Le Haut Conseil de la famille alerte sur le nombre d’enfants traités avec des médicaments psychotropes
En 2023, le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) alertait sur l’état de la santé mentale des plus jeunes (« Quand les enfants vont mal : comment les aider ? ») et tirait la sonnette d’alarme quant à la hausse inquiétante de la consommation de médicaments psychotropes chez les enfants et adolescents.
Un état des lieux plus qu’inquiétant, corroboré par plusieurs études depuis. Dans un complément à ce rapport, présenté jeudi 6 février, le conseil de l’enfance et de l’adolescence de cette commission montre que la santé mentale des plus jeunes continue de se dégrader en France. Et tout aussi préoccupant, que l’augmentation de la consommation de médicaments psychotropes chez les enfants et adolescents se confirme.
486 220 enfants prenaient un médicament psychotrope en 2023
Offre de soins insuffisante, services pédiatriques en grande souffrance, démographie du secteur libéral en berne… Le précédent rapport avait documenté la mise à mal de l’offre de soins et ses conséquences, a rappelé Sébastien Ponnou, psychanalyste et maître de conférences en sciences de l’éducation : « La situation des hôpitaux, du secteur médico-social se traduit par des délais d’accueil et de prise en charge plus longs, une dégradation de l’état de santé de l’enfant, une réduction de la pluralité de l’offre de soin, qui se traduit par une perte de chance. » Et fine, « par une hausse de la prescription de médicaments psychotropes chez les enfants et les adolescents ».
Entre 2010 et 2023, le nombre de délivrance de traitement par an et par patient n’a cessé de progresser, précise Sébastien Ponnou. En 2023, 486 220 enfants prenaient un médicament psychotrope. Alors que la prévalence pour les 3-17 ans était de 2,5 % en 2010 , elle atteint en 2023 3,94 %.
Autre indicateur alarmant : « Les augmentations de prescriptions concernent toutes les classes de médicaments, de façon parfois vertigineuse : + 137 % pour les hypnotiques, + 88 % pour les antidépresseurs, + 62 % pour les antiépileptiques, + 50 % pour les neuroleptiques et + 40 % pour les psychostimulants », énumère le chercheur, qui alerte sur les durées de traitement particulièrement longues : « Chez les 6-11 ans, on parle de 2,4 ans pour les antiépileptiques, 3 ans pour les antipsychotiques et 5,7 ans pour les psychostimulants. Le nombre de mois de consommation a augmenté de 76 % entre 2010 et 2023. »
Alors même que les recommandations, en France comme à l’échelle de l’Union européenne, précisent que « la prescription de médicaments est généralement indiquée en seconde intention, en soutien des pratiques psychothérapeutiques, éducatives et sociales de première intention ».
72 % des psychotropes destinés aux enfants délivrés par un médecin généraliste
En outre, la majorité de ces prescriptions ne sont pas du fait de spécialistes. Ainsi, en 2022, 72 % des médicaments psychotropes destinés aux enfants ont été délivrés par un médecin généraliste, 7 % par un pédiatre et 9 % par un psychiatre ou un pédopsychiatre.
L’exemple d’un médicament en particulier, prescrit dans le cas de TDA/H (Trouble Déficitaire de l’Attention avec Hyperactivité, est particulièrement éloquent : Entre 2010 et 2019, la consommation méthylphénidate : + 116 %. Mais le nombre de visites dans les CMPP des enfants recevant une prescription a été divisé par 4. Entre 2011 et 2019, sur l’ensemble des services hospitaliers prescripteurs de méthylphénidate, 84 % à 87 % des enfants traités n’ont pas bénéficié d’un suivi médical par le service hospitalier ayant initié le traitement, note le HCFEA.
Autre illustration, révélateur de l’état de délabrement de la psychiatrie et du mal-être des enfants : le niveau particulièrement élevé de la consommation de médicaments psychotropes chez les enfants et adolescents autistes en France, notamment chez les plus jeunes, et avec une durée moyenne de traitement supérieure à 10 ans, malgré les recommandations de l’ANSM.
« L’actualisation des bases de données montre une consommation élevée chez les enfants, à hauteur de 36,8 %, dont 26,3 % chez les 0-2 ans, 27,8 % chez les 3-5 ans, 36,5 % chez les 6-11 ans et 41,7 % chez les 12-17 ans », détaille Sébastien Ponnou. Et de spécifier que « le taux de défavorisation sociale au sein de cette population est de 43,5 % en 2022 ».
Ces dernières données confirment en effet que les enfants des familles plus défavorisées socialement présentent davantage de troubles de la santé mentale. Ainsi « 30 % des enfants et adolescents recevant au moins un médicament psychotrope vivent dans des conditions sociales défavorables. C’est 50 % quand on s’intéresse aux enfants suivis et traités avec des antipsychotiques. »
« Le manque de soins augmente la prescription médicamenteuse »
Une hausse de la consommation faute de mieux et faute de soins ? Pour Sébastien Ponnou, « ces niveaux de consommations ne sont pas le fait de meilleures pratiques de diagnostic ou de soins. Certaines études montrent que le niveau d’accompagnement psychosocial diminue à mesure que la consommation de médicaments progresse. » Le danger, prévient le HCFEA, c’est que « des prescriptions ”faute de mieux” deviennent progressivement légitimes, voire normales », la France affichant les taux de prévalence parmi les plus élevés en Europe.
« Des délais d’attente d’un ou deux ans pour obtenir un rendez-vous dans un CMPP, des ados en souffrance les couloirs des urgences, renvoyés chez eux avec des médicaments ou hospitalisés dans des services inadaptés… Tout ce manque de soins augmente la prescription médicamenteuse. C’est plus rassurant de laisser partir un patient en crise sous calmant », regrette le Dr Paul Jacquin, pédiatre, praticien hospitalier, service de médecine de l’adolescent de l’hôpital Robert Debré, AP-HP, soulignant l’importance des bénévoles des associations, qui essayent de boucher les trous, et l’errance des parents dans ce système opaque.
« Ce phénomène peut être à rapprocher des difficultés structurelles des secteurs d’activité de l’enfance en général, de la santé et de la psychiatrie infantile en particulier », écrit le rapport actualisé du HCFEA. Et si ce dernier « ne remet pas en cause la légitimité des prescriptions, il plaide pour un rééquilibrage des prescriptions », a résumé Sylviane Giampino, présidente du Conseil de l’enfance et de l’adolescence du HCFEA.
En clair, la pédopsychiatrie a besoin de moyens supplémentaires. « Le président de la République a décrété que la santé mentale était la grande cause nationale de l’année 2025, a conclu cette dernière. Nous souhaitons dire que la santé mentale des enfants soit une priorité ».
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