INFOGRAPHIES. Marchés fébriles, ménages inquiets... Comment la politique erratique de Donald Trump ébranle l'économie américaine

Les revirements de Donald Trump donnent le tournis à l'économie américaine. Consommateurs, investisseurs et marchés financiers baignent dans l'incertitude depuis son retour à la Maison Blanche et le lancement d'une guerre commerciale avec ses partenaires historiques. Après avoir annoncé 50% de droits de douane sur l'acier et l'aluminium canadiens, mardi 11 mars, le président américain a fait marche arrière le jour même, avant d'annoncer une taxe sur ces produits à hauteur de 25% le lendemain. "Cette politique en dents de scie n'est pas bonne pour le business, tranche l'économiste Maria Demertzis du centre de réflexion Conference Board en Europe. Les acteurs économiques doivent être fixés pour pouvoir s'organiser."

La Bourse de New York a sonné l'alerte lundi. L'indice américain Dow Jones – l'équivalent du CAC 40 français – s'est contracté de 2,08%, tandis que le Nasdaq, qui représente les valeurs technologiques, a dévissé de 4%. Le cours du constructeur automobile Tesla a ainsi chuté de 15%, ce à quoi Donald Trump a réagi en promettant d'acheter une nouvelle voiture de cette marque, en soutien à son fidèle bras droit Elon Musk, patron de l'entreprise. Quant au S&P 500, qui représente les 500 plus grandes entreprises cotées sur les Bourses américaines, il a reculé de 2,70%. 

visualization

Le milieu des affaires, qui comptait sur les mesures favorables en termes de fiscalité et de réglementations promises par Donald Trump, a déchanté. "Les marchés souffrent d'une bonne vieille crainte de croissance due à une forte volatilité de la politique américaine", a résumé Mohamed El-Erian, président du Queens College de Cambridge (Royaume-Uni), dans le Financial Times, alors que les indices européens et asiatiques ont également reculé lundi.

Des prix qui risquent d'augmenter

Avec des tarifs douaniers sur les importations aux Etats-Unis, imposés entre autres à l'Union européenne, au Mexique et au Japon depuis mercredi, Donald Trump espère "réindustrialiser le pays et inciter les entreprises étrangères à produire sur le territoire américain", explique l'économiste Patrick Artus dans Le Monde. Une logique qui pourrait se retourner contre lui. "Augmenter les droits de douane, c'est faire grimper les prix des produits, souligne Véronique Riches-Flores, économiste indépendante. Cela aura un impact sur la consommation et sur les entreprises qui décideraient de prendre sur leurs marges, mais perdraient en rentabilité."

"Le protectionnisme, ça implique plus d'inflation."

Véronique Riches-Flores, économiste

à franceinfo

D'autant que Washington s'en prend à ses trois partenaires commerciaux principaux – le Canada, le Mexique et la Chine – en termes d'importations, comme le montrent les données combinées par le New York Times. "On pourrait se dire qu'on va se diriger vers les produits domestiques pour compenser, mais il n'est pas sûr qu'il existe une alternative à tous les biens importés", pointe Urszula Szczerbowicz, professeure d'économie à la Skema Business School. "Le choc inflationniste vers lequel on se dirige et les coupes d'emplois dans l'administration, assorties de baisses dans les dépenses sociales, sont tous les éléments qui peuvent pousser l'économie en récession", résume Véronique Riches-Flores. 

Néanmoins, les derniers chiffres de l'inflation aux Etats-Unis, publiés mercredi par le ministère du Travail, ont été meilleurs qu'attendus. L'indice des prix à la consommation a augmenté de 2,8% en février sur un an, contre 3% en janvier. C'est au-delà des 2% visés par la Banque centrale américaine, mais stable depuis la sortie de la poussée inflationniste engendrée par la crise du Covid-19. "Les prix à la consommation n'ont pas été affectés jusqu'ici" par la première salve de surtaxes sur les produits chinois, note le centre d'études Pantheon Macroeconomics, cité par l'AFP.

Reste que la mesure n'est entrée en vigueur que le 10 février et que les entreprises avaient fait des stocks en prévision, portant le défit commercial américain à un record via des importations massives, rapporte le Financial Times. Et le London Stock Exchange Group, fournisseur de données sur les marchés, prévoit une inflation moyenne de 3,2% sur le premier trimestre 2025, qui ne redescendrait qu'à partir du dernier de l'année, selon un document transmis à franceinfo. 

chart visualization

Des investisseurs plus frileux

L'incertitude atteint aussi la confiance des consommateurs, d'après l'indice calculé par le Conference Board, référence aux Etats-Unis. En février, il était de 98,3 points, en baisse pour le deuxième mois consécutif. Or selon l'OCDE, "des valeurs inférieures à 100 indiquent une attitude pessimiste quant à l'évolution future de l'économie, ce qui peut se traduire par une tendance à épargner davantage et à consommer moins".

Stéphanie Guichard, économiste au Conference Board, explique que "les mentions relatives au commerce et aux droits de douane ont fortement augmenté" dans les réponses des sondés, "atteignant un niveau inégalé depuis 2019". Par ailleurs, "les réponses ont été dominées par des commentaires sur l'administration en place et ses politiques". Les ménages s'inquiètent, eux aussi, d'une possible récession sur les douze prochains mois : la part des sondés par le Conference Board exprimant cette opinion a atteint un niveau inégalé depuis mai dernier. 

visualization

Sans aller jusqu'à provoquer une récession, "le ralentissement de la croissance de l'économie américaine pourrait venir de la baisse des investissements", estime Urszula Szczerbowicz. Pour l'heure, la politique de va-et-vient de Donald Trump et l'incertitude économique qu'elle engendre poussent les investisseurs "à faire le choix du 'wait and see'", expliquent des experts de la Banque de France, sous couvert d'anonymat, à franceinfo. Autrement dit : ils choisissent de mettre sur pause leurs investissements en attendant d'être fixés sur la direction économique que prendra finalement la première puissance mondiale. "Si la politique de droits de douane était figée, l'incertitude sur l'investissement serait moindre, car les entreprises pourraient se préparer à trouver des substituts des produits qui seraient inexorablement taxés", confirme Urszula Szczerbowicz.

Des effets tolérables pour l'administration

Comment Washington réagit à toutes ces craintes ? "En général, si l'économie commence à se détériorer, on peut compter sur l'aide du gouvernement, via des mesures de relance budgétaire et des baisses des taux d'intérêt de la Fed [Réserve fédérale des Etats-Unis], pour amortir l'impact", souligne le média économique Axios. "Mais les responsables de l'administration Trump semblent prêts à tolérer certaines perturbations économiques comme prix à payer pour leur programme politique ambitieux." C'est en tout cas dans ce sens que le président américain est allé dimanche. Interrogé par Fox News sur le risque de récession, il a répondu : "Je déteste prédire ce genre de choses", assumant "une période de transition".

Il y a pourtant un air de déjà-vu : Donald Trump avait imposé des tarifs douaniers à ses partenaires lors de son premier mandat. "Mais ils étaient plus ciblés en termes de secteurs et de pays. Ils sont maintenant beaucoup plus larges et concernant davantage d'Etats", soutiennent les experts de la Banque de France. Les droits de douane sur l'aluminium européen, par exemple, s'élevaient à 10% à l'époque, contre 25% aujourd'hui. Mais reste à savoir s'ils le resteront. Les experts de l'institution l'assurent : "Les indicateurs d'incertitudes concernant la politique commerciale sont au plus haut historique."