Les exilés sont maintenus « dans un système d’exploitation » : la réponse d’un membre du collectif des sans-papiers de Montreuil aux propos de François Bayrou

Près d’un an après la promulgation de la loi « Pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration », 25 associations, collectifs, et syndicats, ont alerté, mardi 28 janvier, sur les conséquences néfastes de la loi immigration sur les premiers concernés, via une conférence de presse. Parmi les participants, une organisation de personnes en première ligne, le collectif des sans-papiers de Montreuil, dont Amadou Dembelé* est l’un des porte-paroles, régularisé six mois plus tôt.

Il a témoigné auprès de l’Humanité, alors que, la veille, François Bayrou, en direct sur LCI, avait fait une allusion à la théorie chère à l’extrême droite d’un pseudo-grand remplacement en « approche » – ici euphémisé en un « sentiment de submersion ».

Tout en estimant que « l’immigration » ne peut pas être « un sujet de référendum », le premier ministre a expliqué que, « dès l’instant que vous avez le sentiment d’une submersion, de ne plus reconnaître votre pays, les modes de vie ou la culture, dès cet instant-là, vous avez rejet ».

Que vous inspirent les propos de François Bayrou ?

En utilisant ses slogans, comme le sentiment de submersion, l’actuel premier ministre François Bayrou est en train de suivre l’idéologie de l’extrême droite. C’est taper sur les gens faibles en premier, pour ensuite précariser tout le monde. Le but est de faire peur aux Français.

Quand on entend les propos du premier ministre, il faut rappeler que ce ne sont pas que les sans papiers ou les étrangers qui sont en danger, c’est la classe ouvrière qui est menacée.

Les personnes étrangères, et sans-papiers en particulier, travaillent dans les restaurants, les bâtiments, la logistique, la maintenance, personnes âgées, les aides-soignantes… Ce sont tous ces gens-là qui sont visés. Si vous prenez un travail payé 1 500 euros par mois, un sans-papiers va le faire à 600 euros. Parce qu’il n’a pas le choix.

François Bayrou s’est également prononcé en faveur d’une restriction du droit du sol à Mayotte. L’État français dit que ce territoire fait partie de la métropole. Mais comment enlever le droit du sol uniquement dans cet archipel ? Tout le territoire français doit avoir les mêmes droits. Et si les gens commencent à accepter la restriction du droit du sol à Mayotte, c’est la porte ouverte à ce que ça soit appliqué dans tous les territoires.

Un an après la promulgation de la loi « Pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration », quel constat dressez-vous ?

Au moment de la loi, Gérald Darmanin prétendait que cette loi visait à améliorer l’intégration. C’est tout le contraire. Les mesures mises en place servent à criminaliser les personnes immigrées en France.

De manière générale, les personnes étrangères, et notamment sans-papiers, sont maintenues dans une situation de précarité et dans ce système d’exploitation. Elles travaillent, cotisent, paient des impôts, mais elles sont criminalisées.

Et la loi en question a aggravé ce phénomène. Par exemple, la loi a repoussé d’une à trois années le délai durant lequel une Obligation de Quitter le Territoire (OQTF) peut fonder soit une assignation à résidence soit un placement en rétention.

Ainsi, quelqu’un qui est présent depuis 10 ans, qui a tous les documents nécessaires pour être régularisé, peut-être arrêté et recevoir une OQTF. Et pendant ces trois années de délai, peut-être que la personne pourra continuer à travailler et à cotiser, mais sans aucun droit. Elle ne pourra pas être régularisée.

De même, deux décrets d’application de la loi Darmanin, parus le 1er janvier 2025, imposent un niveau de français plus élevé pour demander ou renouveler un titre de séjour. Certains pays sont d’anciennes colonies françaises, la langue officielle de ces pays est le français. Mais là-bas, tout le monde ne va pas à l’école. Si les dirigeants veulent que les gens apprennent la langue, il faut mettre les moyens, au lieu de le mettre l’argent dans la répression.

Justement, quelles mesures devraient être prises selon vous ?

Aujourd’hui, beaucoup de personnes sans papier sont dans l’incapacité de prouver qu’elles travaillent, car par exemple, elles travaillent sous « alias ». Il faut la régularisation de tous les travailleurs sans papier, avec une seule preuve de travail à donner. C’est-à-dire que la personne qui souhaite être régularisée devrait juste pouvoir prouver qu’elle a travaillé, avec un bulletin de paie, ou bien avec un chèque.

Également, les guichets sont aujourd’hui bloqués pour demander une régularisation : c’est extrêmement difficile de prendre un rendez-vous. Il faut absolument que l’État ouvre des guichets à la préfecture pour déposer des dossiers en vue d’avoir des titres de séjour.

Et les renouvellements aussi deviennent de plus en plus compliqués. Les conséquences sont désastreuses. Des personnes qui n’ont pas le rendez-vous à temps à la préfecture se retrouvent à perdre leur travail, faute d’un renouvellement de titre de séjour dans les temps.

Il faut également absolument maintenir l’Aide médicale d’État (AME), alors que le ministre de l’intérieur Bruno Retailleau veut coûte que coûte supprimer ce dispositif. Or, les maladies chroniques, par exemple, existent, que tu aies des papiers ou pas. De manière générale, les personnes concernées par l’AME font partie de la société, que l’extrême droite le veuille ou non. Ce dispositif ne représente qu’un minimum de droits. Et même celui-là est menacé.

* Le prénom et le nom ont été modifiés

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