Le nouvel Animal Triste et le meilleur de Talk Talk, nos albums recommandés cette semaine

Jéricho, d’Animal Triste

Dès les premières secondes du premier morceau, Ave Satan, on est happés par un timbre qui rappelle l’immense Mark Lanegan. Puis un déluge de guitares et de batterie s’abat sur nous, sans concession. Le ton est donné. Pour son troisième album, Jéricho, Animal Triste n’y va pas par quatre chemins. Leur rock est dense, sombre et habité. Il y a bien longtemps qu’on n’avait pas entendu un disque français aussi puissant que celui-là. La pochette, une création de Yann Orhan inspirée du tableau Dante et Virgile de William Bouguereau, est au diapason de cette production. Dans le sillage du Gun Club ou des Bad Seeds, ces Français ont conçu une partition psychédélique et mystique, à la façon de prédicateurs gothiques du sud des États-Unis. L’Américain Alain Johannes, collaborateur de Queens of the Stone AgeArctic Monkeys et PJ Harvey est venu prêter main-forte, à la guitare et au chant, ainsi que Peter Hayes de Black Rebel Motorcycle Club, aux riffs affûtés. Mais le noyau de la formation est bien français, avec des membres de La Maison Tellier, Radiosofa, Darko et Dallas. Deux des musiciens ont survécu à Julien Doré, qu’ils ont accompagné de longues années ; c’est dire leur résilience. Marina Hands, de la Comédie-Française, prête sa voix sur le morceau titre de l’album, et pas le moins abrasif. Et leur rage fait plaisir à entendre. On ne s’ennuie jamais au long de ce disque ramassé et percutant de onze titres qui rivalisent d’intensité. Une épopée passionnante, comme si Jim Jarmusch avait tourné un remake de La nuit du chasseur avec Nick Cave dans le rôle de Robert Mitchum. Animal Triste nous console de l’horreur du monde actuel.

Talk Talk, The Very Best of

Ce groupe anglais apparu dans les années 1980 - et singulièrement son leader, le génial Mark Hollis - a suivi une carrière à rebours de toutes les autres. Avec ceci de commun avec l’Américain Scott Walker qu’ils ont commencé par les tubes radio avant d’avancer de plus en plus dans l’expérimentation et l’abstraction. Cette nouvelle version d’une compilation initialement sortie en 1997, et désormais chronologique, le rappelle avec force. Talk Talk a commencé comme un groupe de pop synthétique assez ordinaire avant de signer deux tubes en or massif, les inusables It’s My Life et Such a Shame en 1984. La formation aurait pu continuer à enchaîner ainsi les succès, mais elle a préféré creuser une singularité qui a continué à donner naissance à des chansons populaires dans un premier temps. Life’s What You Make it, un des meilleurs singles des années 1980 repris aussi bien par Placebo que Divine Comedy, et Living in Another World sont tirés de l’album The Colour of Spring, un chef-d’œuvre qui les voyait délaisser la pop synthétique pour une musique plus organique. Spirit of Eden, et encore plus Laughing Stock, ont vu le groupe diminuer ses ventes mais augmenter sa cote d’amour. En s’éloignant de la pop, Mark Hollis, qui allait se radicaliser encore davantage en solo avec un album exceptionnel, annonçait le post-rock et les expérimentations des années 1990 avec beaucoup d’avance. Ce best-of très bien conçu donne à entendre un phénomène rare : un groupe qui n’a jamais été ennuyeux, n’a jamais enregistré une mauvaise chanson et dont la production continue de nous régaler plus de quarante ans après ses débuts. À écouter en lisant le formidable ouvrage Mark Hollis ou l’Art de l’effacement, de notre confrère Fred Rapilly (éd. Le Boulon).