Mikheïl Kavelachvili, l’ex-footballeur "sorti du chapeau" pour présider la Géorgie
Inconnu au bataillon. Quand on tente de dresser le portrait de Mikheïl Kavelachvili, candidat désigné par le parti Rêve géorgien pour être élu chef de l’État samedi 14 décembre, les spécialistes du pays interrogés par France 24 affichent des réserves.
“On ne sait strictement rien de lui”, “je ne peux pas dire grand-chose à son sujet”... Telles sont les premières réponses concernant celui qui sera bientôt à la tête de l’État géorgien. Seule certitude : Mikheïl Kavelachvili va être élu samedi. Le futur président bénéficiera, en effet, du vote au suffrage indirect par un collège électoral acquis à sa cause plutôt qu’à un vote populaire – une première dans l’histoire de la Géorgie. Ce changement constitutionnel a été adopté par Rêve géorgien, en 2017, lui permettant de renforcer sa mainmise politique sur le pays.
Dans le même temps, les manifestations dans les rues géorgiennes se poursuivent. Elles durent depuis la victoire controversée de Rêve géorgien aux législatives du 26 octobre. L’opposition pro-occidentale dénonce des irrégularités, et l’actuelle présidente du pays, Salomé Zourabichvili, appelle à l’organisation d’un nouveau scrutin. Sans quoi, elle refusera de rendre son mandat, qui se termine le 29 décembre, comme elle l’a annoncé à l’AFP au début du mois.
En face, Mikheïl Kavelachvili s’est dit “pleinement conscient de (son) immense responsabilité” après avoir été désigné candidat à la présidence du pays, le 27 novembre. Et d'ajouter vouloir “tout faire pour unir la société géorgienne autour de nos intérêts nationaux, notre identité nationale, nos valeurs et l'idée de l'indépendance géorgienne".
“Connu dans le monde sportif, mais pas en politique”
Né dans la petite ville de Bolnisi en 1971, père de quatre enfants, Mikheïl Kavelachvili est un ancien footballeur professionnel âgé de 53 ans. Avant-centre de métier, il a notamment porté les couleurs du Dinamo Tbilissi avant de jouer pour Manchester City durant trois saisons (1996-1999). Il a surtout passé l’immense majorité de sa carrière en Suisse – au Grasshopper Club Zürich, FC Zürich, FC Sion ou encore au FC Bâle. L’attaquant a en outre été sélectionné 46 fois sous le maillot de la Géorgie, pour neuf buts inscrits.
“C’est quelqu’un d’assez connu dans le monde sportif, mais il ne l’est pas en politique, il a été sorti du chapeau pour présider la Géorgie”, tranche Cécile Vaissié, professeure en études russes et soviétiques à l’université Rennes 2 et spécialiste de la Russie et du Caucase. Une analyse partagée par Régis Genté, correspondant en Géorgie pour France 24 et RFI et spécialiste des anciennes républiques soviétiques : “Il a fait une carrière sportive très correcte à l’étranger, mais ce n’est personne politiquement en Géorgie.”
Après la fin de sa carrière sportive en 2011, Mikheïl Kavelachvili s’est lancé en politique en devenant député du parti Rêve géorgien en 2016. Mais “il n’a pas fait grand-chose”, affirme Charles Urjewicz, historien et spécialiste de la Géorgie. Pour souligner son inaction, le professeur émérite d'histoire de la Russie et du Caucase à l’Inalco le compare à un autre sportif géorgien reconverti dans la politique, Kakha Kaladze, “qui a, lui, une notoriété à la fois sportive et politique”. Ce dernier, défenseur mythique de l’AC Milan dans les années 2000, a depuis été député, vice-Premier ministre, ministre de l'Énergie et en est actuellement à son deuxième mandat de maire de Tbilissi.
Mikheïl Kavelachvili s’est tout de même illustré ces derniers mois sur la scène politique géorgienne, notamment par plusieurs outrances anti-américaines. En juin, il a accusé les membres du Congrès américain de préparer “une révolution violente directe, un plan d'ukrainisation de la Géorgie et un désir insatiable de détruire notre pays”. Puis, en septembre, il a décrit l'opposition géorgienne comme la “cinquième colonne” qui tentait de saper la paix dans le pays sur instruction de “l'administration américaine et de certains sénateurs”.
Dans ses discours au vitriol, l'homme portant la moustache, les cheveux gominés et peignés en arrière s'oppose aussi à la reconnaissance des droits des minorités sexuelles. Mikheïl Kavelachvili a notamment accusé les Occidentaux de vouloir qu'"un maximum de personnes soient neutres et tolérantes envers l'idéologie LGBT qui défend supposément les faibles mais qui s'oppose en fait à l'humanité".
Par ailleurs, Mikheïl Kavelachvili est apparu comme étant l’un des auteurs d’un projet de loi sur “l’influence étrangère” en Géorgie. Cette législation décriée, inspirée d'une mesure répressive russe, impose de lourdes contraintes administratives aux ONG et médias recevant au moins 20 % de leur financement de l'étranger. Elle a été adoptée par le Parlement géorgien fin mai. Mais même pour cette loi, Charles Urjewicz ne pense pas “qu'il ait joué un rôle très important dans son élaboration”. “Il a fait partie de ceux qui ont été mis en avant pour la présenter afin de lui donner un aspect un peu plus présentable”, poursuit-il.
“Une sorte de marionnette au service du pouvoir”
Cette logique de faire-valoir explique aussi pourquoi Mikheïl Kavelachvili a été choisi par Rêve géorgien comme candidat à la présidence du pays, à en croire les experts interrogés par France 24. “Il n’a pas une personnalité complexe, n’a pas un parcours riche mais c’est quelqu’un que le pouvoir peut entièrement manipuler”, estime Cécile Vaissié. L’historien Charles Urjewicz abonde : “On a choisi un individu pour en faire une sorte de marionnette au service du pouvoir.”
Le choix de Mikheïl Kavelachvili comme candidat semble, par ailleurs, suivre une logique idéologique – conservatrice sur le plan sociétal, anti-européenne ou encore anti-LGBT – portée par le milliardaire et ancien Premier ministre Bidzina Ivanichvili, fondateur du parti Rêve géorgien et soutien de l’ancien footballeur professionnel qu’il a qualifié d’”incarnation de l'homme géorgien", le 27 novembre.
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“Mikheïl Kavelachvili est apparu à un moment où le pouvoir géorgien ne pouvait pas montrer qu'il était anti-européen, alors que l'immense majorité de la population se dit pour l’Europe”, explique Régis Genté. ”Donc le pouvoir a dû faire exprimer sa voix par quelqu'un d'autre, mais issu de ses rangs, pour exprimer ses positions antioccidentale et prorusse”.
C’est dans ce contexte que l’ancien footballeur a quitté Rêve géorgien, en 2022, et a cofondé le parti d'extrême droite Pouvoir du Peuple. Ce dernier “a fait semblant de s'opposer au parti au pouvoir sans jamais en sortir formellement, au point d'ailleurs que c’est leur candidat qui est présenté samedi”, résume Régis Genté. “Le pouvoir a vraiment choisi celui qui est le plus prorusse de la scène politique géorgienne. On sent qu'il y a un effort de la part du vrai maître du pays (le milliardaire et ex-Premier ministre Bidzina Ivanichvili, NDLR) pour vider la présidence de sa substance, en faire vraiment une fonction négligeable.”
D’attaquant sur les terrains à défenseur d’un nationalisme conservateur sur le plan des valeurs, il semble bien que Mikheïl Kavelachvili a finalement changé de poste.