Face aux émeutes, Emmanuel Macron décrète l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie

Les habitants de Nouméa ont passé une troisième nuit de tirs et d’incendies, entre mercredi et jeudi, malgré l’annonce d’un état d’urgence décrété par Emmanuel Macron. Au moins quatre personnes sont mortes dans les émeutes dans les précédentes vingt-quatre heures, alors que l’Assemblée nationale a adopté mercredi la révision constitutionnelle sur le corps électoral qui déchire l’archipel de 270.000 habitants.

Parmi les victimes, un gendarme mobile de 22 ans, décédé à Plum, dans le sud de l’archipel, d’une « balle tirée en plein front », selon le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Un habitant a succombé à un autre tir « par balles », a rapporté le haut-commissaire de la République, Louis Le Franc, « de quelqu’un qui a certainement voulu se défendre ». Des centaines de personnes ont été blessées, dont une centaine de policiers et de gendarmes, selon un bilan publié avant la nuit. « Toutes les violences sont intolérables et feront l’objet d’une réponse implacable », a insisté mercredi le président de la République.

Nouvelle réunion de crise à l’Élysée

Dans Nouméa saturée de cendres et de fumées, émeutiers et groupes d’autodéfense se font face, en plus des affrontements avec les forces de l’ordre. Des jeunes, pour la plupart kanaks, provenant des quartiers défavorisés de l’agglomération, dévalisent magasins et centres commerciaux. Des pillages en règle que tentent d’empêcher les forces de l’ordre en sécurisant les lieux et en procédant à des interpellations - 82 la première nuit, 173 la deuxième.

Mais policiers et gendarmes se retrouvent pris pour cible. Dans la nuit de mardi à mercredi, armes à la main, des individus ont tenté de pénétrer dans la brigade de gendarmerie du Mont-Dore. Alors qu’il circulait sur une route au nord de Nouméa, un blindé a essuyé plusieurs tirs. Le véhicule, qui conduisait en urgence deux femmes sur le point d’accoucher, a été stoppé net dans sa progression vers l’hôpital de Dumbéa, obligeant les gendarmes à riposter. Après un échange de tirs, le convoi a pu se dégager et reprendre sa course.

Apeurés, les habitants se calfeutrent. Des barrages sont montés. «On se protège comme on peut avec angoisse, les gens font des rondes le soir, raconte ce mercredi Annick Morault, 64 ans, habitante du quartier de la Vallée des Colons. On a des barricades dans les quartiers et des milices qui font des rondes dès le couvre-feu. C'est un état de guerre.» Sous le regard d'habitants effarés, les flammes ont mangé dans la nuit une partie de la grande case du Sénat coutumier, incrustée de la traditionnelle flèche faîtière. Un haut lieu du pouvoir kanak dont les responsables ont appelé au calme, un peu plus tôt.

À Paris, la crise a mobilisé les plus hauts niveaux de l’État. Le premier ministre, Gabriel Attal, a présidé mercredi soir une « cellule interministérielle de crise » au ministère de l’Intérieur. Deux décisions ont été prises : le déploiement de l’armée pour sécuriser les ports et les aéroports, ainsi que l’interdiction du réseau social Tik Tok. Depuis l’Élysée, Emmanuel Macron a annulé son déplacement à l’EPR de Flamanville (Manche) pour présider jeudi matin une nouvelle réunion de crise.

Une situation «insurrectionnelle»

Dès mercredi matin, le chef de l’État avait convoqué un Conseil de défense et de sécurité nationale. Au palais présidentiel, entouré notamment de ses ministres Gérald Darmanin, Sébastien Lecornu (Armées) et Bruno Le Maire (Économie), il a écouté à distance Louis Le Franc, depuis Nouméa. « La situation est insurrectionnelle, a prévenu le haut-commissaire quelques heures plus tôt, devant la presse. On s’engage tout droit dans une guerre civile. »

L’état d’urgence, demandé par la droite, le Rassemblement national (RN) et la présidente de la province sud de l’archipel, Sonia Backès, est annoncé dans la foulée de cette réunion de crise et entériné en conseil des ministres. Avec ce dispositif exceptionnel, les responsables locaux peuvent interdire des lieux de réunions, prohiber des manifestations ou encore dissoudre des associations, au terme de procédures simplifiées. Les autorités pourront prendre d’autres mesures spécifiques : assignation à résidence d’individus, perquisition ou encore remise des armes. « La priorité, c’est de retrouver l’ordre, le calme et la sérénité », a rappelé Gabriel Attal devant les députés.

Prévu pour une durée de douze jours, l’état d’urgence est entré en vigueur quand où les Calédoniens se réveillaient, jeudi matin à 5 heures (heure locale). En fonction de l’évolution de la situation, ce dispositif de restrictions des libertés peut être interrompu à tout moment. « Mais s’il est prolongé au-delà des douze jours maximum prévus, cela passera par une loi », indique-t-on au ministère de l’Intérieur et des Outre-mer. Avec ce régime exceptionnel assorti de lourdes sanctions pénales, le gouvernement espère faire tomber cette brutale poussée de fièvre dans l’archipel.

Sommé par la gauche de reporter sa réforme de la Constitution, Emmanuel Macron a de nouveau proposé aux élus calédoniens de se réunir à Paris, sans doute à Matignon, pour trouver un accord. Sans lequel, a-t-il indiqué, le Congrès se réunira « avant la fin juin ». « Si nous trouvons un consensus, nous pourrons continuer à avancer. Si le consensus n’est pas trouvé, nous devrons continuer à avancer aussi, de la manière dont nous l’avions prévu », a déclaré Gabriel Attal au Sénat, soucieux de déboucher sur une « solution politique globale ».

Des pénuries

Il s’agit de remettre de l’ordre dans les rues de Nouméa. Pendant la première nuit de violences, quelque 200 émeutiers ont été recensés. Pendant la deuxième nuit de chaos, des « milliers » de jeunes se sont dirigés vers l’agglomération de Nouméa, selon le haut-commissariat de la République. Dans le viseur des autorités figure la très radicale cellule de coordination des actions de terrain (CCAT).

Un « groupe mafieux qui veut manifestement instaurer la violence », fustige Gérald Darmanin, qui le considère comme « désormais loin » du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), dont il est l’émanation. Dans un communiqué, la CCAT a jugé les exactions « pas nécessaires », tout en les présentant comme « l’expression des invisibles de la société qui subissent les inégalités de plein fouet et sont marginalisés au quotidien ».

À l’abri, hors des rues désertes de Nouméa, les patrons recensent les dégâts pour l’économie locale. Le supermarché Carrefour de Dumbéa, le plus grand de Nouvelle-Calédonie, a été incendié. Plus de quatre-vingts entreprises et entrepôts (supermarchés, pharmacies, cabinets médicaux…) ont été détruits, selon le décompte du patronat. « C’est considérable pour un territoire de cette taille, c’est une ville saccagée, explique la présidente du Medef local, Mimsy Daly. Nos commerçants volontaires, ceux qui continuent à ouvrir, ont peur. » Supermarchés et pharmacies présentent déjà des rayons vides de produits alimentaires et de médicaments, faisant craindre des pénuries.

Pour aider les forces de l’ordre à rétablir le calme, le gouvernement a décidé de muscler son dispositif. Après des premiers renforts déjà arrivés, qui portent à 1800 le nombre de policiers et gendarmes sur place, 500 autres fonctionnaires sont attendus d’ici à la fin de cette semaine. Côté gendarmerie, 5 escadrons et 70 hommes du groupe d’intervention de la gendarmerie (GIGN). Côté police, des membres du Raid et deux sections de la CRS 8, cette unité spécialisée dans les violences urbaines. Cinquante sapeurs-pompiers vont aussi être envoyés.