La "disparition" de 377 000 Gazaouis selon une "étude de Harvard" ? Un chiffre mal interprété

"Un rapport de Harvard révèle que 377 000 personnes sont portées disparues à Gaza (probablement mortes sous les décombres)", publie sur X Abdal Karim Ewaida, ambassadeur palestinien en Côte d'Ivoire, qui soutient que ce chiffre "se base sur des données militaires Israéliennes". 

Ce chiffre a également été partagé par certains médias, comme Middle East Monitor ou The New Arab, ou encore par la députée de la France Insoumise Rima Hassan sur Instagram.

Capture d'écran du post X du média Middle East Monitor publié le 24 juin 2025, qui reprend le chiffre de 377 000 personnes disparues à Gaza.
Capture d'écran du post X du média Middle East Monitor publié le 24 juin 2025, qui reprend le chiffre de 377 000 personnes disparues à Gaza. © X/ Middle East Monitor

Sur X, de nombreux comptes ont aussi relayé le visuel (voir photo de Une) de ce chiffre issu du compte du Palestinien Jimmy J, dont le post a déjà été vu près d'1,5 million de fois.

Une étude israélienne, pas de l'université américaine Harvard

À chaque fois, toutes ces publications font référence à une "étude de Harvard". Mais aucune étude d'Harvard n'a publié de tels résultats. L'étude vers laquelle tous pointent est en réalité une étude du chercheur Yaakov Garb, qui travaille à l'Université israélienne Ben Gourion du Negev. Publié le 3 juin 2025, son rapport ne porte pas sur la question des morts et disparus pendant la guerre à Gaza, mais sur les problèmes liés aux centres de distribution d'aide humanitaire mis en place par Israël fin mai avec la Fondation humanitaire de Gaza (GHF)

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Cette étude ne provient donc pas de l'université Harvard, mais a été publiée sur le Harvard Dataverse, un lieu de dépôt numérique géré par l'institution américaine à destination des chercheurs pour mettre à disposition leurs publications et bases de données. 

Quant au chiffre en question, il provient en réalité d'une lecture erronée de cette étude publiée dans une note de blog sur la plateforme Medium : le 10 juin, un internaute intitulé "Maximilian" publie sur cette plateforme une analyse de l'étude de Yaakov Garb titrée "Sinistres calculs : les données de l'IDF révèlent que 377 000 Palestiniens manquent à l'appel". 

Si ce chiffre n'a jamais été publié par Yaakov Garb, l'internaute affirme avoir trouvé un "chiffre non-dit" : il appuie son analyse en reprenant les cartes publiées dans l'étude. Les cartes montraient trois "clusters" de population sur le territoire dont l'armée israélienne a annoncé fin mai vouloir déplacer la population. Et elles indiquaient le nombre d'habitants dans chacun d'entre eux : Gaza City, avec une concentration d'1 million de personnes, la région côtière d’Al-Mawasi, avec 500 000 personnes, et le centre de la bande de Gaza avec 350 000 personnes. Soit un total de 1,85 million d'habitants.

L'auteur de ce post Medium en déduit qu'en soustrayant le nombre d'habitants de Gaza avant le 7 octobre, soit 2,227 millions d'habitants selon le Bureau central palestinien des statistiques, il arrive au chiffre de  377 000 Gazaouis "disparus".

À gauche, le calcul effectué par le compte “Maximilian” dans un post publié le 10 juin 2025 sur la plateforme Medium. À droite, une carte issue de l'étude de Yaakov Garb, qui mentionne trois clusters d'habitations et le nombre d'habitants dans chacun d'entre eux. Les chiffres d'habitants à Al-Mawasi, encadrés en rouge en bas à gauche, sont erronés et devraient mentionner 700 000 habitants au lieu de 500 000.
À gauche, le calcul effectué par le compte “Maximilian” dans un post publié le 10 juin 2025 sur la plateforme Medium. À droite, une carte issue de l'étude de Yaakov Garb, qui mentionne trois clusters d'habitations et le nombre d'habitants dans chacun d'entre eux. Les chiffres d'habitants à Al-Mawasi, encadrés en rouge en bas à gauche, sont erronés et devraient mentionner 700 000 habitants au lieu de 500 000. © Medium / Yaakov Garb

Une erreur dans la carte : 700 000 habitants à Al-Mawasi et non 500 000 

Que dire de cette conclusion ? Contacté par notre rédaction le 24 juin, Yaakov Garb s'est dit au départ surpris par cette "étrange erreur de lecture", au sujet de ces chiffres donnés par l'armée israélienne fin mai 2025.

Comme indiqué dans l'article, "les estimations de la population dans les enclaves proviennent de sources de l'armée israélienne rapportées dans les médias". L'article précise également que ces clusters "sont des indications très approximatives des trois enclaves de populations gazaouies".

Mais après avoir revérifié les chiffres de sa carte par rapport à l'annonce de l'armée israélienne, ce dernier s'est rendu compte d'une coquille dans les chiffres concernant Al-Mawasi : le nombre donné par l'armée israélienne et repris dans les médias était en réalité de 700 000 habitants et non de 500.000.  "Je vais corriger cela immédiatement", a-t-il indiqué à notre rédaction, expliquant qu'il allait effectuer une version révisée de son article. 

Ce dernier précise sa démarche. "Mon principal argument dans cette carte était que la majeure partie de la population (le million d'habitants de Gaza et une grande partie de ceux de la zone centrale) est éloignée de l'emplacement des complexes humanitaires, ce qui reste le cas. Je n'ai même pas supposé qu'il s'agissait de l'ensemble de la population de Gaza - que les chiffres s'élèvent à 100 % - mais simplement d'une représentation des concentrations centrales". 

"Il est un peu inquiétant que quelqu'un se soit appuyé sur une coquille dans une carte comme preuve d'un génocide sans avoir demandé au préalable", poursuit-il. "Il se passe suffisamment de choses horribles à Gaza pour que ce genre d'amplification d'une coquille par la chambre d'écho n'aide personne".

Une erreur qui explique dès lors les incompréhensions et mauvaises interprétations, l'armée israélienne ayant décompté 2 050 000 Gazaouis, et non 1 850. 000.

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56 077 Gazaouis tués, 11 000 disparus, 100 000 personnes en fuite

Que sait-on toutefois des chiffres exacts du nombre de personnes tuées, parties ou disparues à Gaza ?

Selon le ministère de la Santé gazaoui géré par le Hamas, 56 077 Gazaouis ont été tués - et 131 848 ont été blessés - depuis le 7 octobre 2023, selon le décompte du 24 juin 2025.

À savoir : le nombre des victimes est fourni par le ministère de la Santé de Gaza dirigé par le Hamas

Le ministère recueille les informations fournies par les hôpitaux de l'enclave et par le Croissant-Rouge palestinien.

Le ministère de la Santé à Gaza n'indique pas comment les Palestiniens ont été tués, que ce soit par des frappes aériennes et/ou des tirs de barrage israéliens ou des tirs de roquettes palestiniens ratés. Il décrit toutes les victimes comme des victimes de "l'agression israélienne" et ne fait pas non plus de distinction entre les civils et les combattants.

Au cours des quatre guerres et des nombreux accrochages entre Israël et le Hamas, les agences des Nations Unies ont régulièrement cité les chiffres du ministère de la Santé dans leurs rapports. Le Comité international de la Croix-Rouge et le Croissant-Rouge palestinien utilisent également ces chiffres.

Au lendemain des précédents épisodes de guerre, l'Office humanitaire des Nations Unies a publié des chiffres des victimes sur la base de ses propres recherches dans les dossiers médicaux. Les chiffres de l'ONU concordent largement avec ceux du ministère de la Santé de Gaza, à quelques différences près.

Pour en savoir plus sur les bilans du ministère de la Santé de Gaza, cliquez ici ou ici.

France 24 avec AP

Le nombre de morts à Gaza pourrait même être plus important que le bilan publié par le ministère de la santé gazaoui, selon une étude publiée en janvier par la revue médicale britannique The Lancet. L'étude, qui porte sur les neuf premiers mois de la guerre entre Israël et le Hamas, du 7 octobre 2023 au 30 juin 2024, estime que le nombre de morts à Gaza est supérieur d'environ 40 % à celui enregistré par le ministère de la Santé du territoire palestinien.

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Selon les derniers chiffres disponibles publiés fin 2024 par le bureau central palestinien de statistiques, 100 000 personnes ont également quitté la bande de Gaza depuis le début de la guerre.

À ce jour, beaucoup d'incertitudes demeurent sur le nombre de personnes disparues qui se trouveraient encore sous les décombres. Selon des rapports locaux mis en avant par l'ONU le 20 avril 2025, ce chiffre dépasserait les 11 000 personnes. 

Le 21 mars 2025, les Nations unies estimaient que 1,9 million de personnes avaient été déplacées depuis le début de la guerre, soit 90 % de la population de Gaza.