REPORTAGE. Sur les plages de la Côte d'Opale les migrants tentent de traverser la Manche sous les yeux des touristes
Les plages touristiques du Pas-de-Calais sont le nouveau théâtre de la crise migratoire entre la France et le Royaume-Uni. Londres a annoncé jeudi 7 août avoir placé en détention les premiers migrants arrivés sur des petits bateaux et ayant vocation à être renvoyés, "dans les prochaines semaines", en France, dans le cadre du traité franco-britannique entré en vigueur la veille. Depuis deux ans, pour échapper à la forte présence policière, les exilés n’hésitent pas à s’élancer depuis des villes plus éloignées, comme Boulogne-sur-Mer, Wimereux, ou encore Equihen, pour tenter de traverser la Manche. Des communes touristiques de la Côte d’Opale où se côtoient désormais migrants et vacanciers.
À 5h30 du matin, une petite voiture blanche nous attend devant la gare de Boulogne-sur-Mer. "Opal’Exil vous aime" est écrit sur la vitre au marqueur blanc. L'association a été fondée, il y a deux ans, pour venir en aide aux migrants qui échouent à traverser la Manche. Agnès, professeur d’anglais et Éliane, infirmière retraitée font l’inventaire de leurs provisions : "de la confiture, du jus d'orange, des couches pour les enfants, de quoi les nettoyer..." On prend ensuite la route du Portel, au Sud. Éliane surveille son téléphone, les maraudes se partagent des informations en direct sur WhatsApp. Un message arrive, "il y aurait 600 personnes justement dans cette zone Sud". Agnès jette des regards le long de la route au cas où. Pour l’instant, on ne voit que des maisons plutôt chics en bord de mer.
"J'y suis venue toute mon enfance. Avant, on n'en voyait pas des boats partir d'ici."
Éliane, de l'association Opal'Exilsur franceinfo
Premier arrêt : la plage du Portel. "Ce qui m'a frappé, se souvient Éliane, c'est la peur des gens. Ils s'agrippaient au bateau. Ça hurle. Et je me souviens d'un Belge, un touriste qui passait, qui faisait son jogging, qui a vu ça. Il était halluciné. Il est venu, il avait besoin de parler : 'mais qu'est ce qui se passe ici ?' , tellement c'était choquant". "Mon frère faisait la remarque. Il joue au golf et puis d'un seul coup, on a vu un groupe de 30 personnes traverser le golf. C'était 30 migrants", ajoute Agnès. Quelques paquebots à l’horizon, aucun bateau pneumatique. Deux gendarmes surveillent le large avec des jumelles. Ils saluent les deux femmes. "C'est toujours très cordial", assure l'une d'elles.
"On se confronte à ce qu'on lit régulièrement dans les journaux"
Pour le moment, les plages sont désertes. On arrive à celle de Neuchâtel-Hardelot. Un Soudanais de 25 ans est mort sur la plage de cette commune le mois dernier après l’échec d’une traversée. Devant un arrêt de bus on remarque un attroupement. "On va leur donner à manger", explique l'une des deux. Trente personnes attendent, des hommes plutôt jeunes. Certains n’ont pas de chaussures.
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Éliane et Agnès déplient deux tables, sortent de l’eau, du café, du pain… Ali, 19 ans, vient d’Éthiopie. Il a traversé 10 pays pour arriver là, mais ne parvient pas à passer la Manche. "J'ai essayé hier, raconte le jeune homme, mais ça n'a pas marché et la police a attrapé notre bateau. Je n'arrive pas à passer. Je ne sais pas pourquoi". Il tient fermement un sac plastique qui contient un gilet de sauvetage. "Ça m'a sauvé la vie, dit-il. Je ne sais pas nager. Si je tombe à l'eau, je coule tout de suite". Les vêtements d’Ali et ses camarades sont secs. Ils viennent de passer la nuit dans les bois sans boire ni manger après leur dernière tentative.
Hamza prend un thé et une madeleine. Le jeune Somalien a le regard fatigué. "J'ai essayé de traverser quatre fois, explique-t-il, mais je n'ai pas de chance. Le bateau est toujours dans les buissons, donc on pourra réessayer, peut-être demain". Des tentatives qui se déroulent parfois sous les yeux des vacanciers.
"Les touristes, je les vois. On se parle parfois. Nos vies sont très différentes."
Un jeune somaliensur franceinfo
Un touriste, justement, s’arrête devant nous. Stéven vient souvent en vacances ici, c’est la première fois qu’il se retrouve nez à nez avec des migrants. "J'en avais entendu parler. On se confronte à ce qu'on lit régulièrement dans les journaux. On se demande ce qu'on peut faire à notre niveau pour les aider. Directement, comme ça, il n'y a pas grand-chose, j'ai l'impression."
"On peut avoir des départs à tout moment, dans la journée et sur les plages"
Une fois les tables repliées, Éliane et Agnès reprennent la route. Soudain, le fil WhatsApp s'emballe. Un groupe d'exilés vient de rater sa traversée. On se retrouve sur le quai de la gare de Dannes-Camiers, une centaine de personnes attendent. Beaucoup sont allongés par terre : des hommes, des femmes, une fillette de six ans.
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Le soleil commence à taper. Frank, bénévole d'Opal’Exil, est venu en renfort. "Aujourd'hui, constate-t-il, il n'y a plus de règles, les départs ne sont pas forcément que la nuit. On peut avoir des départs à tout moment dans la journée et sur les plages, on a parfois des départs avec les touristes qui sont là, et les exilés qui font une tentative au milieu de tout le monde"."
"Il y a vraiment deux mondes qui s'affrontent, deux mondes vraiment opposés et on a la réalité en face."
Frank, bénévole d'Opal’Exilsur franceinfo
Un train s’arrête, tous montent dedans. Quelques gendarmes surveillent, font signe au chauffeur qui repart direction Calais. Au même moment sur la côte, les touristes commencent à investir les plages. Certains ignorent tout de cette crise migratoire. D’autres, comme François-Xavier, ont pu l'apercevoir. "L'image que je garde des vacances, c'est ce gars avec sa valise à roulettes, qu'on a croisé sur un pont. Et on a vu un camp. C'est toute la misère humaine." Depuis le début de l’année, plus de 25 000 personnes sont entrées au Royaume Uni après avoir traversé la Manche dans des bateaux de fortune. Un chiffre en hausse de 49% sur un an.