Mariages binationaux : le « couple de Béziers » toujours bloqué
L’épreuve est interminable pour Eva qui, avec son compagnon algérien, Mustapha, désormais interdit de séjour en France, sont devenus le symbole de la lutte des couples binationaux en butte aux parcours qui les empêchent de se marier. La personnalité politique du maire de Béziers (Hérault), proche du RN, a donné à leur histoire une publicité dont ils se seraient bien passés.
En juillet 2023, Robert Ménard refuse de marier Eva, qui habite Béziers, et un jeune Algérien de 22 ans, Mustapha, qui a fait ses études de marin pêcheur en France, où il a obtenu son CAP. Eva et Mustapha s’étaient rencontrés trois ans auparavant et vivaient ensemble depuis deux ans. Leur mariage était prévu le 7 juillet 2023, les bans avaient été publiés, mais, la veille, Eva entend le maire de Béziers affirmer à la télévision qu’il refusera de marier leur couple.
Il n’y a eu que trois cas en France de refus de mariage de la part d’un maire, à Hautmont (Nord), à Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), et à Béziers donc. Motif invoqué par Ménard : le marié est sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF). « Nous sommes arrivés devant la mairie en habits de mariés avec les témoins et les invités. Je pensais que nous allions être unis par un adjoint. Mais, dans le hall de la mairie, nous avons vu des caméras de télévision tourner autour de nous. M. Ménard a fait fermer les portes et activé la sonnette d’alarme. Ses partisans nous insultaient », se souvient Eva qui, sur le conseil du procureur prévenu par la police, se retrouve en robe de mariée au commissariat pour porter plainte contre le maire de Béziers qui a refusé de la marier.
« C’est un projet matrimonial qui a été brisé le jour du mariage, alors même que le procureur de la République avait décidé de ne pas surseoir au mariage », explique l’association nationale d’aide aux couples binationaux, les Amoureux au ban public, qui rappelle que, selon le Code civil, le maire n’a pas à savoir si l’étranger est en situation régulière ou non.
Mais l’affaire du couple de Béziers ne s’est pas arrêtée à ce mariage raté. L’OQTF a suivi son cours, et, le 20 juillet 2024, Mustapha a été expulsé sans avoir pu voir un avocat. « Ils ont détruit ma vie, du jour au lendemain », témoigne-t-il aujourd’hui depuis Oran, où il travaille comme marin pêcheur. Eva essaie d’aller le voir en Algérie quelques jours tous les deux ou trois mois, mais Mustapha n’a pas le droit de revenir en France, et les trois enfants d’Eva qu’il avait adoptés ne le voient plus. « C’est une famille qui a été explosée par l’affaire Ménard, sans aucun scrupule, au nom d’un coup politique », juge Sylvie Pelletier, membre des Amoureux au ban public.
Anticonstitutionnel et discriminatoire
Lancé il y a deux ans, le projet de loi, visant à interdire un mariage en France lorsque l’un des futurs époux réside de façon irrégulière sur le territoire, est arrivé au Sénat le 20 février, soulevant l’opposition de nombreuses associations et d’élus.
Ce texte discriminatoire viole la Constitution qui assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à son développement, et va à l’encontre du droit au mariage de la convention européenne des droits de l’homme. L’Association des villes et territoires accueillants, qui regroupe plusieurs dizaines de villes en France, estime qu’il s’agit d’une « mesure xénophobe, tout droit issue de l’agenda politique de l’extrême droite en France, qui instrumentalise les personnes étrangères comme responsables de tous nos maux ».
Pour les Amoureux au ban public, « l’appareil juridique est suffisamment étoffé pour permettre un contrôle de l’intention matrimoniale des mariages franco-étrangers », via la saisine du procureur de la République par l’officier d’état civil. « Vous pouvez faire toutes les lois d’interdiction que vous voulez, la seule chose que vous ne pourrez jamais enfermer, c’est la liberté de penser et la liberté d’aimer. Et vous ne restreindrez pas ça avec un tampon administratif », a déclaré, au Sénat, l’élu PCF Fabien Gay, mettant en garde contre le danger de renforcer l’extrême droite si le projet de loi était voté.
Arrivant à point nommé en plein débat sur ce projet, l’audition de Robert Ménard, le 18 février, devant le procureur de Béziers pour avoir refusé de marier Eva et Mustapha, a vu le maire rejeter catégoriquement la proposition du procureur de plaider coupable. Il a donc été renvoyé devant le tribunal correctionnel, où il encourt cinq ans de prison, une amende de 75 000 euros et une peine d’inéligibilité.
« Je trouve ça répugnant d’utiliser notre histoire et notre malheur, pour arriver à des fins politiques, ça me déçoit beaucoup de la France », commente Eva, ajoutant : « Nous voulons juste nous retrouver, c’est tout, mais je n’ai plus d’espoir. » En première lecture, le Sénat a déjà voté pour la loi. Mais l’administration française pourrait autoriser leur mariage, en Algérie…
Le média que les milliardaires ne peuvent pas s’acheter
Nous ne sommes financés par aucun milliardaire. Et nous en sommes fiers ! Mais nous sommes confrontés à des défis financiers constants. Soutenez-nous ! Votre don sera défiscalisé : donner 5€ vous reviendra à 1.65€. Le prix d’un café.
Je veux en savoir plus !