La ministre de l'Agriculture Annie Genevard a défendu sa stratégie, lundi 15 décembre lors d'un déplacement à Toulouse, en pleine crise dans le secteur bovin. Depuis l'été, il est frappé par le virus de la dermatose nodulaire contagieuse (DNC), transmise aux animaux par des piqûres de moustiques et qui forme des nodules sur la peau des vaches, provoque de grosses fièvres et peut aller jusqu'à tuer les bovins. Le virus, extrêmement contagieux, a entraîné des mesures sanitaires drastiques : plus de 3 000 bêtes ont été abattues pour essayer d'enrayer la propagation de la maladie, soit environ 2% du cheptel français.
Bien que le virus soit arrivé en France en été, la situation ne s'est véritablement tendue que depuis jeudi 11 décembre. Des agriculteurs se sont mobilisés pour empêcher l'abattage d'un cheptel de 200 vaches en Ariège dans lequel une seule avait été détectée positive. Depuis, en plus de la colère et de l'inquiétude légitime des agriculteurs, plusieurs fausses informations sont extrêmement relayées. Le Vrai ou Faux en a vérifié plusieurs.
1 Les abattages sont-ils liés à un rapport de la Cour des comptes ?
Une rumeur circule beaucoup sur les barrages des agriculteurs, en commentaire des articles en ligne, sur les réseaux sociaux : les abattages seraient liés, non pas à la maladie, mais aux objectifs climatiques de la France. "En fait, la vraie maladie, elle ne vient pas de la dermatose, affirme le président de Debout la France Nicolas Dupont-Aignan, dans une vidéo publiée sur X, elle vient du gouvernement qui veut obéir à l'Union européenne et qui veut réduire le cheptel français d'au moins 25% comme c'était écrit par un rapport de la Cour des comptes." Avis partagé par l'économiste Philippe Herlin, qui pense que "la dermatose est juste un prétexte pour décimer l'élevage français et respecter ainsi les préconisations de la Cour des comptes exprimées en 2023".
Mais c'est mélanger deux choses qui n'ont rien à voir. D'un côté, la stratégie sanitaire qui est en vigueur au niveau européen, à savoir abattre les cheptels où au moins une vache a été contaminée et vacciner les cheptels voisins dans un périmètre de sécurité sanitaire. La stratégie est en effet établie au niveau européen, a été appliquée de la même façon ces derniers mois en Italie et en Espagne, comme l'explique la Commission européenne sur son site. C'est la stratégie recommandée par le Conseil national de l'Ordre des vétérinaires ainsi que par des scientifiques indépendants, notamment ceux de l'Agence nationale de sécurité sanitaire.
De l'autre côté, Nicolas Dupont-Aignan mentionne un rapport de la Cour des comptes publiés en 2023, qui recommande de réduire le nombre de bovins en France pour respecter les objectifs climatiques du pays. Ce rapport existe bel et bien, mais il n'a rien à voir avec la situation actuelle. La Cour ne parlait pas d'abattage de masse, ni de dermatose nodulaire. Elle ne préconisait pas non plus précisément de réduire le cheptel bovin de "25%", mais elle disait que, selon un scenario de la Stratégie national bas carbone, le cheptel pourrait baisser de 19 millions à 13 millions de vaches entre 2015 et 2050, soit une baisse d'environ 25%.
La stratégie sanitaire européenne et le rapport de la Cour des comptes existent, mais ne sont pas liés entre eux.
2 Des vétérinaires ont-ils été radiés ?
Une autre rumeur affirme que plus de 70 vétérinaires qui ont refusé de participer à l'abattage des cheptels ont été radiés de l'ordre des vétérinaires. Mais là aussi c'est faux, cela a été démenti par la préfecture de l'Ariège. "Le préfet de l'Ariège dément les rumeurs qui affirment que 70 vétérinaires auraient refusé de participer aux opérations de dépeuplement et auraient été radiés de l'ordre des vétérinaires. Les vétérinaires exercent leurs fonctions en toute liberté de conscience. Aucun vétérinaire n'a été réquisitionné pour contribuer aux opérations de dépeuplement menées au GAEC de Mouriscou. Aucune radiation n'a été prononcée par l'Ordre des vétérinaires", a-t-il écrit sur Facebook le 14 décembre.
Des internautes affirment aussi que la mortalité de la dermatose nodulaire est faible, entre 1% et 5%, alors que le ministère de l'Agriculture parle, lui, d'un taux de mortalité qui "peut atteindre 10% du troupeau". Le directeur scientifique de la santé animale au sein de l'Anses Éric Cardinale explique à TF1 que les estimations ont de 5% de mortalité pour l'Organisation mondiale de la santé animale à 10% pour l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture.
3 Cette maladie est-elle un prétexte pour favoriser l'importation de vaches issues du Mercorur ?
Plusieurs rumeurs accusent également l'Europe d'utiliser la dermatose nodulaire comme prétexte pour imposer des vaches issues du Mercosur sur le marché français, dans le cadre des négociations de l'accord entre l'Union européenne et plusieurs pays d'Amérique du Sud (ici). Cependant, selon une source européenne contactée par franceinfo, c'est entièrement faux. Il n'y a aucune stratégie économique ni politique au niveau européen qui lierait ces abattages au Mercosur.
4 La désinformation vient-elle principalement de France ou de l'étranger ?
Selon des sources concordantes de franceinfo, cette désinformation est en partie poussée par des tentatives d'ingérences étrangères. Une source gouvernementale française a constaté que des réseaux pro-iraniens et britanniques ultraconservateurs et anti-européens essaient d'amplifier les critiques de la stratégie sanitaire en place.
Un compte X basé au Royaume-Uni a notamment diffusé le témoignage très émouvant d'un agriculteur qui dit : "Regardez comme ils nous traitent, ils nous prêtent tout. On n'a plus rien, on est traités comme des moins que rien. C'est nous qui nourrissons les Français, c'est nous. Et regardez ce qu'on subit." Sauf que cette vidéo a été généré par une intelligence artificielle et publié initialement sur un compte TikTok coutumier du fait, qui publie notamment des fausses interviews de cochons qui parlent.
Une source européenne explique quant à elle à franceinfo que des comptes X liés à des réseaux d'ingérences gonflent artificiellement des narratifs accusant l'Union européenne de double-jeu, notamment en parlant du Mercosur, mais aussi en l'accusant de vouloir abattre la viande européenne pour "vous faire manger des insectes" (ici, ici et ici). Il s'agit de comptes qui relaient régulièrement de la désinformation prorusse, notamment celui de Florian Philippot, le fondateur du mouvement les Patriotes.
Néanmoins, l'effet de ces tentatives d'ingérences est "marginal", selon la source gouvernementale française. La désinformation sur la dermatose nodulaire provient principalement de France et est relayée par des acteurs très connus, d'extrême droite, complotistes ou covidosceptiques, qui emploient une sémantique très particulière. La pharmacienne biologiste Hélène Banoun, prisée des antivax depuis la pandémie de Covid-19 a notamment mis en cause les chiffres officiels de la mortalité de l'épizootie actuelle de dermatose nodulaire. Le souverainiste et créateur du Puy-du-Fou, Philippe de Villiers, a estimé sur Cnews qu'Annie Genevard était "le docteur Véran en jupon", disait qu'il avait "l'impression de revivre le Covid".
Il a aussi fait un lien fallacieux entre les abattages et l'accord européen avec le Mercosur : "On abat et on brule la viande française et pendant ce temps-là, on s'apprête à faire rentrer en remplacement - là encore le grand remplacement - la viande argentine dans le cadre du Mercosur." Ce faisant, Philippe de Villiers reprend le concept de grand-remplacement – un concept infondé utilisé d'habitude pour dénoncer l'immigration et un supposé complot visant à remplacer la civilisation française – pour dénoncer l'importation de vaches étrangères.