de la Justice Gérald Darmanin de voir le texte adopté «avant la fin de l’année» vous semble-t-il réaliste ?

Il ne faut que deux heures pour voter cette loi ! La fin de l’année, c’est dans huit mois. Il n’y a pas d’amendements à apporter, le texte est prêt. Franchement, il faudrait que j’appelle les chefs de la cantine de l’Assemblée, pour qu’ils arrêtent de bosser, libérant du temps aux députés pour voter !

La proposition pourrait très bien faire partie d’une niche parlementaire. Eric Ciotti était prêt à le faire mais m’a finalement annoncé qu’ils avaient choisi d’autres textes... La fin de l’année, c’est trop vague. Nous demandons à Gérald Darmanin une date d’examen précise.

Une fois cette proposition de loi adoptée, quels seront vos prochains combats avec l’association ?

D’abord, je milite pour un nivellement européen des législations. L’Italie par exemple, est extrêmement stricte sur la sécurité routière, avec une tolérance zéro pour l’alcool au volant. Cette approche pourrait être adoptée au niveau européen. La création d’un fichier européen des conducteurs dangereux doit aussi être mise sur la table. Quelqu’un qui fait n’importe quoi en France, peut rouler sans problème en Pologne ? Ce n’est pas normal.

Autre combat, la technologie doit jouer un rôle crucial. Par exemple sur l’usage du téléphone au volant. Les opérateurs téléphoniques devraient s’engager à faire en sorte que les téléphones ne puissent plus être utilisés en position de conduite, dès lors que le mouvement est plus rapide que la marche.

Nous travaillons aussi avec la philosophe Cynthia Fleury et un comité des sages pour que la co-victimisation soit reconnue comme pathologie. Notre société doit mieux aider ceux qui restent après un drame. Nous voulons intervenir immédiatement auprès des familles pour identifier leurs besoins. Certaines n’ont pas les moyens financiers d’organiser des obsèques dignes pendant que les procédures d’assurance s’éternisent, c’est un autre drame que l’on peut éviter. Et puis, n’aviez-vous pas remarqué, qu’il n’existe pas de mot dans le langage pour signifier la mort d’un enfant ? Si l’on peut aider à nommer les choses, on aura traité le mal à la racine.