«On a travaillé dur toute notre vie» : l’exaspération des boomers, qui refusent le conflit avec les jeunes générations
En choisissant d’opposer les «boomers» confits dans leur confort aux jeunes actifs «qui paieront la dette toute leur vie», François Bayrou pensait peut-être avoir trouvé une voie pour se relancer. Le plan semblait simple : s’attirer les faveurs d’une jeunesse rebelle et trop souvent hostile, en pointant la responsabilité des générations précédentes dans l’aggravation de la dette.
Sollicitant ce samedi l’avis de nos lecteurs concernés au premier chef par cette déclaration, nous avons reçu près de 650 témoignages en deux heures, un record de contributions. S’il est impossible de relater de façon exhaustive l’ensemble des prises de position sur ce sujet éruptif, une tendance se dégage : un sentiment d’exaspération de la génération post-1945, qui n’a jamais eu l’impression de ménager ses efforts. Et qui ne croit pas mériter ce coup de projecteur braqué sur eux par le premier ministre. «Il parle de nous comme si nous avions tous passé notre vie à siroter des cocktails sur des transats en velours, pendant que les jeunes trimballent la dette comme un sac de patates…», grince Serge.
«C’est à notre génération que sont nés le TGV, le Concorde et la société Ariane»
On considère généralement que la génération du baby-boom s’étend sur une vingtaine d’années, correspondant aux naissances enregistrées entre 1945 et 1965. Ces Français, entrés dans le monde du travail entre 1960 et 1980, ont été confrontés à des conditions de salariat bien différentes de celles d’aujourd’hui. On commençait plus jeune, avec des horaires hebdomadaires très extensibles et peu d’avantages sociaux, affirment en substance Igor, Pascale, Charles, Didier, Patrick ou Jean. «J’étais au travail à 17 ans, je faisais des semaines de 44 heures, le samedi matin inclus, je n’avais que trois semaines de congés payés, évidemment pas de RTT, ni de prime d’intéressement», raconte Gérard, qui a commencé sa carrière comme chauffagiste sur chantier, finissant directeur dans la grande distribution. «Après avoir cotisé 43 années pleines, je n’ai pas l’impression d’être redevable.»
Ayant «adoré» son travail dans la fonction publique de ses 20 à 67 ans, Marie, 68 ans, se souvient ne s’être absentée que deux fois, «pour mes congés maternité et pour une opération», quand Frédéric, 63 ans, retraité du milieu maritime, recense 18 mois de chômage sur 45 années de carrière. S’ils estiment avoir pris leur part en cotisant plus de quarante ans, ces boomers revendiqués considèrent, pour certains, avoir contribué à un certain rayonnement de la France. «Sous de Gaulle, Pompidou et Giscard, les boomers ont fait d’une France exsangue à la sortie de la guerre la cinquième puissance économique mondiale par leur travail», affirme Michel H. Et a-t-on oublié, questionne Michel B., que c’est à leur génération que sont «nés le TGV, le Concorde et la société Ariane» ?
35 heures, ruptures conventionnelles et allocations sociales
S’il paraît avoir oublié l’ardeur que ces Français de plus de 60 ans ont mise à la tâche, François Bayrou ne s’est pas non plus attardé sur les nouveaux avantages dont bénéficie aujourd’hui la jeune génération. Il y a bien sûr les fameuses 35 heures mentionnées dans 40 témoignages, les ruptures conventionnelles et allocations sociales parfois généreuses, mais la vie professionnelle a connu d’autres changements massifs. Igor signale les «vacances désormais prises à chaque pont». Pascale estime n’avoir pas de leçon à recevoir de ce fameux Nicolas «qui télétravaille le mercredi et le vendredi depuis le train». Didier, qui recevait dans sa carrière de médecin libéral ses patients jusqu’à 21h, n’épargne pas non plus ses successeurs «qui privilégient désormais leur bien-être, créant des délais d’attente déraisonnables pour un rendez-vous». Quant à Dominique, elle pense avoir travaillé avec «un engagement beaucoup plus intense» que ce qu’elle constate chez ses propres enfants. «Nous ne cherchions pas un sens mais un niveau de vie convenable pour notre famille…»
Néanmoins, malgré ces comparaisons parfois teintées d’aigreur, la guerre générationnelle qu’a tenté de relancer François Bayrou n’aura sûrement pas lieu. Nombreux, comme Alain H., jugent ridicule d’alimenter «cette confrontation générationnelle délétère», d’autant que, lui comme d’autres, n’ignorant pas les difficultés de leurs enfants, les aident autant que faire se peut. Financièrement d’abord : Thierry et son épouse ont contracté un prêt pour financer les écoles de commerce de leurs deux enfants, Hélène a fourni un apport aux siens pour qu’ils accèdent à la propriété. Les boomers sont aussi prêts à faire preuve de la solidarité la plus élémentaire, comme Alain qui garde ses petits enfants tous les mercredis et pendant les vacances ou Joëlle qui, à 71 ans, finance le studio de son petit-fils qui commence ses études. «Qu’a-t-on fait de mal ? On a travaillé dur toute notre vie professionnelle, payé nos cotisations, nos impôts. Ces propos divisent au lieu de rassembler. On aide nos enfants et petits enfants dans la mesure de nos moyens. On veut nous faire payer la mauvaise gestion du gouvernement et nous en rendre responsable», résume encore Alain A.
Nous avons pu acquérir résidences principales, secondaires voire tertiaires, voyager et nous maintenir en bonne santé…
Jérôme, 69 ans
Conscients des efforts auxquels ils consentent, la plupart des témoignages voient dans ce débat de générations «une manipulation politicienne grossière» (Marie-Dominique), «des déclarations absurdes» (Honoré) ou «une obscénité» (Philippe). Tous trois jugent que si la France est au bord du gouffre financier, ce n’est que la conséquence d’une cascade de décisions politiques inconséquentes. Pour Xavier et de nombreux sondés, «le désastre» a commencé avec François Mitterrand. C’est à cette période, selon Amiette, qu’ont commencé «l’appauvrissement du pays et sa dépendance dans tous les domaines, de la défense à l’industrie, en passant par la médecine et l’énergie». «On choisit des politiques sociétales défavorables à la famille et l’on découvre trente ans plus tard que le renouvellement des générations ne paie plus les retraites ? Il faut assumer», estime Philippe.
Passer la publicitéFrançois Bayrou compte aussi de farouches défenseurs. «Il n’a dit que la vérité économique», affirme un autre Thierry, qui se souvient que dans les années 1980-90, son salaire d’instituteur enregistrait à chaque trimestre une hausse équivalant au taux de l’inflation. «Ça a bien aidé pour le remboursement du prêt immobilier !» Jérôme, 69 ans, admet avoir eu la chance de «pouvoir acquérir résidences principales, secondaires voire tertiaires, d’avoir pu voyager et de pouvoir aujourd’hui essayer de se maintenir en bonne santé». Carole, appartenant à la génération d’après le baby-boom, remercie même le premier ministre d’avoir brisé un tabou tenace dans sa famille : «Mon père comme mon beau-père ont connu l’ascenseur social et du boulot toute leur vie sans chômage. Ils ont pu construire à la hâte une maison avec une femme au foyer qui s’occupe des enfants et désormais leur retraite est… très très confortable. Autant de choses que nos jeunes ne connaîtront jamais.»
Si l’existence de différences générationnelles importantes est indéniable, elle paraît se rejouer tous les vingt ans. Sabine, 75 ans, souligne avec ironie que sa classe d’âge, qui a été élevée «par des parents qui nous disaient "si vous aviez connu la guerre"», se retrouve avec «des enfants qui nous disent "vous avez tout cramé dans le pays"». Aussi, Sophie aimerait que cet «électrochoc» soit salutaire pour enclencher un effort collectif, et «que l’on cesse d’avoir le réflexe de la protestation et du blocage dès qu’une nouvelle mesure est annoncée…»