Rejeter le texte pour mieux le faire passer : on vous explique la tactique des partisans de la loi agricole Duplomb à l'Assemblée nationale
Un scénario singulier. L'Assemblée nationale a rejeté, lundi 26 mai, la proposition de loi agricole dite Duplomb. La loi, préalablement adoptée au Sénat, a en effet été retoquée par 274 voix contre, et seulement 121 pour, lors d'un vote sans ambiguïté sur une "motion de rejet".
Dans une manœuvre baroque, ce sont les partisans du texte qui ont mis un terme à l'examen de la loi Duplomb, tandis que les opposants tentaient de la maintenir dans l'hémicycle. Franceinfo vous explique la tactique du bloc central afin de faire mieux passer le texte.
De nombreux amendements déposés
La proposition de loi a provoqué la vive inquiétude des défenseurs de l'environnement, en prévoyant notamment d'autoriser à nouveau le recours à un insecticide "tueur d'abeilles". Les oppositions, de gauche surtout, avaient en conséquence déposé plusieurs centaines d'amendements : quelque 1 500 provenaient des écologistes et 800 des insoumis, sur près de 3 500 au total. Ils devaient être débattus dans l'hémicycle du lundi 26 au samedi 31 mai.
Ces amendements témoignaient de la volonté d'une partie de la gauche et des écologistes de combattre le projet "pied à pied, alinéa par alinéa", selon les mots de la députée écologiste et ancienne ministre Delphine Batho. L'avis des partisans du texte était bien différent. "Une obstruction assumée, revendiquée et méthodique", avait dénoncé sur X le rapporteur du texte Julien Dive (Les Républicains). "Avec en plus, certains amendements assez discutables sur le fond, ça n'aura comme conséquences que d'énerver un peu plus le monde agricole", avait-il encore anticipé. Critiquant "l'inspiration trumpienne de ce texte", Delphine Batho avait défendu, au contraire, "des amendements sérieux" déposés sur un texte "long" (27 articles).
Une "motion de rejet" pour répondre aux amendements
Pour passer outre le "mur" d'amendements écologistes et insoumis, les députés favorables à cette loi agricole ont donc déposé une motion de rejet préalable, dont l'objectif est de faire reconnaître que le texte concerné est contraire à la Constitution ou bien de "faire décider qu'il n'y a pas lieu à délibérer", selon le règlement de l'Assemblée. Cette motion était portée par Julien Dive (LR), Laurent Wauquiez (LR), Gabriel Attal (Ensemble), Marc Fesneau (Ensemble) et Paul Christophe (Horizons). "J'ai travaillé pendant des mois, y compris en donnant des avis favorables à des amendements des oppositions. Mais là, on est sur un blocage en bonne et due forme", a défendu Julien Dive.
Cyrielle Chatelain, cheffe des députés écologistes, y a vu une "marque d'une fébrilité du camp gouvernemental", estimant auprès de l'AFP que le bloc central ne "veut pas assumer son vote sur certaines mesures".
Lundi, la motion de rejet a été adoptée par la droite et par le bloc central, mais aussi par le Rassemblement national, comme le montre le détail du scrutin sur le site de l'Assemblée. Une "nécessité pour que le texte puisse avancer", avait auparavant argué le député RN Jean-Philippe Tanguy.
Le texte envoyé en commission mixte paritaire
Par cette tactique, les députés favorables à la loi Duplomb envoient le texte devant une commission mixte paritaire. Cette instance, réunissant à huis clos sept députés et sept sénateurs, devra s'accorder sur une version commune. Les élus partiront de la version votée au Sénat, donnant un avantage dans la négociation aux sénateurs.
En cas d'accord, la version adoptée fera encore l'objet d'un vote dans chaque chambre, et son équilibre sera particulièrement scruté à l'Assemblée. Car la version adoptée au Sénat, à l'initiative du sénateur LR Laurent Duplomb, regorge de sujets clivants. Le texte voté par la chambre haute vise par exemple à encadrer plus strictement le travail de l'agence sanitaire Anses sur les autorisations de pesticides et ouvre la voie à des dérogations environnementales pour certains projets de prélèvements et stockage d'eau.
En commission, les députés avaient ajouté des garde-fous sur les pesticides, et supprimé des dispositions sur l'Anses ou le stockage de l'eau.
Un "déni de démocratie" pour la gauche, les applaudissements de la FNSEA
"Vous inventez une nouvelle forme de 49.3, on est en train de marcher sur la tête", a dénoncé la présidente du groupe LFI, Mathilde Panot. Des députés de son groupe ont brandi des feuilles mentionnant des noms de personnes affectées par des pathologies attribuées aux pesticides, telles que "Michel, cadre entreprise de semence, lymphome". Mathilde Panot a aussi annoncé le dépôt d'une motion de censure contre le gouvernement de François Bayrou, sans garantie à ce stade que le reste de la gauche suive.
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Pour les écologistes, Delphine Batho a fustigé une "procédure choisie pour esquiver le débat, esquiver les divisions internes au gouvernement et au socle commun". "Le choix est fait de nous faire taire, parce que nos arguments portent", a-t-elle réagi à la sortie du vote, comme relayé sur le réseau social BlueSky, balayant l'argument d'une "soi-disant obstruction". "Il y a en moyenne 55 amendements déposés sur chacun des 27 articles de la loi, ce n'est pas ça l'obstruction. Nous voulions un débat sérieux."
Le chef du groupe PS, Boris Vallaud, lui a emboité le pas, mardi, dénonçant une tactique antidémocratique. "La réalité, c'est que des parlementaires eux-mêmes, dont le rapporteur de ce texte, décident de ne pas débattre de ce texte à l'Assemblée et de tout renvoyer dans une forme de conclave", a-t-il regretté sur France 2. Après le vote, Greenpeace a aussi dénoncé "un coup de force anti-démocratique et anti-écologique".
La FNSEA a salué, elle, "la responsabilité des députés". "Le texte doit désormais être adopté au plus vite", selon le premier syndicat agricole, qui a appelé "le gouvernement à annoncer immédiatement la date de la commission mixte paritaire". Arnaud Rousseau, son président, a dès le lendemain décrété la suspension de la mobilisation agricole.