Qu'est-ce que la TVA sociale, à laquelle le gouvernement réfléchit pour financer la Sécu ?
François Bayrou remet sur la table l'idée d'une TVA sociale. Le Premier ministre a dit, mardi 27 mai sur BFMTV, souhaiter que les partenaires sociaux "puissent s'emparer de cette question" pour revoir le financement de la Sécurité sociale, en arguant que la France a "un problème de financement de [son] modèle social", dans un contexte budgétaire particulièrement dégradé.
Cette proposition, qui avait déjà été évoquée à demi-mot par Emmanuel Macron mi-mai, vise à augmenter la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur la consommation afin de compenser une baisse des cotisations prélevées sur les salaires, qui servent en grande partie à financer la protection sociale en France.
Mais cette TVA sociale, qui avait été votée sous Nicolas Sarkozy en 2012 puis abrogée sous François Hollande, est un sujet politiquement sensible. La gauche et une majorité des syndicats s'y opposent. Franceinfo fait le point sur le dossier.
Une hausse de la TVA pour financer la Sécurité sociale
La TVA dite "sociale" ne serait pas une nouvelle taxe mais consisterait à augmenter la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), un impôt sur les biens et les services payés par les consommateurs, afin de compenser une baisse des cotisations patronales et éventuellement salariales prélevées sur les fiches de paie. L'objectif ? Financer différemment la Sécurité sociale, dont le déficit a atteint 15,3 milliards d'euros en 2024. Actuellement, ce sont ces cotisations qui servent en grande partie à financer la protection sociale en France.
"L'idée, c'est de transférer une partie du financement de la Sécurité sociale sur un impôt", résume Eric Heyer, directeur du département Analyse et Prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Augmenter les points de la TVA (il y a actuellement quatre taux, entre 20% et 2,1%), permettrait de moins faire peser le financement de la protection sociale sur les salaires. Et ferait donc baisser le coût du travail, selon les défenseurs de la mesure. Dans les faits, la TVA contribue déjà au budget de la Sécurité sociale, et de plus en plus depuis plusieurs années (8% en 2023).
Des effets positifs et négatifs
Pour François Bayrou, "le travail en France n'est pas récompensé comme il devrait l'être". Les défenseurs de la mesure expliquent que cette TVA sociale est une ressource immédiate et un impôt à fort rendement. Relever d'un point les quatre taux actuels de la TVA permettrait de rapporter 13 milliards d'euros par an à l'Etat, selon un document du Haut Conseil du financement de la protection sociale cité par Le Monde.
Le patronat avance aussi qu'un allègement des charges patronales augmenterait la compétitivité des entreprises. Le président du Conseil d'orientation des retraites, Gilbert Cette, juge dans La Tribune que cela "donnerait [aux entreprises] des marges de manœuvre pour augmenter leur compétitivité et embaucher ou maintenir l'emploi".
Mais une augmentation de la TVA ne serait pas sans conséquences. Cet impôt indirect, que tout le monde paie de manière équivalente quels que soient ses revenus, pèserait davantage sur les ménages aux revenus les plus modestes car ils consacrent une part plus importante de leurs dépenses à la consommation, comme l'explique une étude de l'Insee publiée en 2021. Le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, qui a remis lundi un rapport sur l'état préoccupant de la Sécurité sociale, juge la mesure "inéquitable", même si les produits de première nécessité pourraient être épargnés par une hausse de la TVA.
Les deux chercheurs de l'Insee soulignent aussi que la mesure aurait des conséquences sur les prix, avec une inflation à attendre l'année de sa mise en place. "Les résultats dépendent de la mise en place de cette taxe, et les effets seraient différents sur le pouvoir d'achat et la compétitivité des entreprises selon que l'on baisse les cotisations des salariés ou des employeurs", résume Eric Heyer.
Une mesure qui ne fait pas l'unanimité
"A ce jour, on ne sait plus payer nos régimes sociaux par les seules entreprises et les seuls salariés, ça limite les marges de progression des salaires, les possibilités d'emploi et ça pèse sur la compétitivité", a récemment jugé sur franceinfo Patrick Martin, le président du Medef, qui s'est dit favorable à l'introduction d'une TVA sociale, comme la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME).
A contrario, la gauche et les syndicats y sont opposés et évoquent plutôt une taxe "antisociale". "Plus on est pauvre, plus on [la] paye", juge la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, qui dénonce une taxe qui profiterait au patronat et provoquerait "une baisse massive de pouvoir d'achat pour les salariés". La secrétaire générale de la CFDT, Marylise Léon, estime de son côté que "c'est une taxe injuste, non progressive, qui touche la consommation et donc plus durement ceux qui n'ont pas les moyens d'épargner".
Le coordinateur national de La France insoumise, Manuel Bompard, a quant à lui jugé l'idée "totalement inacceptable", sur franceinfo, tandis que le secrétaire national du Parti communiste, Fabien Roussel, estime que les Français payent "déjà assez de taxes". Même réticence du côté du Rassemblement national, où le député Thomas Menagé juge que "François Bayrou a trahi la promesse de ne pas augmenter les impôts des Français".
Une idée loin d'être nouvelle
La TVA dite "sociale" avait été mise en place par Nicolas Sarkozy, à la fin de son quinquennat en 2012. Elle consistait à diminuer les cotisations sociales patronales affectées au financement de la branche famille et payées par les entreprises du secteur privé à hauteur de 13,2 milliards d'euros. Mais la mesure, qui devait entrer en vigueur au 1er octobre 2022, n'a jamais été appliquée : François Hollande l'avait immédiatement abrogée après son élection.
Elle avait aussi enflammé les débats de l'entre-deux-tours des élections législatives de 2007, quelques semaines après l'arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy. Il avait souhaité prendre exemple sur l'Allemagne, qui avait introduit cette mesure en 2007 avec le relèvement du taux principal de la TVA de 16 à 19%.