"Ces scénarios relèvent de la politique-fiction" : Donald Trump peut-il vraiment briguer un troisième mandat de président des Etats-Unis ?

Ce n'est "pas une blague". Donald Trump a assuré, dans une interview à la chaîne NBC, dimanche 30 mars, envisager sérieusement de passer quatre ans de plus à la tête des Etats-Unis. On pourrait croire, en effet, à une plaisanterie, puisque la Constitution américaine interdit à quiconque d'effectuer plus de deux mandats présidentiels – consécutifs ou non. Mais il existe "des méthodes" pour y parvenir, croit savoir le milliardaire, qui estime que "beaucoup de gens" souhaitent qu'il reste en poste.

"Dans la bouche de n'importe quel autre président, ce serait surprenant, mais pas avec Donald Trump", constate Ludivine Gilli, directrice de l'Observatoire de l'Amérique du Nord à la Fondation Jean-Jaurès. Et pour cause : ce n'est pas la première fois que le locataire de la Maison Blanche émet cette idée. Dès novembre, quelques jours après sa réélection, il avait déclaré à des responsables républicains : "Je ne me représenterai pas, à moins que vous ne vous disiez : 'Il est bon.'"

"Ce stratagème serait contraire à la Constitution"

La Constitution est pourtant "très claire" sur cette question, assure Ludivine Gilli. Le 22e amendement stipule "que personne ne peut être élu président plus de deux fois", détaille-t-elle. Cette règle s'applique également à "quiconque aurait assuré cette fonction durant plus de [deux ans], par exemple si le vice-président doit remplacer le président" en cas d'incapacité ou de décès. "Si Donald Trump venait à disparaître aujourd'hui, J.D. Vance serait chef de l'Etat durant plus de trois ans, et ne pourrait donc effectuer qu'un seul mandat présidentiel par la suite", illustre l'historienne.

Le 22e amendement a été adopté après la mort de Franklin D. Roosevelt, qui a succombé à une maladie au tout début de son quatrième mandat en 1945. "L'objectif était de permettre une alternance du pouvoir et un changement de leader plus régulier à la tête des Etats-Unis", explique Jérôme Viala-Gaudefroy, docteur en civilisation américaine et auteur de l'ouvrage Les Mots de Trump. A en croire l'actuel locataire de la Maison Blanche, il existe toutefois des moyens de contourner cette disposition.

"La première est la voie légale : amender la Constitution pour permettre au président d'effectuer trois mandats", confirme Ludivine Gilli. Une hypothèse "peu crédible" dans la mesure où une réforme du texte fondateur de la démocratie américaine doit être votée par une majorité des deux tiers de la Chambre des représentants et du Sénat, puis approuvée par les législatures d'au moins 34 Etats et enfin ratifiée par au moins 38 Etats sur 50.

"Cette procédure est longue et complexe et requiert une majorité dont les républicains ne disposent aujourd'hui ni au Congrès, ni au niveau des Etats."

Ludivine Gilli, historienne

à franceinfo

Deuxième hypothèse, évoquée par des partisans trumpistes : que Donald Trump se présente comme candidat à la vice-présidence en 2028, aux côtés par exemple de J.D. Vance. Une fois élu, celui-ci pourrait démissionner pour laisser sa place au milliardaire. "C'est un mécanisme à la Poutine-Medvedev, avec un ticket dont l'unique objectif est d'inverser les rôles une fois au pouvoir", observe Ludivine Gilli. Cette option se heurterait toutefois au 12e amendement, "qui précise qu'une personne inéligible à la fonction de président, selon la Constitution, ne peut être élue à la vice-présidence", remarque Jérôme Viala-Gaudefroy.

Le vice-président américain, J.D. Vance, serre la main de Donald Trump au Congrès, à Washington, le 4 mars 2025. (KAYLA BARTKOWSKI / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)
Le vice-président américain, J.D. Vance, serre la main de Donald Trump au Congrès, à Washington, le 4 mars 2025. (KAYLA BARTKOWSKI / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

"Ce stratagème serait contraire à l'esprit de la Constitution dès lors que Donald Trump se présenterait à la vice-présidence en ayant l'intention d'effectuer un troisième mandat", ajoute Ludivine Gilli. Selon cette spécialiste des Etats-Unis, le milliardaire pourrait malgré tout être tenté d'y recourir, puisqu'il reviendrait ensuite à la Cour suprême (à majorité conservatrice) de trancher sur la légalité de son élection.

"On parle là d'un coup d'Etat"

Théoriquement, l'élu républicain pourrait recourir à un stratagème similaire pour tenter de revenir au pouvoir par une voie détournée. Comme le note Jérôme Viala-Gaudefroy, la Constitution n'interdit pas de nommer président de la Chambre des représentants une personne qui ne siège pas en son sein. Selon NBC, la loi précise seulement que le speaker est choisi par l'assemblée. Si les républicains obtenaient la majorité en 2028, "ils pourraient désigner Donald Trump comme président" de la Chambre des représentants, poursuit Jérôme Viala-Gaudefroy. "Il serait alors le troisième personnage de l'Etat, et pourrait diriger le pays en cas de démission du président et du vice-président." Là encore, la légalité du procédé serait certainement contestée en justice.

Il existe aussi d'autres cas de figure, "qui ne sont pas légaux, mais pas inenvisageables", juge Ludivine Gilli. En premier lieu, Donald Trump pourrait décider d'ignorer la Constitution et de faire campagne pour un troisième mandat en 2027. Cette hypothèse poserait, évidemment, de nombreuses questions juridiques et engendrerait de nombreux recours en justice. Autre potentielle manière pour lui de "forcer la main au pays", selon l'historienne : refuser de quitter la Maison Blanche à la fin de son mandat, quitte à s'appuyer sur l'armée pour se maintenir au pouvoir. "On parle là d'un coup d'Etat, mais c'est déjà ce que ses partisans ont tenté d'obtenir [lors de l'assaut du Capitole] en 2021", s'inquiète Ludivine Gilli.

Des partisans de Donald Trump prennent d'assaut le Capitole, le 6 janvier 2021, à Washington. (SAMUEL CORUM / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)
Des partisans de Donald Trump prennent d'assaut le Capitole, le 6 janvier 2021, à Washington. (SAMUEL CORUM / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

"Comme il a l'a déjà évoqué durant la campagne présidentielle", Donald Trump pourrait "prendre l'excuse d'une crise réelle ou supposée pour suspendre la Constitution", ajoute l'historienne.

"Tous ces scénarios relèvent de la politique-fiction. Mais nous n'avons aucune idée de l'état dans lequel sera le pays en 2027, où en sera l'érosion des médias, de l'opposition, de la justice, des barrières institutionnelles..."

Ludivine Gilli, historienne

à franceinfo

Car le président américain a déjà commencé à s'attaquer aux garde-fous qui limitent son pouvoir, notamment à travers la purge des fonctionnaires fédéraux ou les pressions exercées sur les magistrats. Plusieurs des décrets qu'il a signés ces dernières semaines "vont bien au-delà des compétences du chef de l'Etat", souligne également Jérôme Viala-Gaudefroy. Pas de quoi perturber le milliardaire, qui assurait en février que "celui qui sauve son pays ne viole aucune loi", rapporte The Guardian. "Il considère que sa cause dépasse toutes les limites qu'on met habituellement" au pouvoir présidentiel, décrypte Jérôme Viala-Gaudefroy.

"Donald Trump se sent tout-puissant"

Selon ce spécialiste du discours politique, Donald Trump est aussi, comme à son habitude, "dans la provocation". Parler d'un hypothétique troisième mandat à la Maison Blanche "fait plaisir à sa base parce que ça choque, notamment la gauche", estime Jérôme Viala-Gaudefroy. "Mais à force de l'évoquer, il commence aussi à normaliser cette idée."

"On ne peut pas prendre Donald Trump au mot : peut-être qu'il abandonnera l'idée d'un troisième mandat parce qu'il y aura trop d'opposition. Mais il faut quand même le prendre au sérieux, car il remet en cause l'Etat de droit."

Jérôme Viala-Gaudefroy, politologue

à franceinfo

Les propos du président américain sont d'autant plus préoccupants qu'il "se sent tout-puissant", avance l'expert. "Sa précédente campagne n'a pas été arrêtée par le droit, puisque les procès n'ont pas abouti. Il n'a pas non plus été stoppé par le Congrès, où les [deux] procédures de destitution ont échoué. Il considère même, depuis la tentative d'assassinat qui l'a visé, qu'il est protégé par Dieu", liste Jérôme Viala-Gaudefroy.

Donald Trump "ne peut pas envisager de transmettre le pouvoir à quelqu'un d'autre", affirme-t-il. Une perspective qui ne semble pas, à ce jour, inquiéter une majorité d'Américains. "Ils pensent que leur pays sera toujours une démocratie, argue Jérôme Viala-Gaudefroy. Mais ce qui intéresse Donald Trump, ce n'est pas de gouverner, c'est de dominer. Quitte à remettre en cause tous les contrepouvoirs."