Notre critique de Deux sœurs : la colère pourpre

Des claques, oui. Elle est odieuse. Pansy n’arrête pas de râler. Elle ouvre un œil : c’est pour grogner. Elle soupire, tempête. Rien ne trouve grâce à ses yeux. Sa vie est un long cauchemar. Maniaque, elle astique le moindre centimètre carré de l’appartement déjà impeccable. Le mari courbe l’échine. Le fils rase les murs. On les comprend. Quelle plaie ! La colère est son oxygène. Elle s’emporte chez le médecin, pique une crise chez le dentiste, explose à la caisse d’un supermarché.

Une vendeuse de meubles la rend furieuse. Sur un parking, elle engueule l’automobiliste qui attend patiemment de lui prendre sa place. Pas une minute de répit. À côté, notre Tatie Danielle a soudain l’air d’une fée radieuse. Heureusement, il y a sa sœur. Chantelle a un salon de coiffure. Ciseaux entre les doigts, elle est la joie de vivre incarnée. Le contraste saisit. Ses deux filles, qui travaillent pourtant, continuent à habiter avec elle. Pourquoi se priveraient-elles de ce havre de paix, où la bonne humeur a son rond de serviette ?

Chantelle a un salon de coiffure. Ciseaux entre les doigts, elle est la joie de vivre incarnée. Channel Four Television Corporation Mediapro Cine S.L.U.

Pansy souffle, hausse les épaules. Le bonheur n’est pas fait pour elle. Étonnez-vous, après ça, que son fils soit obèse et passe ses journées ses écouteurs sur la tête face à des jeux vidéo, que son brave mari plombier finisse par être victime d’un solide lumbago. Ça, il faut se la faire. Peut-être qu’elle souffre, au fond. On ne sait pas. Sa douleur reste un mystère, une pathologie. Cette hargne amuse, au début. À la longue, elle fatigue. Il faut dire que Marianne Jean-Baptiste (vedette de Secrets et mensonges, palme d’or 1996) a la main lourde.

Marianne Jean-Baptiste bat tous les monstres en circulation sur les écrans

Elle en fait des tonnes, grimace, roule des pupilles, serre les dents, balance des regards noirs. Sa performance ne lui vaudra sans doute pas un Oscar, mais elle mériterait d’être couronnée au festival du film fantastique de Gérardmer. L’actrice bat tous les monstres en circulation sur les écrans. De brefs instants de calme ponctuent néanmoins ces flots de bile, comme lorsqu’elle aperçoit un renard dans le jardin. La séquence risquait d’être poétique. Comptez sur Pansy pour se mettre à hurler et gâcher la tentative d’épiphanie. Idem pour le déjeuner familial où elle casse l’ambiance en affichant une mine de six pieds alors que ses nièces détendent l’atmosphère avec bonne volonté et insouciance.

«Deux soeurs», un drame de Mike Leigh. Channel Four Television Corporation Mediapro Cine S.L.U.

Au moins, quand une colonne de bikers roule au ralenti dans un cimetière, elle ne dit pas un mot. Devant la tombe, sa sœur n’en revient pas. Elles sont tellement différentes. La génétique n’est donc pas une science exacte, puisqu’elles appartiennent toutes les deux à la moyenne bourgeoisie noire. « Je t’aime, mais je ne te comprends pas », lui confie Chantelle. Tel est le problème. N’ayant aucun lien de parenté avec elle, le spectateur ne se sent pas obligé de supporter sa rage permanente. Comme les gens qu’elle rencontre, très vite, il ne peut plus la voir en peinture. Quant à Mike Leigh, un procès en appropriation culturelle lui pend au nez. Pansy va encore bougonner.


Drame de Mike Leigh. Avec Marianne Jean-Baptiste, David Webber, Michele Austin, Tuwaine Barrett. Durée : 1 h 37

L’avis du Figaro : 2/4.